“La tombe n’est pas vide. Nous ne savons pas si c’est la chambre funéraire de Néfertiti, mais elle est pleine de trésors”, c’est ainsi que s’exprime le ministre du Tourisme égyptien, Hisham Zaazou, lors d’un déplacement en Espagne fin février dernier. Il ne fallait pas plus que cette petite phrase lâchée par le responsable égyptien pour que la machine médiatique s’emballe, relayée par les Unes du monde entier. C’est que Néfertiti, la reine à la beauté légendaire, épouse principale d’Akhenaton – le père de Toutankhamon –, morte plus de 1330 ans avant Jésus-Christ, fascine. Du plus académique au plus romanesque, l’intérêt est grand. Pas seulement celui des pilleurs de sépultures qui, au fil des siècles, ont eux aussi tenté en vain de découvrir l’emplacement de la chambre mortuaire. Elle est censée contenir monts et merveilles, à l’instar des 5000 objets intacts, vieux de 3300 ans, dont bon nombre en or massif, qui ont été retrouvés lors de la découverte de la tombe mitoyenne de Toutankhamon par l’archéologue britannique Howard Carter en 1922.
De l’industrie à la patrimonialisation
Si la découverte de cette tombe revêt une importance historique, elle n’est, en quelque sorte, que la partie émergée de l’iceberg de ce qui est en train de se jouer en Égypte. L’enjeu est moins de découvrir la tombe de telle ou telle grande figure de l’histoire des pharaons, que de comprendre la manière dont les Égyptiens de l’Antiquité, avec l’unique force de leurs bras, des outils rudimentaires et sans système métrique, ont pu ériger des édifices aussi monumentaux. La pyramide de Khéops, seule des sept merveilles du monde de l’Antiquité à avoir survécu jusqu’à nos jours, fut durant des millénaires la construction humaine de tous les records : la plus haute, la plus volumineuse et la plus massive. Objets de nombreuses études, analyses et interprétations scientifiques depuis le XIXe siècle, les pyramides n’ont pas encore livré les secrets de leur édification. Les percer à jour, c’est le but que s’est donné l’institut HIP (Héritage, Innovation, Patrimoine). Co-initiateur et coordinateur avec la faculté des ingénieurs de l’université du Caire, cet établissement de recherches à but non lucratif a lancé au mois de septembre dernier le projet Scan Pyramids Mission. Un projet piloté par le professeur Hany Helal, ancien ministre égyptien de la Recherche, et le Franco-marocain Mehdi Tayoubi. Cet ingénieur, vice-président chez Dassault Systèmes en charge de la stratégie et de l’innovation, est un spécialiste du développement d’univers virtuels appliqués aux défis du monde réel. “Les projets que nous développions jusque-là chez Dassault Systèmes répondaient à des besoins industriels”, nous explique-t-il, ajoutant : “A la faveur de rencontres décisives, j’ai monté il y a dix ans une équipe au sein de l’entreprise dont la stratégie était d’utiliser les ressources de la 3D et de la simulation pour développer des projets apparemment très éloignés de notre cœur de métier.”
Le pas de côté
Convaincu que “le meilleur moyen de faire des découvertes est de regarder les choses sous un autre angle”, l’ingénieur s’allie à des talents venus de divers horizons pour travailler sur des “sujets culturels et universels qui parlent à tout le monde et permettent ainsi d’offrir un terrain neuf aux ingénieurs et où chacun vient éprouver et confronter son savoir et son expertise en dehors de son domaine de compétence traditionnel.” C’est ainsi qu’outre des ingénieurs et des spécialistes en réalité virtuelle, l’équipe fait appel également aux talents d’historiens, de concepteurs de jeux vidéo, de dessinateurs tel qu’Enki Bilal, ou encore de metteurs en scène comme Luc Besson. “C’est lors de notre tout premier projet en 2008, la simulation du chantier de construction de la pyramide de Kheops selon la théorie de l’architecte Jean-Pierre Houdin, que j’ai eu le privilège de rencontrer et de travailler avec l’égyptologue de l’université de Harvard, Peter Der Manuelian. Enthousiasmé par notre méthode de travail qui permet de dépasser les clivages entre disciplines, il nous a rejoints et, durant cinq ans, nous avons procédé à une reconstitution 3D très précise du plateau de Gizeh tel qu’il était il y a 4500 ans, avec tous ses monuments, pyramides, tombes, mastabas…”, explique Tayoubi. Et l’ingénieur qui, durant ses années d’études au lycée Lyautey de Casablanca, ne comprenait pas pourquoi il fallait choisir entre une voie scientifique et une autre, plus culturelle, et laissant cours à l’imaginaire, de conclure : “C’est suite à cette modélisation du plateau de Gizeh que j’ai pris vraiment conscience qu’il n’y a pas besoin de séparer science et imagination. Les deux se rejoignent et forment un tout. Si nous étions parvenus à explorer des pyramides de manière virtuelle, nous allions aussi le faire dans le monde réel en fédérant encore plus de disciplines et de compétences.” Explorer sans abîmer Après avoir mis en œuvre en 2010, avec l’université de Leeds, un robot capable d’explorer les conduits de la chambre dite de la Reine de Kheops, Mehdi Tayoubi s’associe en 2015 au dessinateur et scénographe Fran- çois Schuiten et au professeur de l’université du Caire, Hany Helal, pour fonder l’institut HIP. Sa première mission, sous l’autorité du ministère égyptien des Antiquités, est de comprendre la structure interne des pyramides. “Les différentes théories concernant ces structures et la manière dont elles ont été construites, notamment celle de l’existence d’une rampe intérieure, souffraient de ne pouvoir être vérifiées du fait qu’il est interdit de toucher aux pyramides”, explique l’ingé- nieur au profil de geek, mais aux méthodes dignes d’un Sherlock Holmes. Et il ajoute : “De cette contrainte, nous avons fait un atout. Puisque nous ne pouvions explorer de manière physique l’intérieur de ces monuments, nous allions ‘regarder’ au travers de leurs murs.”
Physique quantique
En coordination avec les autorités égyptiennes, ce sont quatre pyramides qui sont choisies pour faire l’objet de recherches : les pyramides de Kheops et de Khéphren situées sur le plateau de Gizeh, et les pyramides Nord et Sud, situées sur le site de Dahchour, au sud du Caire. Faisant appel à ce qui se fait de plus avancé en termes de technologies non destructrices et “non invasives”, l’Institut HIP s’adjoint les compétences de spécialistes en la matière. Quatre techniques innovantes sont retenues et mises en place dès le mois de septembre 2015. Celles de la thermographie infrarouge (mission courte) et de la thermographie modulée (mission longue) sont utilisées dans l’industrie aérospatiale. Des caméras infrarouges sont ainsi installées autour des sites explorés lors de campagnes menées avec les équipes de l’université Laval, au Québec. Sur des périodes plus ou moins longues, elles sont destinées à dresser des cartes thermiques des pyramides. Ces cartes permettent d’agréger et de recouper les relevés pour détecter les différences de degrés thermiques. Pour résumer, plus une zone est froide, plus elle est susceptible de correspondre à des cavités, des chambres ou des couloirs, à l’intérieur des monuments. La troisième technique est celle développée par des scientifiques japonais spécialistes en physique quantique. Ces derniers ont mis au point une technologie qui permet de prévenir les éruptions volcaniques et qui, utilisée dans le cas d’espèce, consiste à installer à l’intérieur des édifices des capteurs de muons, ces particules cosmiques provenant des hautes couches de l’atmosphère terrestre, qui bombardent en permanence la terre. Pour cette technique des plus futuristes, Scan Pyramids a fait appel aux compétences des chercheurs de l’université de Nagoya (voir encadré page précédente). La dernière technique est celle combinant photogrammétrie et drones pour reconstituer en 3D, à partir d’une grande quantité d’images prises de points de vue différents, les plateaux de Dahchour et de Gizeh avec tous leurs monuments (pyramides, temples, le Sphinx…). Cette technologie, déployée avec le concours d’Iconem et de Parrot, fabricants de drones, est la même qui a été utilisée pour établir des cartographies en 3D détaillées des sites majeurs ayant été détruits ou ayant subi des détériorations durant le conflit syrien.
Un big-bang archéologique
Les premières analyses effectuées par la campagne infrarouge de courte durée de Scan Pyramids Mission ne se font pas attendre. Très vite, elles relèvent des anomalies de température au niveau des quatre pyramides. La plus saisissante concerne la pyramide de Khéops : jusqu’à 6 degrés d’écart entre deux blocs de granit voisins de sa façade est. Une différence considérée par les spécialistes comme “énorme” puisque la moyenne se situe plutôt autour de 0,1 à 0,5 degrés de différence. Enhardies par les résultats des mesures de HIP, les autorités égyptiennes demandent aux membres de la Mission d’effectuer également une campagne infrarouge au niveau du tombeau de Toutankhamon dans la Vallée des rois, à Louxor. Un tombeau qui, n’étant pas situé à l’intérieur d’une pyramide, faisait jusquelà l’objet de recherches archéologiques menées par deux autres missions : celle du professeur Watanabe et celle de King Tut . Une seconde campagne de mesures radar est menée par le professeur Watanabe. Elle conclut à l’existence probable à 90% d’un tombeau. S’agit-il de celui de Néfertiti?… À l’heure où nous mettons sous presse, de nouvelles annonces “fracassantes” sont attendues par la communauté scientifique. Ayant décrété 2016 année des pyramides, les autorités égyptiennes misent gros sur la communication autour des découvertes à l’intérieur de ces monuments pour donner un nouveau souffle à l’économie égyptienne fortement dépendante des recettes en devises tirées du secteur touristique. Une manière de relancer la croissance du pays en faisant appel aux joyaux de l’Egypte éternelle.
Par Omar M’rani
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