Quand El Othmani, les adlistes et des militants de gauche débattent du rapprochement laïcs/islamistes

Initiées par la fondation Cordoue de Genève, plusieurs discussions entre laïcs et islamistes de la région Mena ont eu lieu de mars 2016 à mars 2017 entre Istanbul et Doha. Très peu d'éléments ont filtré de ces rencontres jusqu'à la publication d'un communiqué d'Al Adl Wal Ihsane, présent lors des débats.

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Islamistes et laïcs d’Afrique du Nord et du Moyen-Orient (zone Mena) se sont retrouvés autour d’une même table, lors d’une série de rencontres organisées par une fondation suisse qui milite pour le « rapprochement » et « l’échange entre les cultures et les civilisations des diverses communautés« .

Des membres du mouvement Al Adl Wal Ihsane, notamment Mohamed Hamdaoui (à ne pas confondre avec Hamdaoui du Mouvement unicité et réforme, NDLR), responsable des activités extérieures de la Jamaâ, ont pris part à ces rencontres.

Des cadres du PJD tels que Soumia Benkahlldoun, Abdelaali Hamidine et l’actuel chef de gouvernement Saad Eddine El Othmani figuraient parmi les intervenants. L’ancien détenu salafiste Abou Hafs a aussi participé.

Plusieurs militants de gauche étaient présents à cette série de rencontres. Parmi eux, l’historien et militant Maâti Monjib, l’ancienne présidente de l’AMDH, Khadija Ryadi, et la secrétaire générale du PSU Nabila Mounib.

Les participants ont échangé lors de quatre ateliers tenus à Istanbul et Doha, entre mars 2016 et mars 2017, autour de deux axes majeurs: religion & politique dans la tradition islamique, et les outils conceptuels pour un espace commun.

Aucune information n’avait filtré avant la publication d’un communiqué d’Al Adl Wal Ihsane qui explique que « la fondation Cordoue à Genève a développé une initiative de coopération entre islamistes et laïcs en offrant une vision intellectuelle et politique issue de consultations et de rencontres entre plus de 40 experts et acteurs politiques d’Afrique du Nord, d’Asie de l’Ouest et du Sahel« .

« Je suis convaincu de la nécessité d’une entente entre islamistes et laïcs depuis les attentats de Casablanca en 2003. Mon opinion est que le courant sécuritaire au sein du système a repris du poil de la bête à partir de 2003, ce qui pousse à l’affrontement entre islamistes et laïcs« , nous explique Maâti Monjib.

État civil ou État religieux?

Concernant les thèmes précis abordés par les participants, peu de détails sont connus. Nabila Mounib, Khadija Ryadi, Abdelali Hamieddine et Abou Hafs n’ont pas donné suite à nos nombreuses sollicitations. Selon nos confrères d’Alyaoum24, le thème de l’intervention d’El Othmani portait sur la question :« Un État où la religion est l’islam est-il religieux ou civil?« .

Alors que plusieurs médias marocains ont reproché à Nabila Mounib d’avoir accepté de s’asseoir à la même table que les islamistes, cette dernière explique dans l’édition du 7 septembre du quotidien Akhir Saâ qu’elle n’a pas participé aux rencontres en sa qualité de secrétaire générale du PSU, mais sous sa casquette « d’universitaire« . « S’ils ont décidé de quoi que ce soit, je n’ai rien convenu avec eux« , précise-t-elle à la même source.

Plus globalement, les participants ont débattu de la question du vivre-ensemble entre modernité et tradition, laïcité et religion. Une interrogation qui suscite régulièrement la controverse.

Dans un rapport publié par la fondation Cordoue, les axes traités sont abordés avec une vue d’ensemble, sans mentionner les intervenants. Le rapport explique qu’en « partant d’une légitimité basée sur la volonté du peuple et s’interrogeant sur le devoir de suivre les actions du prophète Mohammed, plusieurs questions ont été soulevées sur la coexistence et l’harmonie entre la société musulmane et l’État civil« , interrogations qui suscitent des débats continus dans le monde musulman.

Il mentionne également qu’il est épineux de séparer ces deux composantes, à savoir la religion et la politique. Pourtant, lors des rencontres, « plusieurs islamistes modérés ont fait la distinction entre les questions purement religieuses, régies par le texte coranique, et les questions de la vie quotidienne sujettes à une réflexion en renouvellement constant » relate le rapport.

Par ailleurs, « la question de la législation a causé une grande partie des divergences entre islamistes et laïcs« , révèle le rapport. En effet, d’après les islamistes, le pouvoir législatif dans l’islam a un statut indépendant et n’est soumis qu’aux dispositions de la charia. De leur côté, les laïcs soutiennent que les préoccupations concernant le pouvoir législatif ne sont pas justifiées car d’après le rapport, « malgré les divergences entre pensée occidentale et pensée islamique, un état civil conforme à la jurisprudence politique islamique est possible, contribuant à réduire l’intensité de la confrontation entre laïcs et islamistes ». 

L’Histoire à la rescousse du présent

Dans la seconde partie du rapport, dédiée aux outils conceptuels pour un espace commun, l’exemple de la charte de Médine, La Théorie de la Justice de John Rawls et les symboles religieux dans la sphère occidentale ont été étudiés

La charte de Médine « a été établie en 622 (l’année de la Hijra NDLR) et est resté valide jusqu’à la fin du califat de Ali (4ème calife de l’Islam NDLR) soit 40 années plus tard« , indique le rapport. Ce document datant du 7ème siècle démontre qu’un espace commun où différentes idéologies sont confrontées est possible. En effet, cette charte a été élaborée dans un contexte de transformation conflictuelle et est en cela une preuve concrète de la coexistence et de l’interaction positive dans un même pays.

Le rapport se base également sur la Théorie de la Justice de John Rawls, ouvrage de philosophie politique et morale publié en 1971, qui distingue les règles prescriptives et leur application. Expliquant la théorie de Rawls, le rapport indique que « les communautés ayant des règles prescriptives différentes peuvent choisir de s’engager dans une action commune avec une communauté différente, chacun pour ses propres raisons« . De cette façon, différentes communautés pourraient vivre ensemble dans un espace commun en trouvant chacun la justification et la motivation pour le faire.

La rapport s’intéresse enfin à la perception et l’interprétation des symboles religieux dans la sphère publique de l’Occident, et distingue à ce sujet la laïcité stricte de la laïcité ouverte. « Pour les partisans de la laïcité stricte, l’affichage de la religion dans la sphère publique signifie que celle-ci s’installe pour prendre le contrôle des affaires publiques. Cette approche insiste sur le fait que pour être compatible avec la démocratie, la religion doit accepter d’être critiquée« , détaille le rapport.

A l’inverse, l’approche ouverte de la laïcité se préoccupe essentiellement de l’intégration des communautés en considérant qu’elle est nécessaire pour éviter les tensions. Cette laïcité ouverte permet, selon le rapport, « plus d’espace pour les libertés individuelles et exige une neutralité de l’État qui doit être un médiateur« .

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