Zeitz-MoCAA : le plus grand musée d'art contemporain d'Afrique ouvre ses portes à Cape Town

Le musée, dont la centaine de galeries s'étendent sur neuf étages, expose des artistes venus de tout le continent africain.

Par

Le Zeitz-MocAA, qui a ouvert ses portes à Cape Town en Afrique du Sud le 22 septembre dernier, n’est pas le premier musée d’art contemporain de ce genre mais il est certainement le plus important sur le continent africain. Avec une centaine de galeries étendues sur neuf étages, le projet est de taille. Ghana, Afrique du Sud, Tunisie, Angola, États-Unis… L’établissement, construit à l’intérieur d’un silo de blé laissé à l’abandon, expose uniquement des œuvres du 21e siècle venant d’Afrique ou de la diaspora.

Mark Coetzee est le directeur et le conservateur en chef de ce tout nouveau musée africain. Né à Johannesburg, il a étudié l’histoire de l’art à l’Université de Stellenbosch à Cape Town puis à la Sorbonne à Paris. Lui-même artiste et écrivain, Mark Coetzee explique, à Telquel.ma, la genèse du projet, sa réalisation mais aussi ses futurs défis.

Telquel.ma : Comment est née l’idée d’un tel projet ?

Mark Coetzee, directeur du Zeitz-MoCAA
Mark Coetzee, directeur du Zeitz-MoCAA

Mark Coetzee : Il y a neuf an, j’ai fait la connaissance de Jochen Zeitz, PDG de Puma, à Miami lors de l’une de mes expositions. Nous avons alors parlé de sa passion pour l’Afrique. Il m’a demandé qu’elle était la prochaine étape pour moi et je lui ai dit que depuis que j’étais tout petit je voulais bâtir un musée d’art contemporain en Afrique. Depuis longtemps, Puma était assez proche de l’Afrique. La marque supportait par exemple les joueurs de foot africains employés dans des clubs européens. Le projet est né comme ça et on a commencé à bâtir une collection d’art contemporain.

On a voyagé à travers l’Afrique à la recherches des meilleurs artistes du 21ème siècle. On a vite acquis la plus grosse collection d’art contemporain au monde. Quand la collection est devenue assez grande, on a commencé à chercher un lieu pour bâtir notre musée. Ce qui est fou c’est qu’au même moment, les propriétaires d’un grand silo à blé, situé sur la promenade Victoria & Alfred, face à l’Atlantique, se demandaient ce qu’ils allaient bien pouvoir faire de ce lieu. On avait trouvé notre musée.

A quoi ressemble le musée aujourd’hui ?

C’est l’architecte anglais Thomas Heatherwick qui a pensé le projet. Il avait déjà réalisé de nombreux bâtiments importants à travers le monde, mais il s’agissait là de son premier musée. Et la façon dont il a pensé la chose a super bien fonctionné ! En fait, il a travaillé l’intérieur des îlots. Ce qui fait que de l’extérieur on ne voit pas grand chose mais de l’intérieur c’est incroyable ! C’est là où se trouve la centaine de galeries qui constituent le musée. Un peu à la façon de la Pyramide du Louvre à Paris. Il me semble que l’architecture, pour un musée d’art contemporain, est très importante. C’est cela que voient les gens en premier.

gg

Le musée est-il public ou privé alors ?

C’est un modèle un peu particulier. Le musée est public mais il est financé par un large pourcentage de fonds privés. A la manière du MoMA et comme la plupart des musées aux États-Unis qui sont financés par des fonds privés. La différence c’est qu’ici notre musée est soutenu par le gouvernement sud-africain qui a par exemple participé à la rénovation du bâtiment. Mais sa participation ne peut pas suffire, la culture n’étant pas leur priorité budgétaire, c’est pourquoi nous avons dû trouver un modèle nouveau, non plus calqué sur un schéma occidental, mais sur un modèle africain.

Comment avez-vous choisi les artistes exposés ?

Pendant neuf ans, vingt-et-un conservateurs ont travaillé sur ce qui allait être exposé dans le musée. Nous avons voyagé à travers tout le continent africain. On a visité de nombreux studios, des galeries, et des biennales. Puis on a établi les différents critères de sélection : l’artiste doit être africain ou avoir une relation avec l’Afrique et le travail doit être réalisé au 21ème siècle. Aujourd’hui, 90% des gens en Afrique du Sud n’ont pas la possibilité d’entrer dans ce type de musée. Avec l’apartheid et l’époque coloniale, la seule culture qui comptait c’était celle de l’homme blanc. Avec ce musée, l’idée est vraiment de créer une réflexion sur nos sociétés africaines, non plus seulement à travers le prisme colonial et l’œil étranger, mais à travers un référentiel qui nous est propre, en présentant notamment des artistes venant de toutes les communautés d’Afrique.

Par exemple, nous accueillons actuellement un artiste photographe sud-africain, Zanele Muholi, qui a réalisé un grand projet d’une centaine de photographies sur le sort des lesbiennes en Afrique du Sud. Il faut savoir que leur situation ici est invivable. Dans certaines communes, la tradition veut qu’elles soient violées pour être punies. L’artiste est sorti du misérabilisme et a décidé de montrer sur ses photos, non pas des victimes, mais des femmes fortes et puissantes.

Un musée par les africains, pour les africains et sur les africains alors ?

En effet, le but premier de ce projet c’est de donner la possibilité aux africains de participer à l’écriture de leur histoire. Une histoire écrite par et pour les africains sur les africains. On a vraiment voulu sortir de ce prisme de réflexion que peuvent avoir les étrangers où l’Afrique est presque toujours synonyme de guerre et de violence. Mais attention notre musée n’est pas du tout dans l’ »African positivism » non plus ! Mais je veux que si il y a des choses à dénoncer en Afrique, ce soient les africains eux-même qui le fassent, qu’il débattent de leurs propres problèmes et en fassent leur propre critique. Il y a par exemple, en ce moment, une exposition sur l’abus de pouvoir des cheikh africains. Qui peut parler de ce problème mieux qu’un africain lui-même ?

Comment allez-vous faire pour que ce musée ne soit pas seulement un lieu touristique mais un lieu culturel accessible à tous ?

C’est un vrai défi. Nous avons, pour ça trois méthodes différentes. La première c’est de travailler sur le sujet : les gens doivent se retrouver dans ce musée. Notre Musée national a toujours exposé l’art colonialiste. Depuis quelques années seulement, il commence à exposer des artistes noirs et tente de proposer une lecture de l’histoire un peu plus correcte mais cela n’est pas suffisant. Nous, on a décidé que notre équipe de conservateurs devait être diversifiée et représentative de la diversité culturelle de notre continent. C’est pourquoi 80% de nos conservateurs sont des noirs. De manière plus large, dans le choix de nos œuvres, on a vraiment tenu à représenter toutes les communautés qui font ce continent : les blancs, les noirs, les handicapés, les migrants, les lesbiennes…

Le deuxième aspect c’est le prix. Pour 50% de nos visiteurs, comme les jeunes de moins de 18 ans, l’entrée du musée est gratuite. Ici la plupart des gens ne peuvent pas se payer l’entrée. Si les gens doivent payer, le musée ne pourra pas exister, car ils n’ont pas les moyens. Mais au-delà de l’argent, c’est surtout le transport qui pose problème. Comment arriver jusqu’ici quand on est pas motorisé ? On a donc travaillé avec des associations de taxi, on a aussi construit une zone piétonne pour arriver plus facilement jusqu’à la gare… Ça n’est certes pas suffisant mais c’est déjà ça. En ce qui concerne la sensibilisation à l’art contemporain, on travaille activement avec 76 différentes écoles autour de la ville de Cape Town pour que les élèves viennent visiter le musée. Et, pour l’instant, cette triple méthode semble fonctionner : le Musée national accueille 35 000 à 40 000 visiteurs par an…C’est ce que nous avons fait en seulement un week-end ! Je crois que les gens comprennent que c’est leur musée, leur culture et leur peuple qui est exposé ici.

Pour l’instant il n’y a pas beaucoup d’artistes d’Afrique du Nord. Cela est-il prévu ?

Bien sûr ! On ne sépare pas le continent avec des considérations géographiques nord-sud. L’idée est vraiment de le penser dans sa globalité. Il y a déjà une photographe tunisienne, Mouna Karray, et une artiste égyptienne, Ghada Amer, qui sont exposés en ce moment mais pas encore de marocain. Mais nous travaillons actuellement sur une future exposition centrée sur les artistes femmes de cette région…

Rejoignez la communauté TelQuel
Vous devez être enregistré pour commenter. Si vous avez un compte, identifiez-vous

Si vous n'avez pas de compte, cliquez ici pour le créer