Un escroc en série recherché par Interpol a terminé sa cavale à Tanger le 26 juillet. Retour sur l’histoire d’un Britannique qui a su surfer sur les investissements à la mode pour flouer des centaines d’investisseurs à travers le monde.
Mercredi 26 juillet, fin de matinée. Lorsque des policiers en civil entrent dans ce banal hôtel 4 étoiles du centre-ville de Tanger, personne ne se doute qu’ils vont procéder à l’arrestation d’un des escrocs les plus recherchés au monde : Renwick Haddow. Quelques jours plus tôt, une notice rouge émise par Interpol à la demande du FBI est parvenue aux autorités marocaines, signalant que ce citoyen britannique de 49 ans est recherché pour “escroquerie informatique” et “fraude boursière” suite à plusieurs arnaques montées depuis les Etats-Unis. Après enquête, les limiers marocains retrouvent rapidement sa trace dans la ville du détroit, où il serait arrivé un mois plus tôt depuis le Royaume-Uni. Après une quinzaine d’années, des millions de dollars détournés et des centaines d’investisseurs floués aux quatre coins de la planète, la carrière de celui qu’on surnomme le petit Madoff prend fin au Maroc où, après avoir été remis au Tribunal de première instance de Tanger, il a été transféré à la prison de Salé.
Selon son avocat américain, Edward Little, une audience préliminaire se serait tenue le 19 septembre. Mais Haddow attend toujours la réponse des autorités marocaines à la demande d’extradition faite par les Etats-Unis. Comme il n’existe pas de convention d’extradition entre les deux pays, la décision revient aux ministères concernés, ceux de la Justice, des Affaires étrangères et l’Intérieur. En attendant, il bénéficie d’une “assistance consulaire”, d’après l’ambassade britannique.
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Mémoires d’un apprenti arnaqueur
Du parcours de ce businessman anglais qui a détourné des millions de dollars à des centaines d’investisseurs, on sait peu de choses finalement. Né en 1968, il aurait fait ses études à l’université Thames Valley, à Londres. En 1998, à 30 ans, il devient, selon le quotidien émirati The National, directeur d’une petite entreprise immobilière au Royaume-Uni. Puis deux ans plus tard, il est propulsé à la tête de Branded Leisure, une boîte “Life Style” qui cible les femmes de 18-35 ans. Ce sera sa première arnaque. Surfant sur la mode du healthy, il lève plusieurs millions de livres sterling pour créer des espaces de vente de boissons et nourriture saine, ainsi que des soins de beauté. Seule une unité sur les nombreux espaces prévus par le contrat de licence verra le jour. Et elle ne réussira jamais à décoller. Au total, les actionnaires perdent 2,2 millions de livres sterling. Huit ans plus tard, Branded Leisure coule pour insolvabilité, et, le 20 novembre 2008, Haddow est interdit de diriger une entreprise pendant huit ans au Royaume-Uni. Les raisons invoquées : mauvaise gestion de la société et de la comptabilité, annonces trompeuses, communication erronée sur la position financière et déformation d’informations livrées à l’huissier de justice.
Profession escroc
Mais ces premiers déboires n’effraient pas Renwick Haddow. Il poursuit sa carrière d’arnaqueur professionnel au Royaume-Uni comme si de rien n’était, et crée Capital Alternatives. Cette nouvelle entreprise va poser les bases de la “méthode Haddow” grâce à laquelle il a réussi à flouer des centaines d’investisseurs, selon un jugement de la Financial Conduct Authority (FCA), l’autorité de régulation financière britannique. En novembre 2009, il convainc 1160 personnes d’investir 8,1 millions de livres sterling dans un projet porté par Capital Alternatives, African Land, en leur faisant miroiter des chiffres mirobolants concernant notamment les 1214 hectares de riziculture gérés par la société au Sierra Leone : des dividendes de 15%, entre 40 et 50% des bénéfices nets de la récolte, un taux de rendement de 175% après 5 ans d’activité… Puis, à travers Reforestation Project, qu’il chapeaute également, il engrange un investissement de près de 8,8 millions de livres sterling provenant de 919 investisseurs. Évidemment, aucune de ces personnes n’obtiendra un quelconque retour sur investissement.
Selon le quotidien britannique Daily Mirror, la nébuleuse Capital Alternatives — un véritable système de Ponzi à la Madoff, qui assure la promotion de trente autres entreprises — a absorbé la majeure partie de ces investissements. Elle prend pied notamment au Maroc, par le biais de Room to Invest. Mentionnée par la FCA dans son jugement de 2014, cette société propose à ses actionnaires de mettre en vente les chambres d’un hôtel marrakchi, Riad Aladdin, pour 6000 livres sterling et 21 nuitées gratuites par an. Contactée, la propriétaire française de cet établissement voisin du Palais Badiî s’estime “encore victime de Renwick Haddow”.
Micmac à Marrakech
“Une agence immobilière m’a présenté la société Capital ID, cotée en Bourse à Londres”, se souvient la propriétaire, qui a signé dès septembre 2008 un compromis de vente. Room to Invest verse alors une indemnité d’immobilisation pour une “somme correspondant à plus de 10% de la valeur du riad”, admet la propriétaire, qui préfère rester évasive. Ce jour-là, ce n’est pas Haddow qui a fait le déplacement à Marrakech pour conclure le deal, mais son bras droit, une avocate australienne nommée Marcia Hargous. “C’est son ancienne compagne”, croit savoir la propriétaire du Riad Aladdin, en mentionnant celle qui témoignera plus tard contre Renwick Haddow devant la justice britannique. Mais ni Renwick Haddow ni Marcia Hargous ne signent l’acte final. “Cela ne les empêche pas de mettre en vente les chambres du riad. Alors même que la vente n’a pas eu lieu, ils ont obtenu une mention de saisie sur nos titres fonciers qui sont encore bloqués aujourd’hui”, se plaint celle qui bataille toujours en justice pour les récupérer.
Alors que les déboires judiciaires ont commencé avec le Riad Aladdin, Renwick Haddow achète un autre riad marrakchi, Harmonia, avec les fonds de Room to Invest, d’après la gérante de cet établissement. “Nous avons signé en 2010 un bail commercial de 2500 euros par mois pour avoir en gérance ce riad de 5 chambres”, explique-t-elle. Au bout d’à peine un mois, des clients sont venus lui réclamer les 21 nuitées gratuites. “Nous avons immédiatement contacté Haddow. Mais quand on lui a expliqué le problème, il s’est énervé, est entré dans une colère noire, s’est levé et a claqué la porte”, raconte la propriétaire, qui avait pourtant signé le bail avec un homme “beau parleur, séducteur, intelligent et convivial”. Après avoir porté plainte et perdu le procès en première instance et en appel, ce qui a gelé tout son commerce, la Cour de cassation a fini par lui donner raison. Retour en appel pour pouvoir “récupérer le bail commercial et être remboursée de tous les loyers indûment versés”. En parallèle de ces activités immobilières, Renwick Haddow a créé le 5 décembre 2013 la société Riad Collection pour faire de la promotion immobilière. Depuis sa création, aucune donnée et aucune activité n’est répertoriée.
Attrape-moi si tu peux
Alors que la justice britannique planche toujours sur le cas de Renwick Haddow qu’elle suspecte d’être derrière la machine Capital Alternatives, le businessman poursuit sa fuite en avant et s’installe à New York en novembre 2014 avec Zoya Kiselova, sa nouvelle compagne, une ancienne danseuse professionnelle ukrainienne, d’une vingtaine d’années sa cadette. Deux semaines après, surfant cette fois sur la tendance des bitcoins, il crée l’entreprise InCrowd, qui constituera la base de son système de Ponzi américain. Puis ce sera BitCoin Store, présentée comme une plateforme “facile à utiliser pour détenir et négocier des bitcoins”. Toutes sont enregistrées au Delaware, un État connu des géants tels Apple, Coca-Cola ou JP Morgan pour ses faibles taxes. Mais InCrowd et toutes les sociétés détenues par Haddow ne sont pas enregistrées auprès de la Securities and exchange commission (SEC), l’organisme américain de réglementation et de contrôle du marché financier.
A Manhattan, où sont installés les bureaux de InCrowd, Renwick Haddow recrute des commerciaux qui sollicitent des investisseurs redirigés vers le projet BitCoin Store, soi-disant porté par une équipe dirigeante composée d’anciens cadres de grandes banques telles HSBC ou la Deutsche Bank. A leur tête, un certain Jonathan Black, un alias de Renwick Haddow, présenté comme étant réputé pour ses “connaissances en finance”. Cinquante investisseurs ayant mis sur la table plus de 700 000 dollars tombent dans le piège des bitcoins de Renwick Haddow. Dans des mémorandums publiés début 2015, son alter ego Jonathan Black assure aux actionnaires que BitCoin Store “a vendu près de 1,95 million de dollars de bitcoins” en deux mois. L’entreprise n’enregistre en fait aucun bénéfice et près de 85% de l’investissement des 50 actionnaires est versé sur un compte bancaire au nom d’InCrowd, détenu par Renwick Haddow. Evidemment.
Une affaire de couple
Puis Haddow fonde Bar Works en juillet 2015, une entreprise qui gère des espaces de coworking situés dans d’anciens bars. Son ambition ? Attirer 400 000 dollars d’investissement en vendant des baux pour 20 espaces de travail. Il promet pour cela un retour sur investissement de 15%. Avec l’aide d’une certaine Zoe Miller en charge de la promotion de Bar Works, qui n’est autre que le pseudonyme de Zoya Kiselova, près de 38 millions de dollars sont placés dans Bar Works par plusieurs centaines d’investisseurs à travers le monde entre octobre 2015 et avril 2017. Parmi eux, Richard D. Souza et sa femme, un couple d’Indiens installés aux Emirats arabes unis (EAU) qui ont investi 50 000 dollars. Richard D. Souza nous confie avoir été contacté en août 2016 par Square Yards, une société qui faisait la promotion de Bar Works aux EAU.
Tous les documents qu’il a pu signer sont au nom de Jonathan Black. “J’ai reçu mes devises jusqu’en janvier 2017 depuis un compte américain JP Morgan à ce même nom. Puis plus rien. Au mois de juin, Tanuj Shori, le PDG de Square Yard, nous a annoncé par mail que Bar Works était un système de Ponzi”, témoigne Richard D. Souza. Tanuj Shori, lui, n’a jamais répondu à nos sollicitations. Aux EAU, comme en Floride et en Chine, les actionnaires se sont regroupés par centaines pour récupérer leurs investissements.
Sur les 38 millions de dollars qu’il a perçus grâce à Bar Works, un million quitte les Etats-Unis pour être placé “sur un ou plusieurs comptes en banque au Maroc”, indique la plainte déposée par la SEC contre Renwick Haddow. Selon les deux victimes marrakchies de Renwick Haddow, le Britannique détient au moins un compte au Maroc, sur lequel elles affirment avoir opéré plusieurs transactions. Cette manne financière pourrait lui avoir permis d’acquérir la société marocaine Atmar, créée en 2010 par un homme d’affaires français, Alain Béja. “C’est un jeune trader comme on en rencontre pas mal, avec un air sympathique”, décrit Alain Béja. En juin 2016, Renwick Haddow achète 100% des parts de cette société, dont le capital grimpe de 10 000 à 1,5 million de dirhams le 3 août 2016. “Atmar détient et gère une maison de près de 500 m2, sur la route d’Amizmiz à Marrakech, qui est vouée à la location courte durée”, nous confie Alain Béja qui ne veut pas dévoiler le montant de la transaction. Contacté, l’avocat marocain de Renwick Haddow, Maître Oussama Fraikech, n’a pas voulu s’exprimer.
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