Ismaïl Alaoui: “Le PPS a été particulièrement ciblé"

Critique concernant le "séisme politique" qui s’est soldé par le renvoi de ministres PPS, Ismaïl Alaoui pointe la responsabilité d’autres départements, mais aussi la genèse même du projet de développement d’Al Hoceïma.

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Ismail Alaoui. Crédit: R. Tniouni/Telquel

Courageux, ah bon ? C’est un simple constat”, s’étonne Ismaïl Alaoui quand on l’interpelle sur ses propos, qui détonnent par leur ton critique, à propos du limogeage de deux ministres du PPS en exercice. Réputé mesuré, le sage du PPS est sorti de ses gonds en début de semaine pour dénoncer le “deux poids deux mesures” dont auraient pâti les ministres de son parti, renvoyés dans le sillage de la débâcle du projet “Al Hoceïma Manarat Al Moutawassit”. L’ancien patron du parti du livre se dit lui-même “acide”, regrettant un ralentissement du “trend haussier” des réformes démocratiques du début du règne. Séduit par la Constitution postprintemps arabe du Maroc, il s’inquiète des forces qui “freinent des quatre fers” la démocratisation. Veutil que sa formation remette le tablier à El Othmani ? Le patron du conseil de la présidence mesure ses mots et dit s’en remettre aux camarades, qui trancheront la question ce 4 novembre (mise à jour : le PPS a opté pour le maintien au gouvernement)

Que vous inspire l’expression “séisme politique”, qui fait les gros titres de l’actualité ?
Je pense que le terme est trop exagéré. Un séisme représente un grave danger pour les êtres humains et peut aboutir à une grave crise sociale s’il est généralisé. J’espère que ces décisions n’auront pas d’impact sur la stabilité du pays, sur l’avancée démocratique, économique et sociale. C’est un rappel à l’ordre de la part de Sa Majesté, qui remplit sa fonction de censeur, au sens latin du terme. Un peu comme Caton l’Ancien quand il admonestait les dirigeants de la Rome antique et attirait leur attention sur le fait qu’il fallait nécessairement détruire Carthage pour que Rome soit en paix.

Ce séisme s’est notamment soldé par le renvoi de deux ministres du PPS. Vous estimez qu’il y a « deux poids deux mesures » dans cette décision…

Oui, puisque certains ministres qui étaient eux aussi impliqués dans le  programme “Al Hoceïma phare de la Méditerranée” n’ont pas été limogés.
A qui pensez-vous ?

Au ministère de l’Equipement, encore très loin d’avoir accompli ce qu’il a à faire. Je pense aussi au ministère de la Pêche. N’oublions pas que la crise d’Al Hoceïma a pour première cause un problème lié à la pêche. Bien sûr, quand on lit le rapport de la Cour des comptes, on voit certains pourcentages de ce qui est mis à disposition de l’Agence du Nord, et qui peuvent impressionner. Il va falloir vérifier tout cela.

Vous doutez de la crédibilité du rapport de la Cour des comptes ?

Non, mais je ne crois pas que ce genre de travail soit de son ressort. Il relèverait plutôt des inspections générales au niveau des différents ministères. Et dans le cas d’espèce, soit d’une commission d’enquête parlementaire, ou, si elle existait, d’une commission ou d’une inspection qui relèverait du Chef du gouvernement. Je pense que si on le lit de manière précise, on constate que l’origine du mal ne réside pas dans le retard de l’ensemble des ministères concernés. A l’origine du problème, on retrouve le moment choisi pour lancer ce programme, mais aussi la procédure choisie pour établir le projet. Il n’a pas connu de consultation préalable des populations concernées, alors que la Constitution l’impose. Par quels services at-il été établi ? Y a-t-il eu une étude d’impact? Le rapport de la Cour attire l’attention sur cet aspect. Comment voulez-vous qu’un ministre engage des crédits dont il ne dispose pas encore ? La Loi de Finances était déjà élaborée, elle a été déposée en son temps auprès des services du parlement. En outre, on a beaucoup gaussé sur le fait que les ministères ont remis une partie des crédits à l’Agence du Nord. Ils ne l’ont pas fait de leur initiative. Qui a donné des instructions pour que l’Agence du Nord centralise ces crédits ? Est-il normal qu’elle se transforme en maître d’ouvrage alors que les procédures ne le permettent pas ?

Mais alors, pourquoi les ministres concernés, y compris ceux du PPS, ont accepté tout cela ?

C’était une erreur d’appréciation de leur part. Il va falloir vérifier cela, mais le Chef du gouvernement lui-même n’était pas au courant du contenu de ce programme. Je pense qu’il y a eu un dysfonctionnement fondamental qu’il va falloir corriger à l’avenir.

Si ni les ministres ni le Chef du gouvernement n’étaient au courant, d’où vient ce programme ?

Allahou Aâlam (Dieu seul le sait), je vous laisse le soin de le faire savoir, vous qui, en tant que journalistes, avez peut-être les moyens d’investiguer et pourriez éclairer ma lanterne et celle des citoyens.

Estimez-vous que le PPS ait été ciblé par les sanctions ?

Je crois qu’il a été particulièrement ciblé. Les raisons sont multiples. On peut se reporter à ce qui s’est passé il y a quelques mois, quand on a pratiquement diffamé le secrétaire général du PPS en disant qu’il aurait attaqué un conseiller royal intuitu personæ, alors que ce n’était pas le cas.

Pourtant, les ministres concernés ne sont pas tous du PPS. Il y a aussi des faits avérés, comme les retards, que les intéressés reconnaissent

Ce ne sont pas les ministres qui sont responsables des retards, mais la tournure des événements. Si le moment choisi avait été différent, s’il n’y avait pas eu le fameux blocage, les choses auraient peut-être été différentes.

Si on suit votre raisonnement, c’est la faute à pas de chance. Le principe de la reddition des comptes voudrait que les personnes qui ont pris des engagements sur le terrain en soient comptables…

Certes, la reddition des comptes doit être mise en pratique de manière constante dans un Etat de droit, mais dans ce cas particulier, il aurait fallu éviter l’erreur initiale dont j’ai parlé.

Si les ministres n’étaient pas convaincus de la pertinence des projets, pourquoi ont-ils signé ?

Ce que j’ai entendu dire, non pas par les ministres mais par d’autres personnes, c’est qu’ils devaient juste signer les documents. Peut-être que les ministres n’ont pas eu suffisamment de cran pour refuser de signer un chèque en blanc et pour dire qu’il y a des nécessités administratives à respecter.

Estimez-vous que le projet Manarat Al Moutawassit ne soit pas à la hauteur ?

On ne peut juger de la pertinence d’un projet qu’après sa totale réalisation, mais, dans celui qui nous concerne, il y a des choses intéressantes pour la population. Sauf qu’il a été mal engagé et que personne n’en connaît les détails. Va-t-on construire un port en eau profonde à Al Hoceïma? Va-t-on installer un service de cabotage dans une zone extrêmement montagneuse et difficile d’accès ? Personne ne sait. Il y a certainement un problème de communication.

Qu’est-ce qu’il aurait fallu faire pour que cela prenne ?

Il aurait fallu que Mohcine Fikri ne soit pas mort dans les conditions que l’on connaît et qu’il n’y ait pas eu de Hirak à Al Hoceïma.

Vous avez aussi critiqué l’interventionnisme dans les affaires partisanes…

C’est là une réalité de notoriété publique. Un parti a vu son premier responsable désigné et commencer à assumer ses nouvelles fonctions avant même la réunion de l’instance délibérative, en sachant que ce responsable avait annoncé, il y a pratiquement plus de cinq ans,
qu’il se retirait de la scène politique et qu’il s’occuperait de ses propres affaires. Y a-t-il eu intervention pour le faire changer d’avis ? Ce que je constate, c’est que la procédure normale pour l’élection d’un responsable de parti n’a pas été respectée, mais c’est son affaire.

Vous êtes réputé pour être un sage, un responsable qui mesure ses paroles. Là, vous tenez des propos très critiques…

Je suis peut-être un peu acide au vu de l’évolution de notre pays. J’aurais aimé que le trend haussier qui avait marqué toute cette période, depuis l’intronisation de Sa Majesté jusqu’à ces derniers temps, se prolonge. J’espère qu’il se poursuive, et que je me trompe. Peut-être aussi que l’âge et la fatigue aidant, je ne suis plus aussi sage qu’avant, si jamais je l’ai été un jour.

Vous avez été ministre de l’Education nationale…

Non, je ne l’ai pas été dans les faits. J’aurais dû refuser ce qualificatif car je n’étais ministre que de l’enseignement primaire et collégial. Mon ami Abdellah Saâf était ministre du secondaire, mon ami Zerouali ministre de l’enseignement supérieur, mon ami et camarade Omar Fassi ministre de la recherche scientifique. Le ministère était donc saucissonné, j’avais le titre mais c’était purement protocolaire. Et je n’ai assumé cette responsabilité, même limitée au primaire et au collégial, que deux ans et deux mois. Ce n’est pas en si peu de temps que l’on peut véritablement marquer son passage.

Toujours est-il que vous êtes au fait des problèmes et défis de l’éducation. Aujourd’hui, nous avons un ministre par intérim, en attendant l’arrivée d’un nouveau ministre.

Il est évident que tous ces retards auront une implication sur notre enseignement, qui est très gravement atteint. La fameuse loi-cadre que le Conseil supérieur de l’enseignement aurait présentée au gouvernement n’a toujours pas été discutée. Je me demande même si, au sein du gouvernement, il y a eu des réunions pour en parler. L’impact positif de cette loi ne pourra être vérifié que dans 25 ans. Je mourrai certainement sans en avoir vu les fruits.

Qu’en est-il des défis plus globaux qui nous attendent, comme le modèle de développement, qui ne fonctionne plus de l’aveu même du roi?

Je suis d’accord avec Sa Majesté. Ce qui doit être à l’ordre du jour, en priorité, c’est la situation de notre jeunesse. Une jeunesse avec une formation passable, sinon médiocre pour la majorité. Une jeunesse qui ne trouve pas d’emploi et qui voudrait, c’est légitime, vivre sa vie le plus correctement possible. En même temps, il y a la nécessité de s’intéresser aux disparités spatiales qui viennent s’ajouter aux disparités sociales, et qu’on retrouve parfois aux mêmes endroits. Ce qui s’est passé dans le Rif central n’est qu’un aspect du refus de ces disparités. Et cette région n’est pas la moins bien lotie. On oublie tous une certaine donnée : lorsque l’être humain constate l’amélioration de sa situation, il a toujours besoin de plus, l’ambition légitime d’un mieux. Il va falloir affronter ces défis, mais dans un cadre démocratique.

Faut-il comprendre par là que vous redoutez d’autres crises comme celles du Rif ?

Ce ne sont pas les crises qui sont à redouter. C’est la manière de les résoudre qui peut poser problème. Quand il s’agit de crises sociales et de société, la meilleure formule pour le faire reste celle préconisée par la Constitution. Avant le Rif, il y a eu Sidi Ifni, ne l’oublions pas. Certaines régions sont de véritables bombes à retardement, comme la province de Tinghir. Le problème de l’eau se pose à Zagora et ailleurs. Pour quelles raisons l’aquifère à Zagora n’est plus à même de répondre aux besoins ? Il y a tout simplement eu
négligence, due à une frénésie consumériste. Des gens originaires de Zagora, qui se sont enrichis ailleurs, sont venus investir leur argent dans la production de la pastèque. Cela a été intéressant pour une catégorie sociale, mais pas pour les plus pauvres. Il est grand temps de réunir le Conseil supérieur de l’eau, qui ne s’est plus réuni depuis que j’étais ministre de l’Agriculture, c’est-à-dire avant 2003. Comme il est plus que nécessaire de revoir les priorités du Plan Maroc Vert, de suivre avec plus de rigueur le travail des agences de bassin et de développer partout l’implication consciente des populations concernées.

La méthode du nouveau Chef du gouvernement est de mettre en place une commission à chaque fois qu’une problématique comme celle de l’eau se pose…

Je pense que cela part d’un bon sentiment. Je ne fais pas le procès de ceux qui désignent une commission pour s’en occuper. Il faut débattre de ces problèmes et demander l’avis des populations. Par exemple, leur demander si la production de pastèques a eu un effet positif sur l’ensemble de la population du territoire de Zagora, connu pour être particulièrement aride.

A-t-on tiré les bonnes leçons du Printemps arabe et, pour le cas du Maroc, des manifestations du Mouvement 20-février ? Il y a eu la nouvelle Constitution et le Maroc s’en sort plutôt bien dans la région…

C’est vrai, mais ce n’est pas parce qu’on n’est pas les moins mal lotis qu’on doit se contenter de ce qu’on a. Il y a beaucoup de choses positives qui ont été accomplies, mais il y a aussi des personnes qui freinent des quatre fers. Sa Majesté a parlé de la nécessité de repenser notre situation globale, par quoi nous allons remplacer notre modèle économique. Il va falloir passer un autre palier. Il nous faut un débat national profond et que les partis assument leurs responsabilités

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