Edouard Kunz, un Suisse de 70 ans que tout le monde appelle Edi, conduit les voyageurs à bord du « train du désert » allant de la ville d’Oujda à celle de Bouarfa, dans l’est marocain. C’est grâce à sa persévérance que des touristes peuvent aujourd’hui emprunter cette ligne que seuls quelques trains de marchandises parcourent encore. « Pour faire les 305 km, il faut entre huit et douze heures, parfois plus s’il faut désensabler ou en cas de tempête. Mais l’essentiel, c’est que le train parte ». Cet ancien mécanicien de précision dans l’horlogerie installé depuis 30 ans au Maroc s’est fait à l’idée que « son » train n’arrive jamais à l’heure.
Avec ses bacchantes et son accent suisse-allemand, Edi Kunz dit avoir « toujours aimé les trains ». A chaque départ, posté à l’arrière du dernier wagon, il regarde avec émotion s’éloigner la gare d’Oujda: « Yalla! » (allons-y !), lance-t-il avec un accent allemand. Derrière lui, une vieille carte des chemins de fer: la ligne Oujda-Bouarfa perdue dans le désert, flirtant avec la frontière algérienne.
Aujourd’hui quasi-inutilisée, elle était pourtant le point de départ d’un projet ambitieux: la ligne de la Société Mer-Niger devait relier, à travers le Sahara, la Méditerranée et l’Afrique Noire. Commencée sous le protectorat français à la fin des années 1920, sa construction s’est arrêtée côté marocain à Bouarfa. Dans cette région riche en minerais, la ligne a longtemps servi pour le transport de marchandises, des habitants et des troupes françaises. Mais les mines et les usines ont depuis fermé pour la plupart, les Français sont partis et les routes ont pris le relais du rail.
En 1994, le transport de passagers est abandonné. Quand Edi Kunz, tout nouvel opérateur dans le tourisme marocain, décide d’organiser des voyages en train, il déniche cette ligne toujours en état qui traverse de superbes paysages. C’est aussi pour cette raison que les producteurs de James Bond l’ont choisie pour le tournage d’une scène de « Spectre ». Daniel Craig y invite Léa Seydoux dans un romantique wagon restaurant, avant de finir par une inévitable bagarre avec les méchants au-dessus des rails. Un train a été spécialement aménagé pour le tournage, mais la ligne et les paysages sont restés les mêmes. « On commence par quelques dizaines de kilomètres de plaine fertile, puis on monte, on passe le tunnel de Tiouli, et après c’est de plus en plus désertique », décrit Edi Kunz après avoir fait le voyage une quarantaine de fois.
L’aventure d’Edi commence en 2004. Le Suisse négocie avec l’Office national des chemins de fer marocains (ONCF) afin de faire circuler pour les touristes une locomotive et quelques wagons, dont un de première classe climatisé et un autre des années 1960 duquel il est possible de prendre des photos vitres ouvertes. Le premier voyage « était loin d’être rentable », se souvient le Suisse, qui loue la rame -toujours la même- au coup par coup à l’ONCF. Puis les voyages se sont enchaînés, au rythme de cinq à six les bonnes années.
Pendant le trajet, le paysage défile lentement. La vitesse est limitée à 50 km/h et descend parfois à 10 km/h. Le train doit même s’arrêter quand le sable envahit les voies. Une équipe de cheminots armés de pelles descend alors pour dégager les rails. Autres arrêts, prévus ceux-là, dans les gares abandonnées restées intactes, vestiges de l’époque coloniale. Edi Kunz voudrait rénover l’une de ces gares pour en faire un restaurant où le train s’arrêterait à l’heure du déjeuner et où pourraient travailler les habitants.
Mona, une jeune Marocaine installée à Paris, fait partie des voyageurs du jour, pour la plupart des clients européens qui viennent de l’étranger et paient un forfait global incluant le coût de la ballade. « Le rythme, le son, la chaleur, la lenteur du train créent une ambiance inouïe. On est totalement bercé par cette atmosphère. C’est la steppe devant, derrière, à l’infini. Un dépaysement total! »
Pour l’instant, les repas sont servis dans le train: Aziz, le cuisinier, a installé ses réchauds dans un wagon et y prépare tajine et thé à la menthe. « Ce train, c’est très important », insiste-t-il, ça fait du travail et de la publicité pour notre pays ». L’objectif d’Edi Kunz, pour l’année prochaine, est d’organiser quatre nouveaux voyages et de pouvoir, à terme, proposer son train du désert à un plus grand nombre de touristes, en particulier aux Marocains. Tout en continuant à en profiter: « Il y en a qui s’achètent une BMW, moi je m’offre un train ».
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