Monologue préparé, prise de son maîtrisée et mise en scène réussie, à l’instar des autres YouTubeurs, toutes catégories confondues. À un détail près. Adoptant le même décor derrière eux, celui de leur bibliothèque bien garnie, ces jeunes internautes s’apprêtent à rencontrer leurs followers pour partager leurs derniers coups de cœur livresques.
« Un horizon de partage »
BookTubeurs (contraction de » Book » et » YouTube « , NDLR), c’est le nom des propriétaires de ces chaînes consacrées à la lecture. En postant régulièrement des chroniques sur des livres, recommandant des titres et se lançant des défis dans des séquences vivantes et dynamiques, ces bibliophiles chevronnés adoptent une approche horizontale et égalitaire, faisant ainsi la part belle à la littérature.
Ce mouvement mondial, apparu au milieu des années 2000 aux États-Unis et ayant connu une croissance popularité exponentielle, a de quoi intéresser fortement les hommes et femmes de lettres. C’est le cas de l’écrivaine franco-marocaine Lamia Berrada pour qui cette pratique « donne la latitude à des sensibilités très variées de s’exprimer et de donner envie à d’autres de lire en partant d’un référentiel moins technique que celui des critiques littéraires« . Cela permet à la littérature de redevenir « un horizon de partage« , précise-t-elle, rassurée.
Un constat partagé par la critique littéraire, Kenza Sefrioui. Pour elle, « voir tout un chacun parler de ses coups de cœur en ligne, avec ses mots à soi, de façon très généreuse et spontanée« , valorise la lecture auprès des jeunes.
« Marocanisation » du BookTube
Même si le livre est en souffrance au Maroc, cela n’a pas empêché l’émergence de cette tendance chez les bibliophiles marocains. L’écrivain marocain Réda Dalil s’en réjouit : « dans un pays où les critiques littéraires sont souvent passées sous silence, il est rafraichissant de voir de jeunes lecteurs chevronnés et connectés qui usent de nouveaux canaux d’expression de leur passion et bouleversent ainsi la sphère littéraire ».
Au Maroc comme ailleurs, bien que tous les profils de BookTubeurs existent, il y en a un qui domine particulièrement: celui des jeunes lectrices d’une vingtaine d’années. Deux BookTubeuses marocaines se distinguent.
La plus connue des BookTubeuses marocaines est Hajar Habi. Animée par l’envie de communiquer autour de ses dernières découvertes littéraires avec des lecteurs des quatre coins du monde, Hajar se lance dans la critique des livres et le partage de ses avis livresques sur sa chaîne YouTube depuis 2011, cumulant ainsi plus de 5.700 abonnés et près de 400.000 vues.
Sofia Abid est la deuxième BookTubeuse qui sort du lot. Fraichement diplômée de l’université Al-Akhawayn, elle publie des chroniques de livres et conseille ses pairs sur sa chaîne YouTube, qui a vu le jour en 2014 et cumule plus de 1.500 followers. On y retrouve pour tous les goûts: des romans grand public aux classiques littéraires, tout en restant véritablement jeune.
Et à en croire Lamia Berrada, c’est ce regard jeune qui rend la littérature « beaucoup plus attractive » pour la génération Y. C’est ce qui explique en partie l’accueil chaleureux réservé par la communauté Web marocaine à Sofia, du haut de ses 21 ans. « Je reçois des messages d’inconnus qui expriment leur amour et leur reconnaissance pour l’inspiration que dégagent mes vidéos et mes conseils livresques » nous confie-t-elle, fière.
Menace pour les critiques littéraires ?
« Faire découvrir des livres atypiques que les médias traditionnels pourraient avoir boudés ou simplement ignorés » est une mission qui incombe principalement aux BookTubeurs, explique encore Lamia Berrada. Toutefois, cette passion se pratique sans pour autant « menacer le métier de critique littéraire« , poursuit l’écrivaine franco-marocaine.
La critique littéraire Kenza Sefrioui insiste: « ils ne sont absolument pas une menace pour le métier« . Elle nous explique qu’il est « essentiel que les points de vue sur les livres se démultiplient, et surtout qu’ils n’émanent pas forcément de critiques professionnels« . Et de préciser : « ce n’est pas la même pratique. Et toutes doivent exister« .
Par ailleurs, Réda Dalil invite les écrivains à se prêter à l’exercice des BookTubeurs: « Un écrivain, c’est tout d’abord un grand lecteur« . Pour lui, « partager ses lectures et critiquer ses pairs fera sans doute la part belle au supplément d’âme qu’est la littérature« , nous assure-t-il.
Quid des perspectives d’évolution de ce phénomène au Maroc? Sofia Abid se montre optimiste: « Le BookTube marocain va sans doute se développer« . Et la BookTubeuse marocaine de rajouter: » les Marocains veulent lire, découvrir le monde et s’ouvrir, littérairement« .
Les BookTubeurs en 5 points
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