Un sit-in pour dénoncer les viols après la diffusion de la vidéo montrant l’agression sexuelle de la jeune Zineb dans un bus à Casablanca, deux camps distincts. D’un côté, une centaine de manifestants, en plus de la presse et des curieux. De l’autre, plusieurs personnes, majoritairement des hommes, essayant de décrédibiliser la manifestation.
Manifestation à Casablanca après l’agression sexuelle collective dans un bus pic.twitter.com/ZPZIGVdEeG
— Cyril Castelliti (@13kapsy) 23 août 2017
Pourquoi aller à la manif quand il y a un spectacle?
En nous dirigeant vers le sit-in, nous traversons différentes ambiances abracadabrantes. À peine arrivés, on distingue bien les clans. Il y a d’abord les curieux se mettant à l’écart en s’assurant qu’on ne les prenne pas pour des manifestants « troublant l’ordre public« . Il y a surtout les manifestants, scandant des slogans forts et brandissant des pancartes disant « l’habit ne fait pas le viol » ou encore « ce n’est pas parce que je suis dans un lieu public que mon corps en est un« . Il y a enfin les détracteurs, accostant les personnes une à une en essayant de rallier les autres à leur camp.
Alors, on observe. La place est immense, mais le sit-in regroupe à peine une centaine de personnes. À quelques mètres près 150 personnes sont regroupées autour d’acrobates offrant un spectacle de rue assez violent. Il y a quelques femmes qui profitent du spectacle. Nous les accostons pour savoir pourquoi elles ne font pas partie de celles qui manifestent pour leurs droits. « Je préfère voir le spectacle. C’est plus distrayant« , nous avoue l’une d’elles.
Débats de sourds
Petit à petit, des débats se créent ici et là. Un homme attire particulièrement notre attention. Il a la quarantaine, et porte une chemise à carreaux froissée. Sa technique est simple: il s’avance vers les manifestants, et lance une phrase provocante. Il titille vicieusement jusqu’à ce que les manifestants – et particulièrement les manifestantes – sortent de leurs gonds, à coups de réflexions du style: « Si les femmes savent aussi fort, pourquoi la petite jeune n’a-t-elle pas essayé de se défendre tout simplement? », « vous êtes bonnes à gueuler, mais dès qu’on vous agresse, il n’y a plus personne« , « en même temps, si vous êtes convaincues que les Marocains sont des animaux, il vaudrait mieux ne plus sortir habillées comme des prostituées« .
Il est alors rejoint par une dizaine d’hommes soutenant ses propos, avec un demi-sourire au coin des lèvres. En face d’eux se tiennent deux jeunes filles, cheveux au vent, libres. Commence alors un débat de sourds. Les hommes prétextent de leur supériorité en nombre pour asseoir leur supériorité dans l’absolu.
« La femme ne doit pas s‘habiller à sa guise. Elle ne doit même pas travailler, à moins que ce soit dans l’éducation ou en cuisine » s’insurge l’un d’eux. « Si la mère de ces adolescents avait éduqué ces enfants au lieu d’aller travailler, nous n’en serions pas là aujourd‘hui », renchérit un autre. En somme si ce n’est pas la faute de la victime c’est forcément la faute d’autres femmes, en l’occurrence les mères des agresseurs.
L’une des deux filles répond que « l’éducation des enfants est la responsabilité d’un couple. Aujourd’hui la femme est libre de ses choix« . Mais ses vis-à-vis ne sont pas là pour discuter. Ils reprennent quelques versets du coran assez approximativement, se perdant dans leurs mots durant leur argumentaire, assurant que « du temps du prophète les femmes ne travaillaient pas« . Pourtant, même la première femme du prophète était une femme active. Mais cette partie de l’histoire de l’Islam, ils n’en ont cure.
« La femme du commandeur des croyants fait ce qu’elle veut »
Le débat est de plus en plus houleux. Ils parlent du voile, alors les affranchies se révoltent en prenant comme exemple Lalla Salma. « Mais c‘est la femme du commandeur des croyants, elle fait ce qu’elle veut« , crie l’un des opposants. « Justement si le commandeur des croyants lui-même prône la liberté de sa propre femme nous devrions tous et toutes être pour la liberté des femmes« , objecte sèchement l’une des manifestantes.
Après une vingtaine de minutes de débat, les détracteurs se rendent compte de la présence de la presse, alors ils nuancent leurs propos. Ils déclarent désormais « condamner l’agression du bus« , mais insistent sur le fait que « notre prophète a donné de l’importance à la mère. Avant il n’y avait que les hommes qui travaillaient pour les protéger, raison pour laquelle nos mères n’ont pas subi de telles agressions« .
Alors que nous allions traverser la rue, un quinquagénaire nous accoste. « Je ne comprends pas, qui sont ces gens« , dit-il. Alors que nous tentons de lui expliquer le but de la manifestation, il nous interrompt: « Oui je sais, la jeune fille du bus. Mais qui sont ces gens ? Qui les envoie? Ce sont encore les suprémacistes blancs qui veulent faire exploser le pays de l’intérieur ? »
Au même moment une femme portant le voile intégral traverse la rue, en s’approchant des manifestants son mari effrayé la prend par la main. Plus loin, vers la zone des taxis un sexagénaire, l’air très sage, nous apostrophe. Il tient une longue pipe entre les mains, la remplit de kif, tire deux grandes bouffées et nous dit le plus sérieusement du monde « le seul moyen pour s’en sortir, si vous avez un peu d’argent, c’est de prendre vos clics et vos clacs et de quitter le pays« .
Vous devez être enregistré pour commenter. Si vous avez un compte, identifiez-vous
Si vous n'avez pas de compte, cliquez ici pour le créer