Reportage. L’Boulevard est bel et bien d’retour

Crédit Photo : David Rodriguez

Après un an d’interruption pour cause de changement de sponsors, le festival L’Boulevard fêtait son grand retour, ce week-end au complexe Al Amal de Casablanca. Un nouveau lieu pour un nouveau départ, mais surtout un engouement et un esprit qui restent intacts.

Deux garçons déguisés en chevalier, casque à pointe sur la tête et côte de maille sur le dos, posent avec un duo d’adolescents en sweat à capuche et débardeur à l’effigie des héros du manga One Piece. Dès les portiques de sécurité franchis, le visiteur est plongé dans une autre dimension. Bienvenue au festival des styles « marginalisés« , comme le décrivent eux-mêmes les organisateurs.

Pour la deuxième soirée, consacrée au rock/métal – la première ayant été dédiée au rap/hip-hop – des centaines de jeunes se bousculent sur la terre battue de l’arène Al Amal, jusque-là davantage habituée aux baskets des tennismen qu’aux bottes cramponnées des hard-rockeurs. Des dizaines d’autres fument ou se reposent, dans l’obscurité des gradins bétonnés.

Sur scène, les Marocains de Barathon Lane font monter la température frisquette de ce crépuscule de mi-septembre, grâce à leurs sonorités mêlant stoner et garage rock. « On n’a pas vu les cinquante minutes passer!« , confie le leader Youssef Belmkadem, qui se demande même en rigolant s’il n’a pas oublié certaines chansons. Habitués du Boultek et du concours Tremplin, lui et ses trois acolytes ont sorti leur tout premier album, Lush, en 2016.

Eddy Andrianarisoa, le chanteur de Dizzy Brains (crédit photo : David Rodriguez)
Eddy Andrianarisoa, le chanteur de Dizzy Brains (crédit photo : David Rodriguez)

Les spectateurs n’ont pas le temps de se refroidir, que le surprenant quatuor malgache Dizzy Brains prend déjà le relais. Torse nu, le chanteur enflamme le public avec ses paroles engagées. « Nous allons vous jouer un morceau qui montre pourquoi on en a plein le c** à Madagascar. C’est pour ça qu’on est là!« , électrise-t-il des fans survoltés.

Réputés pour leurs textes dénonçant la corruption et la misère de la Grande île, les « cerveaux étourdis » (traduction littérale de « dizzy brains« , ndlr) ont déjà eu maille à partir avec les autorités de leur pays. « J’ai déjà été placé trois ou quatre fois en garde à vue. Les policiers nous attendent régulièrement à la fin de nos concerts« , témoigne le compositeur/interprète Eddy Andrianarisoa. Déjà invités l’an dernier au Visa for music de Rabat, le jeune homme et ses camarades disent apprécier l’ouverture du public marocain. Désormais installés en France, ils préparent, entre deux tournées au Canada ou en Corée du Sud, leur deuxième opus.

« Le meilleur public, c’est celui du métal »

Clou du spectacle, les métalleux de Crisix accrochent leur gigantesque banderole derrière l’estrade. Cheveux longs et jeans troués, les Barcelonais font « headbanguer » (enchaîner des mouvements de tête de façon effrénée, ndlr) et « pogoter » (se jeter dessus les uns les autres, ndlr) leurs aficionados, qui semblaient attendre ce moment avec impatience.

« Le métal reste le style le plus marginalisé aujourd’hui au Maroc« , explique Mohamed Merhari, le fondateur du seul festival qui ose en programmer, selon les dire de l’organisateur lui-même. « Ils sont peut-être quelques milliers à kiffer ce genre musical, mais je ne vois pas pourquoi ils n’auraient pas le droit d’en écouter et d’en voir chez eux. (…) Il y a du travail à faire pour expliquer aux gens que ce ne sont pas des satanistes. La musique est en apparence forte, violente, mais en dehors les mecs sont les plus gentils, les plus tranquilles, et même les plus instruits. Le meilleur public du Boulevard, c’est celui du métal!« , développe « Momo ». Ce découvreur de talents encourage les artistes à chanter en arabe, espérant « banaliser » le métal avec autant de réussit qu’il l’a fait pour le rap et le hip-hop.

Le groupe de métal espagnol Crisix (crédit photo : David Rodriguez)
Le groupe de métal espagnol Crisix (crédit photo : David Rodriguez)

Le lendemain dimanche, pour la soirée fusion, changement de public, changement d’ambiance. Plus juvénile, plus traditionnel, l’auditoire se trémousse sur le tempo maghrébo-africain du collectif M’Africa. Rassemblant quatre artistes marocains, trois Ivoiriens et un Camerounais, le projet est né il y a moins d’un an, d’une volonté de renouveler la musique marocaine en en assumant toutes les influences.

« Nous sommes Africains, nous sommes Amazigh, nous sommes à la fois Juifs et Européens, avec un peu de culture arabe et musulmane!« , s’enthousiasme Simo, le choriste/percussionniste, qui n’a pas attendu le retour du Royaume dans l’Union africaine pour s’en rendre compte. « C’est une richesse musicale et humaine quotidienne. Eux découvrent nos mélodies, et nous les leur. Elles ne sont pas si éloignées qu’on le croit : l’autre jour, notre batteur a même reconnu des rythmes ivoiriens dans notre chaâbi!« , raconte le Casaoui.

Totale fusion

Après un intermède indie rock plus posé, assuré par la néérlando-ghanéenne Nana Adjoa – révélée grâce au concours partenaire d’Amsterdam – il revient à l’Algérien Labbes de conclure en beauté cette soirée « fusion ». Très attendu par des fans hurlant son nom et reprennant en chœur ses chansons, le talentueux showman y répond avec des accords endiablés à la Django Reinhardt.

Parlant aussi bien du départ de son Algérie natale que de sa nouvelle vie au Canada, en passant par sa toute récente expérience colombienne, ce citoyen du monde transcende les clivages. « J’ai déjà joué à Tanger, à Tétouan, à Jdida, à Fès, avec à chaque fois un super accueil! Au-delà des divisions politiques, il faut rappeler que le Maghreb partage le même langage, la même culture, la même religion« , sourit le cosmopolite interprète.

Avec près de 10 000 entrées par jour, le premier week-end du nouveau Boulevard a connu un franc succès. Rendez-vous désormais vendredi, samedi et dimanche prochains au stade du RUC, pour une seconde partie qui s’annonce tout aussi enlevée, avec les prestations notamment des lauréats du Tremplin, et celle de la tête d’affiche Keziah Jones.

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