Y a du AirBnb dans l'air

Fondée en 2008, la startup de la Silicon Valley a bouleversé le marché touristique mondial. Elle couvre aussi le Maroc, qui représente la seconde destination la plus prisée par ses clients en Afrique.

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Florian et Christophe, deux jeunes Français, visitent le Maroc pour la première fois. Mais pas question d’aller à l’hôtel, “trop cher et contraignant”, affirment-ils. Les deux voyageurs ont réservé, sur le boulevard Abdelmoumen à Casablanca, un petit studio cosy, loué à Soumia, une Marocaine qui réside en Suisse. Chaleureusement accueillis par Mama Aïcha, qui gère la location sur place, les deux touristes ne regrettent pas leur choix. “On n’a pas affaire à des salariés ou des ser- vices multiples. On est totalement libres”, explique Florian. Ici, les deux jeunes retrouvent presque tous les services qu’offre un hôtel standard (wifi gratuit, salle de bain privée, arrivées possibles 24h/24), mais au prix plus abordable de 330 dirhams la nuit. Et avec ce petit quelque chose en plus. “On a été accueillis comme si on était en famille. Mama Aïcha était aux petits soins et nous a laissé l’accès à sa terrasse”, continue Florian. Si le concept d’Airbnb — dont la devise promet “authenticité et convivialité” — réjouit les adeptes de l’hébergement chez l’habitant, il génère par contre la grogne des chaînes d’hôtels et des loueurs professionnels ainsi que des sites de réservation en ligne.

Location informelle

Lors de la création d’Airbnb en 2008, l’Afrique est encore très peu touchée. “Aujourd’hui, l’extension du marché est très bonne sur le continent”, affirmait Nicola D’Elia, directeur général Airbnb en Afrique et au Moyen-Orient à IT News Africa en mai 2015. Selon les derniers chiffres communiqués par Airbnb, 8000 logements étaient à louer au Maroc en 2015. Si bien qu’aujourd’hui, sur les 44 000 propositions de location sur le continent, le royaume est la deuxième destination la plus prisée, juste derrière l’Afrique du Sud. Désormais, les touristes peuvent, via la plate-forme gratuite, entrer directement en contact avec de potentiels loueurs marocains depuis leur pays de départ.

Une commission est prélevée au moment de la transaction, dont 3% sont payés par l’hôte, et de 6 à 12% par le voyageur. Airbnb vient directement concurrencer les hôteliers marocains de façon déloyale, selon Abdelaziz Samim, directeur de la Fédération nationale de l’industrie hôtelière : “Ils ne payent pas d’impôts. Depuis 2008, le chiffre d’affaires des hôtels est en baisse et cela s’accentue avec les effets de la digitalisation dont Airbnb est l’exemple le plus significatif”. Entre janvier-octobre 2010 et janvier-octobre 2016, les nuitées étrangères des non-résidents au Maroc ont baissé de 12%, selon Abdelaziz Samim. Pourtant, dans le même temps, on note une augmentation des recettes touristiques de 18%. “Ce paradoxe s’explique par le fait qu’avec l’expansion des marchés informels, dont Airbnb, les nuitées standards ne reflètent plus la réalité du tourisme au Maroc”, explique Samir Kheldouni Sahraoui, PDG de Chorus Consulting et président de la Com- mission stratégie et investissement à la Confédération nationale du tourisme (CNT). Pour lui, la migration des touristes vers Airbnb et l’informel en général est révélatrice d’un problème dans l’offre touristique : “La plupart des logements proposés sur Airbnb sont traditionnels, car c’est ce que recherchent les touristes qui viennent au Maroc. Ils ne veulent pas se retrouver dans un hôtel standard sans âme et sans saveur”.

La “sharing economy”

L’autre problème se situe au niveau du marché immobilier. Car si, pour certains, louer son appartement constitue un simple revenu d’appoint, c’est devenu pour d’autres un vrai business. Ce qui a entraîné une inflation des loyers et du prix de vente des appartements dans de nombreux pays touchés par le phénomène Airbnb. Quid du Maroc ? “La location via Airbnb n’a pas encore d’impact sur le prix de l’immobilier, car, pour ne citer que l’exemple de Casablanca, le stock d’appartements vides est très élevé. Les prix ont même baissé puisqu’un appartement qui se louait à 10 000 dirhams il y a quatre ans, au moment où l’entreprise prenait de l’ampleur au Maroc, se loue aujourd’hui à 8000 dirhams. Mais ce n’est que le démarrage. Si le phénomène continue à prendre de l’am- pleur, comme en Europe, cela risque de changer”, prédit Jean Ginon, agent immobilier à Maroc-Expat et fondateur du portail “La carte immobilière au Maroc”.

Ceux qui sont à l’origine de ces bouleversements sont pourtant bien loin du Maroc, installés sur la côte ouest des États-Unis. Comme les fondateurs de Facebook et Uber, Mark Zuckerberg et Travis Kalanick, les créateurs d’Airbnb, Brian Chesky et Joe Gebbia, font partie de ces jeunes milliardaires américains dont les idées ont changé le monde. D’ailleurs, les fondateurs ne ratent jamais une occasion pour raconter leur success-story. Les deux acolytes se sont rencontrés à l’école de design de Rhode Island. En 2007, leur diplôme en poche, ils décident de s’installer dans un appartement à San Francisco. Mais le loyer augmente, obligeant les colocataires à trouver rapidement une solution pour s’en ac- quitter à la fin du mois. Au même moment, une grande conférence sur le design sature le marché hôtelier de San Francisco. Eurêka ! Les deux amis installent trois matelas gonflables dans leur salon qu’ils mettent en location via un site créé en seulement 24 heures. Airbnb est né.

Se faire un Trips

Si l’idée surfait au départ sur un concept très en vogue d’économie de partage digitalisé, l’entreprise a dépassé ses attentes et changé le paysage touristique et immobilier à l’échelle mondiale. La startup de la Silicon Valley propose aujourd’hui plus de 3 millions de maisons disponibles dans 191 pays. Après une valorisation de 30 milliards de dollars, Airbnb est même devenue rentable au deuxième semestre 2016, rendant probable une introduction en Bourse en 2017 ou 2018. Une modification du paysage touristique imposée à laquelle les pays ont dû s’adapter en adoptant certaines règles pour encadrer cette jeune activité. En France, par exemple, où les hôtes français ont accueilli en juillet 2016 deux fois plus de voyageurs qu’en juillet 2015, les revenus de l’entreprise collaborative seront bientôt imposables.

Plus rien n’arrête la société californienne qui continue son expansion. Déjà, il y a trois mois lors de la conférence annuelle de l’entreprise, les fondateurs ont annoncé le lancement de l’application Trips qui propose des activités locales aux voyageurs à l’initiative de particuliers. Selon Bloomberg, Airbnb voudrait s’étendre à la réservation de billets d’avion en s’offrant une licence de données en ligne. Ce projet, connu sous le nom de Flight, pourrait être lancé d’ici un an. L’idée ? Faire en sorte que les utilisateurs puissent organiser leur séjour uniquement via la plateforme qui pourrait devenir, peut-être, une agence de voyages mondiale.

 

Article tiré du numéro 752 sorti le 17 février 

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