Ferhat Bouda, jeune photographe algérien, expose actuellement sa série « Les Berbères au Maroc, une culture en résistance » à l’occasion du festival annuel de photojournalisme Visa pour l’image qui se déroule actuellement à Perpignan dans le sud de la France.
Né à Bouzeguene, village berbère de la wilaya de Tizi Ouzou au nord de l’Algérie, Ferhat Bouda sillonne l’Afrique depuis sept ans à la rencontre des communautés berbères et des peuples nomades. L’année dernière, le jeune artiste a décidé de partir dans le sud du Maroc pour photographier les communautés amazighes de la région.
Telquel.ma: D’où vous est venue l’idée d’un tel projet?
Ferhat Bouda: Je suis berbère d’Algérie. J’ai donc débuté ce long projet par mon pays. J’ai commencé par ma grand-mère, mon village, ma maison. Puis je me suis rendu en Tunisie, en Égypte, au Burkina Faso, en Mauritanie et au nord du Mali. Sans compter toute la diaspora. J’ai ensuite reçu le prix Pierre Alexandra Boulat Moulin en partenariat avec Visa pour l’Image. Ce projet est un voyage dans le passé, car je cherche moi-même à comprendre cette culture pour mieux la montrer au monde.
Vous avez choisi de photographier les Amazighs du Haut-Atlas. Pourquoi cette région en particulier?
Je voulais partir dans des endroits où la culture n’est pas influencée par la technologie, où la globalisation n’a pas pu s’infiltrer. Je me suis donc rendu dans des petits villages comme Tinfgam ou Timetda, dans la Vallée des roses ou encore à Ouarzazate. J’ai aussi suivi des nomades qui se déplacent d’une grotte à l’autre. Là-bas les gens sont les gardiens authentiques de la culture berbère.
Démocratie, entraide, convivialité, tolérance… Voilà ce que j’ai trouvé là-bas. On n’a jamais vu de Berbères s’entretuer à cause de leur religion. Dans cette communauté, ça n’existe pas. Ils ont une façon de vivre ensemble qui doit être montrée et dont les gens doivent s’inspirer.
Dans la maison, avec leurs enfants, au travail dans les champs… Il y a surtout des femmes sur vos photos. Pourquoi ?
La femme est au centre de la culture berbère en général. J’ai moi-même été élevé par deux femmes, car comme dans beaucoup de villages berbères, mon père était parti travailler à l’extérieur. Ce sont elles qui m’ont toujours éduqué à la tolérance et au vivre-ensemble. Ça me fait penser: un jour j’ai aussi photographié des femmes touarègues qui apprenaient l’alphabet berbère à leurs enfants dans le sable. Elles s’occupent des petits, de la maison, elles travaillent aux champs… Elles font tout.
En fait, c’est surtout grâce à ces femmes que les villages existent et tournent. J’estime que la femme berbère est un exemple pour toutes les femmes du monde. C’est pour cela qu’elles sont au centre de mon travail. D’ailleurs, dans les villages que j’ai visités pour cette série au Maroc, il y avait tellement de femmes que je devais parfois faire un effort pour trouver des hommes à prendre en photo ! Et il m’était arrivé la même chose au Niger.
Vous faites souvent des parallèles entre les différentes communautés berbères que vous avez photographiées à travers l’Afrique. Quelles sont les similitudes ou au contraire les différences qui existent entre elles, selon vous ?
Bien sûr il y a des différences entre ces communautés. Les habits, leur matière et leur couleur, par exemple changent d’une zone géographique à l’autre, car les gens s’adaptent à leur environnement. Pareil pour la couleur de la peau, qui sera plus blanche ou plus noire en fonction des zones. La langue, elle, varie d’un endroit à l’autre à cause notamment des différentes influences coloniales. Mais ce qui est marrant, c’est que dans chaque endroit où je suis allé durant toutes ces années, je me suis rendu compte que le mot pour désigner les différentes parties du corps humain ne change pas vraiment d’un pays à l’autre!
Au fond, il n’y a pas de grandes différences. Les valeurs berbères et cette convivialité dépassent les frontières. Quand je suis allé dans le Haut-Atlas, j’avais un visa et j’étais de fait sur le sol marocain, mais je ne me sentais pas au Maroc. Je me sentais avec un peuple et ce peuple c’est le mien. D’ailleurs, on se comprenait très bien eux et moi, bien que je sois kabyle. Je pense que les Berbères sont un pont entre les différents pays d’Afrique.
L’exposition s’intitule « Les Berbères au Maroc, une culture en résistance« . Une résistance à qui ou à quoi ?
Je n’ai pas voulu rentrer dans la querelle politicienne et parler de résistance politique. Ce n’était pas le but de ce travail bien que je sois un fervent défenseur de cette communauté. Leur résistance est bien plus profonde. Ils ont résisté à tout: aux colons durant des siècles et aujourd’hui à la nature pour survivre. Ils ont un grand attachement à leur terre. C’est cela que j’appelle de la résistance. Ils doivent s’adapter à de nombreux climats, le froid dans l’Atlas en hiver ou la pesante chaleur dans le désert. En fait, ils vivent par rapport et au rythme de la nature. Ils n’ont pas d’heure ou de programme fixe, ils ne dépendent que d’elle.
Vous savez, certaines personnes là-bas ne sont même pas au courant de ce qui se passe dans le monde. Lors de mon deuxième voyage, j’ai rencontré des gens qui ne savaient pas qui était Ben Laden. J’étais étonné, mais au fond, ce n’est pas plus mal non ? Ces gens ne sont pas malheureux, ils sont même assez libres. Mais ils sont malheureusement en train de disparaître…
La disparition de cette communauté est-elle un signal d’alarme que vous avez voulu lancer à travers cette exposition ?
Au retour de mon dernier voyage, j’ai eu le cœur brisé. Ce peuple est en train de disparaître et il en est conscient. Sa population se réduit doucement. Et c’est pareil pour les touaregs. En tant que Berbère, je dois montrer la disparition de mon peuple. C’est mon devoir.
Ce projet, c’est une façon de le sauver de l’oubli. Car on doit préserver cette culture pleine de belles valeurs humaines. On ne doit pas rougir face à l’Occident. Et pour qu’elle survive, il faut la montrer. Je vois donc ce projet à la fois comme une recherche personnelle, un témoignage et une archive. À terme, j’aimerais exposer ces photos, non plus seulement dans des festivals comme celui-ci, mais aussi dans ces villages d’Afrique.
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