Nourredine Bensouda, Trésorier général du Royaume qui accueille dans ses locaux le colloque sur les finances publiques, organisé par le ministère de l’Economie et des finances en partenariat avec l’Association pour la Fondation Internationale des Finances Publiques (FONDAFIP), donne d’emblée le ton du débat : « La souveraineté des Etats s’érode de manière accentuée en raison de la mondialisation, de l’interdépendance des économies et des bouleversements introduits par l’économie numérique« . Si le fond du message est clair, les conséquences tangibles pour le Maroc, sur la flexibilité des changes et la monnaie unique dans le cadre de la CEDEAO, sont timidement évoquées, entre les lignes de discours intellectuellement très séduisants bien que parfois peu concrets.
Mais d’abord, pourquoi parler de souveraineté étatique dans un colloque sur les finances publiques ? Parce-que « la souveraineté de l’Etat a pour condition des finances publiques saines », rappelle Michel Bouvier, Président de la FONDAFIP. Jean-Marie Bertrand, Président de chambre honoraire de la Cour des comptes française, insiste sur l’ambivalence des relations entre souveraineté étatique et finances publiques : « d’un côté, les finances publiques restreignent la souveraineté par les restrictions qu’elles imposent mais en même temps, la souveraineté est exercée à travers les finances publiques, car la dette impacte la souveraineté de l’Etat« . La crise des dettes souveraines de 2008 en est le parfait exemple : lorsque la dette d’un Etat est financée par des acteurs privés, a fortiori à l’étranger, la souveraineté s’en trouve menacée. « C’est par le déficit que les hommes perdent leur liberté« , résume Michel Bouvier en citant utilement l’économiste Jacques Rueff.
Si tous les intervenants s’accordent à dire que « le vieux logiciel de la souveraineté est dépassé », Zouhair Chorfi, Directeur général de l’administration des douanes et des impôts indirects, tempère en précisant que « la souveraineté n’est pas une fin en soi, il s’agit plutôt de savoir quel est le contenu de la souveraineté« .
Agences de notations : un frein à la souveraineté nationale
C’est tout d’abord la souveraineté budgétaire qui est atteinte, car les Etats ne sont plus entièrement libres de leurs choix budgétaires, du fait notamment du contrôle du FMI. La souveraineté budgétaire trouve une importante limite dans l’intervention des agences de notations, telles que Standard & Poor’s, Fitch Ratings et Moody’s, qui évaluent le risque de non remboursement par un Etat de sa dette, influant ainsi sur le montant et le taux d’intérêt auxquels ceux-ci peuvent prétendre de la part des banques et des investisseurs privés.
Signe de l’importance de ces aspects, c’est directement au sein de la constitution de 2011 que le Maroc a instigué les règles de bonne gouvernance, en précisant que les services publics sont soumis aux normes de qualité, de transparence, de reddition des comptes et de responsabilité et sont régis par les principes démocratiques consacrés par la constitution.
S’agissant de la transparence, l’économiste Larbi Jaïdi estime qu’elle « commence par la sincérité de l’information ». Il interroge par ailleurs le rôle du Parlement, dont les prérogatives « ne sont pas suffisamment utilisées, parce que le Parlement ne dispose pas d’outils propres pour dialoguer avec les décideurs« , pointe-t-il.
La lutte contre la fraude fiscale au niveau du G20
C’est par ailleurs la souveraineté fiscale qui est menacée. La fiscalité se trouve en effet encadrée par des conventions fiscales internationales qui imposent notamment le principe de non-discrimination fiscale à l’égard des entreprises et des personnes étrangères, dans le but de ne pas affecter les règles de concurrence internationale. Par ailleurs, la lutte contre la fraude et l’évasion fiscale se fait au niveau international, notamment dans le cadre du G20. Les Etats membres du G20 se sont en effet fixé le délai de 2018 pour mettre en place des systèmes d’échange automatique d’informations dans ce domaine, encourageant par la même occasion les pays en développement, au titre desquels le Maroc, à rejoindre le mouvement.
La flexibilité des changes, une dépendance au marché mondial
C’est enfin la souveraineté monétaire qui est impactée par la mondialisation en devenant fortement dépendante du marché. S’agissant du Maroc, Bensouda rappelle le rapport du FMI datant de 2010 qui considérait déjà que « le régime actuel de rattachement du taux de change a bien servi le Maroc, mais les autorités marocaines conservent leur objectif à moyen terme, qui est de passer à un régime monétaire et de change plus flexible ». Alors que le passage au régime de change flexible est annoncé de longue date, l’entrée en vigueur de la réforme tarde à venir. Doit-on voir un message dans le fait que le trésorier alerte sur le fait que « l’Etat doit veiller à préserver sa souveraineté monétaire, car la monnaie n’est pas un sujet technique mais politique » ? Il ne semble cependant pas hostile à ouvrir la politique monétaire sur l’extérieur, assénant dans une envolée presque philosophique : « se distancer par rapport à soi, s’attacher à sa particularité communautaire, géographique nous fait entrer dans la sphère de l’universel concret ». Mais justement, que doit-on retenir de concret à l’issue du colloque ?
« LA CEDEAO mériterait plus de débats »
Après que l’assistance ait largement effleuré le sujet sans s’y risquer, c’est Zouhair Chorfi qui met les pieds dans le plat : « La CEDEAO mériterait plus de débats. A la douane, nous sommes en train de faire des simulations en vue de l’intégration prochaine du Maroc à la CEDEAO« . Il prévient : « quand un pays décide de rentrer dans une construction régionale, il accepter d’abandonner un certain pan de souveraineté. Si nous allons dans la CEDEAO, c’est un choix et nous devons savoir que certaines décisions se prendront à Abuja et pas à Rabat ».
Il soulève également un point important : « Nous allons adhérer à la CEDEAO mais nous souhaitons en même temps être membre de l’Union douanière arabe : comment peut-on être membre de deux unions douanières en même temps ? Tout cela nécessite d’y réfléchir« . S’agissant de la perspective de la monnaie unique, la question est ne semble pas à l’ordre du jour : « il s’agit d’une étape ultérieure », élude le patron de la douane.
Il insiste en outre sur le rôle essentiel de la douane dans la croissance nationale : « la douane doit être un acteur de l’investissement et de la croissance. Nous accompagnons les investisseurs tels que Peugeot, Renault, nous leur taillons du sur mesure pour permettre de la compétitivité ». Il poursuit : « il faut aussi se sentir concerné par la situation des autres administrations douanières avec les pays d’Afrique« .
« L’Europe s’amuse de temps en temps à nous provoquer »
Après avoir évoqué le partenariat du Maroc avec les pays africains, c’est sur le sujet de la relation Maroc/Union Européenne que Zouhair Chorfi intervient. Rappelant le « statut avancé » du royaume vis-à-vis de l’UE, il évoque l’accord d’association qui lie les deux entités, avant d’évoquer un sujet sensible : « Il faut que l’Europe ait conscience des intérêts stratégiques qui la lient au Maroc. Nous protégeons l’Europe en surveillant de près nos frontières, et l’Europe s’amuse de temps en temps à nous provoquer sur les sujets que nous connaissons. Nous espérons qu’elle retrouvera la raison« , assène-t-il en faisant une référence voilée à l’imbroglio de l’accord agricole Maroc-UE, sous les applaudissements d’une assistance médusée.
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« Nulle place à l’égocentrisme et au repli sur soi »
Nous ressortons du colloque avec une certitude : l’intégration régionale est inévitable et les Etats n’ont d’autre choix, dans le monde globalisé, que d’abandonner une part de leur souveraineté. Comment cela-se passera-t-il dans le cas du Maroc ? De nombreuses interrogations subsistent. Espérons toutefois que les décideurs marocains garderont en mémoire le conseil du Professeur Bouvier : « Tout cela doit se faire dans un souci humaniste, pour ne pas oublier la justice sociale« .
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