Des employés syndicalisés du centre d'appel Total Call Casablanca, crient au licenciement abusif

Au centre d'appel Total Call, détenu par le géant français Free, des anciens employés accusent la direction de licenciements abusifs.

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En 2012, une centaine de salariés grévistes de la société Total Call ont été licenciés. Crédit photo : capture d'écran du reportage de Cash Investigation diffusé France 2 le 26 septembre dernier.

Depuis quelques semaines, le centre d’appels Total Call, situé à Casablanca mais détenu par le géant français Free, est le théâtre d’un combat social. Des anciens et actuels employés accusent la direction de licenciements abusifs empêchant la création de toute contestation syndicale.

C’est en tout cas ce que montre Sophie Le Gall dans son enquête sur les pratiques managériales de Free diffusée sur France 2 mardi 26 septembre dans le magazine français Cash Investigation. Dans ce documentaire, la journaliste explique comment la direction de Free a procédé, en 2012, à une centaine de licenciements abusifs pour briser la grève des employés mécontents de Total Call.

« Liquider » la contestation

En 2012, les employés de Total Call, le centre d’appels de Casablanca, dénoncent leurs conditions de travail et se mettent en grève et demandent un dialogue avec la direction qui ne cède pas. Le mouvement prend de l’ampleur et dure pendant plusieurs semaines. Angélique Gérard, la responsable des centres d’appels, se rend sur place à Casablanca pour négocier la fin de la grève avec Ayoub Saoud, secrétaire général de l’Union marocaine du travail (UMT). « La direction de Total Call était à la limite du chantage avec les autorités publiques. Elle disait qu’elle allait ramasser ses cliques et ses claques et leur laisser les 1 000 emplois« , raconte ce dernier dans le reportage.

Malgré ça, la grève continue et Maxime Lombardini, secrétaire de Free, demande alors, dans un échange de mail divulgué par l’émission française, à Angélique Gérard quelles sont les solution pour « sortir du mouvement de grève« . Celle-ci lui répond alors : « En réalité, nous n’avons encore que 50 grévistes […] Nous liquiderons les 50 détracteurs. » Suite à quoi, la majorité des salariés grévistes ont donc été en majorité licenciés, conclut la journaliste. Une politique de « liquidation » de la contestation qui n’a pas cessé depuis puisque, selon nos information, vingt-huit salariés ont été licenciés depuis mai dernier au sein de la société. Ils faisaient tous partie du bureau syndical.

De bureau syndical en bureau syndical

En avril dernier, les délégués du personnel qui avait été élus, pour la première fois en juin 2015, avaient décidé de créé un bureau syndical pour demander des avantages sociaux et créer un dialogue avec la direction. Le bureau s’organise et demande sa légalisation auprès de la préfecture. « C’est le même scénario qu’en 2012. La direction a entendu parler de la création du bureau et a commencé à licencier les membres, un par uns« , explique Ayoub Saoud, contacté par Telquel.ma. Selon le personnel en question, il faudra à peine cinq mois pour licencier le bureau dans sa quasi totalité. Le premier à tomber est un responsable d’équipe qui avait 10 ans d’ancienneté dans l’entreprise. C’est aussi lui qui est à l’origine de la création du bureau syndical.

Suite à son licenciement, ses collègues membres du bureau envoient des mails à la direction. « On n’a eu aucune réponse« , raconte Tarek*, l’un d’entre eux qui  affirme que son collègue était « un responsable performant et que ce motif n’était absolument pas valable« . Même chose pour leur autre collègue et membre du bureau, qui est dans l’entreprise depuis douze ans, licencié lui pour inaptitude auditive détectée lors de la visite avec le médecin. « Ils auraient pu le mettre au service « Médias écrits » où on traite les courriers et où on n’a pas besoin de mettre le casque. Mais non, ils l’ont licencié« , continu Tarek, licencié lui-même quelques jours avant la diffusion du reportage de France 2 pour refus de travail. Et ainsi de suite jusqu’à ce que la quasi-totalité du bureau soit liquidée. Ce qui amène alors une partie du personnel à créer, par solidarité, un second bureau syndical.

7 licenciements en une semaine

Même scénario pour ce deuxième bureau syndical qui voit le jour le 16 septembre dernier. « On a monté la liste du bureau et on a déposé la demande auprès de la préfecture. La liste a du fuiter puisque sur les treize membres annoncés sept ont été licenciés dans les jours qui suivaient, avant même que la demande ait été légalisée« , raconte, Zakaria*, l’un d’entre eux. Ce dernier a été licencié jeudi 28 septembre pour avoir émis des appels à des horaires non autorisés le 15 septembre. « Or, durant cette période je ne prenais pas d’appels puisque j’étais en formation« , se défend l’ancien opérateur qui affirme avoir dix ans d’ancienneté au sein de l’entreprise. Même chose pour son collègue, Mohamed Amine Hosni, licencié pour fraude. « On m’a dit que je rappelais les abonnés pour les harceler. Or, j’ai mes propres indicateurs d’objectifs de travail qui prouvent que je suis l’un des meilleurs employés« , explique Mohamed qui a quatre ans d’ancienneté dans la boite. Et d’ajouter : « Ils m’ont surtout licencié, car j’étais membre bureau syndical« . Suite à ces licenciements, l’équipe syndicale s’arrange alors pour récupérer les papiers légalisés et les faire parvenir à la direction. En vain.

D’ailleurs lorsque Khalil Jalal, directeur de Total Call, envoie, le lendemain de la diffusion de l’enquête de France 2, un message sur Facebook At Work à destination de l’ensemble du personnel annoncant l’ouverture d’un groupe pour faire remonter les revendications des employés, l’un des membres du dit bureau syndical ne manque pas de saisir l’occasion.

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Message Facebook de la direction envoyé aux employés de Total Call le lendemain de la diffusion de l’enquête de France 2.

« Il a envoyé un mail en disant qu’ils faisaient semblant d’instaurer un dialogue et une certaine transparence alors qu’ils ne nous laissent même pas créer de bureau syndical« , raconte Zakaria. Le lendemain, la personne en question est convoquée avant d’être licenciée dès le lendemain pour avoir, lui aussi passé des appels à des heures non autorisées.

Selon nos informations, il ne reste aujourd’hui que six personnes du deuxième bureau syndical au sein de Total Call. « Nous sommes en train de constituer un troisième bureau syndical de treize personnes environ, explique, Khadija*, l’une d’entre eux. Si après la diffusion de l’enquête de Cash Investigation, cette dernière affirme que la direction semble vouloir calmer le jeu. « C’est pour faire oublier l’effet de l’émission, mais ils vont surement reprendre ensuite. Le dossier est prêt à déposer à la préfecture, mais s’ils reprennent les licenciements, on dépose« , conclut l’employée.

Un dialogue impossible

Depuis, jugeant ces licenciements abusifs, les membres du bureau licenciés ont tous décidé de poursuivre la société en justice. Pourtant, au moment des licenciements les membres du premier bureau avaient tenté un règlement à l’amiable et réclamé un recours auprès de l’inspection du travail qui n’avait alors pas réagit, nous assure Tarek. « On leur avait demandé une réunion des deux parties qui a été reportée suite à la demande de l’employeur. On a redemandé une deuxième fois, même chose« , explique Tarek. Ces dernier demandent donc une réunion à la préfecture également reportée sur demande de l’employeur. « La direction de Total Call ne s’est finalement pas rendue au rendez-vous et a envoyé un courrier à la préfecture expliquant que l’entreprise n’avait rien à se reprocher, que le site avait été aménagé pour les employés, qu’ils avaient construit une crèche etc…« , continu l’employé licencié.

Les membres ont donc décidé de saisir le tribunal de première instance de Casablanca, représentés par deux avocats. Une procédure encore en cours. Même chose pour les dix membres du second bureau qui font les démarches actuellement. Une action en justice qui est, selon Ayoub Saoud, systématiquement gagnée par les licenciés : « Dans la centaine de cas d’action en justice, les tribunaux systématiquement jugés que Total Call pratiquait le licenciement abusif. Les anciens employés ont donc reçu leurs indemnités« . Pour lui, ce qui importe à Total Call « c’est avant tout de ne pas avoir de contestataires, pour les indemnités ils ont les moyens de les payer. C’est la politique de Free« . Une pratique qu’il qualifie d' »anticonstitutionnelle, allant à l’encontre du droit du travail et des conventions internationales ratifiées par le Maroc« .

Une politique qui semble être assumée en interne, auprès des employés licenciés, souligne Tarek qui raconte être parti avec 2000 dirhams de solde tout compte : « Je me souviens que la responsable des Ressources Humaines a été très transparente lors de mon entretien de licenciement. Elle m’avait dit que Total Call préférait avoir un budget de licenciements abusifs plutôt que d’ouvrir le dialogue. Et que si on voulait nos indemnités il fallait aller les chercher au tribunal, pas ici« .

Pas de réponse de la part de Total Call

Nous avons contacté Total Call par téléphone qui nous a redirigé vers la direction française du groupe, Iliad (dont dépend Free). Ces derniers nous ont demandé de leur communiquer la liste des questions par mail (Quelles sont vos réactions suite à la diffusion du reportage ? Confirmez-vous avoir licencié 100 salariés grévistes ?
Pouvez-vous nous expliquer pourquoi ? Ces pratiques se sont-elles répétées depuis ? Les conditions de travail au sein du dit centre d’appel se sont-elles améliorées depuis ? Savez-vous que cela est interdit par la loi et la Constitution marocaine ?). La personne avec qui nous communiquions n’a pas donné suite à notre requête. Nous avons relancé ces derniers par mail et par téléphone. En vain.[/encadre]

Lire aussi : Les centres d’appel se dotent d’une charte déontologique

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