Libération révèle dans son édition du 5 septembre les détails d’une enquête judiciaire en cours sur la collaboration entre un capitaine de la police aux frontières (PAF), un dirigeant d’entreprise de sécurité d’Orly et un agent de renseignement marocain qui échangent des « informations ultrasensibles (…) au profit des services marocains« .
L’enquête de Libération revient sur une affaire qui avait fait les gros titres en juin dernier. Notons toutefois qu’à ce stade, les informations relayées n’évoquent pas la possibilité d’une entraide entre services ou d’une connivence autorisée par la hiérarchie du capitaine de police mis en examen.
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Toujours est-il que le capitaine de police aux frontières de l’aéroport d’Orly, Charles D., 59 ans, est mis en examen depuis le 31 mai pour corruption et violation du secret professionnel. Il est « soupçonné d’avoir fourni illégalement des informations à un agent marocain« , selon Libération.
L’une des missions de Charles D., en poste depuis 2014 à la tête de l’unité d’information de la PAF d’Orly, concernait la lutte contre le terrorisme. Il devait par exemple rédiger les fiches S pour les services spécialisés français. « Entre les mains de Charles D. transite donc une matière sensible« , raconte Libération qui accuse aussi le responsable français de récupérer des « informations confidentielles en toute illégalité« . Lors de sa garde à vue en mai, Charles D. a avoué que 100 à 200 rapports de passage de fichés S à la frontière ont été transmis.
A la une de Libération ce mardi : comment le Maroc a espionné la France via un trafic de fiches S à Orlyhttps://t.co/FJsBVy13wF pic.twitter.com/mfiJsSlsuN
— Libération (@libe) September 4, 2017
Par ailleurs, Driss A., directeur d’une société de sûreté de l’aéroport d’Orly, et d’origine marocaine, est soupçonné de servir d’intermédiaire entre le policier français et Mohamed B., l’agent marocain. « Quand des personnes suspectes atterrissent à Orly en provenance du Maroc, Driss A. avertit Charles D., qui les contrôle, à son initiative, et rédige des notes pour les services spécialisés français« , raconte Libération.
L’instruction en cours a révélé de nombreux échanges téléphoniques entre Driss A. et Charles D. Une relation de confiance se construit entre les deux hommes même si « Driss a clairement l’ascendant sur le policier » selon Libération.
« Monsieur A. devient détenteur de l’identité des ressortissants marocains liés à la mouvance islamiste et de tous renseignements utiles les concernant, qu’il transmet ensuite à l’agent de renseignement marocain afin que ces individus suspects puissent être surveillés à leur arrivée au Maroc« , résument les policiers chargés de l’enquête dans Libération.
Problème: cette transmission se fait en dehors de tout cadre légal, faute de contact direct avec les services de renseignement français, car « il existait des tensions entre la France et le Maroc« , explique Charles D. Pourtant, d’autres documents, notamment des notes sur le passage à la frontière d’un ancien haut responsable algérien et de deux ministres algériens ont par exemple été découvertes dans le bureau de Driss A.
Libération décrit les pratiques des deux responsables sécuritaires et leur intermédiaire comme « limites voire illicites ». Le quotidien cite par exemple le fait de délivrer des coupe-files ou de ne pas scanner le passeport des voyageurs à leur arrivée à Orly.
Vacances au Maroc tous frais payés
En retour des informations échangées, Charles D. a été invité par Driss A. et Mohamed B. au Maroc avec sa famille, « billets d’avion et hôtel 4 étoiles inclus« à trois reprises en août 2015, 2016 et avril 2017. Le prochain voyage-cadeau devait se faire le 1er juin en Angola, mais il a été placé en garde à vue trois jours avant son départ.
Une enquête a été ouverte depuis l’été 2016 par l’Inspection générale de la police nationale (IGPN). Les comptes de cet échange devraient être rendus dans deux semaines selon Libération. Le dossier a été remis à une juge d’instruction le 8 décembre 2016, ce qui a conduit à une vague d’arrestation le 29 mai.
Au final, seuls Charles D. et Driss A. sont poursuivis. Le premier reconnaît les faits, mais affirme désormais que sa hiérarchie était au courant – ce qu’il niait au début de l’instruction cédant seulement que ses liens avec Driss A. étaient connus, et que ce dernier était son « informateur » sur la plateforme.
« Encore récemment, les attentats en Espagne ont été commis par des Marocains, ce qui prouve l’importance de la coopération avec les services secrets du royaume. Mon client ne pensait pas agir contre son pays, mais dans l’intérêt de la France« , estime l’avocate de Charles D.
De son côté, l’avocat de Driss A. « déplore qu’à la suite d’une guerre des polices, (…) un canal très efficace entre deux États amis dans la lutte contre le terrorisme » ait été « détruit ». Le responsable sécuritaire et l’intermédiaire présumé seront entendus de nouveau en octobre.
« Paris et Rabat, nécessaires partenaires » selon LibéDans le reste du dossier, Libération complète les révélations par un article qui explique à quel point la « coopération entre les services de renseignements marocains et français, un temps gelée, parait indispensable depuis la vague d’attentats« . Le journaliste rappelle que le maillon de la DGED est surtout très serré en Espagne et en France où elle mobilise un gros budget, malgré le froid qui a sévi le 20 février 2014. « Pendant cette année où tous les ponts étaient censés avoir été coupés, des canaux étaient en réalité toujours ouverts« , explique un « fin connaisseur du monde du renseignement » cité par le quotidien. Les échanges d’informations ont repris après les attentats de Charlie Hebdo et de l’Hyper Cacher.[/encadre] |
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