Egalité femme/homme: le plan Icram jugé "idéologique et partisan" par des féministes

La ministre de la Famille Bassima Hakkaoui a présenté le bilan du Plan gouvernemental de l'égalité (PGE) 2012-2016 et le nouveau plan Icram 2 qui doit être lancé à la rentrée. Si le gouvernement avance 75% de taux de réalisation des mesures d'Icram 1, des associations féministes dénoncent une approche conservatrice et inégalitaire.

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Manifestation féministe au Maroc

À l’heure du bilan du plan gouvernemental d’égalité Icram 1 et de la présentation de Icram 2, que reste-t-il des ambitions initiales de l’ancienne ministre PPS Nouhza Skalli de faire progresser les droits des femmes à la fois sur le plan juridique et à travers la diffusion de la « culture de l’égalité »?

Sa remplaçante depuis 2012, la ministre PJD Bassima Hakkaoui, a présenté son bilan sous la forme d’un rapport de 340 pages détaillant les réalisations du programme Icram (Initiative concertée pour le renforcement des acquis des Marocaines) sur la période 2012-2016. Doté d’une enveloppe de 450 millions de dirhams financés en partie par l’Union européenne, il repose sur 8 axes relatifs notamment à la lutte contre les violences et les discriminations faites aux femmes, l’accès à l’éducation, à la santé, à l’autonomisation économique et à l’égalité des chances sur le marché du travail.

Le domaine de la « culture de l’égalité et de son encrage institutionnel, présent dans la première mouture, a été écarté suite à la refonte opérée par la ministre actuelle lorsqu’elle a repris le dossier« , précise Saïdi Idrissi, présidente de l’Association de défense des femmes marocaines (ADFM) à Rabat.

Sur les 156 mesures prévues, le rapport gouvernemental indique que 134 ont atteint « un taux de réalisation dépassant 80% » dont 117 « réalisées à 100%« . Joint par Telquel.ma, le département de la femme au sein du ministère nous indique que « les mesures non finalisées seront reportées sur le plan Icram 2« .

Mais plusieurs associations, telles que l’ADFM, la Ligue démocratique des droits des femmes ainsi que des structures locales, confrontent les chiffres avancés par le ministère avec les indicateurs concrets, notamment ceux du Haut Commissariat au Plan (HCP), qui démontrent plutôt un renforcement des discriminations à l’égard de femmes marocaines. Pour ces associations, qui n’ont pas été impliquées dans le travail gouvernemental en dépit de l’article 19 de la Constitution, le plan Icram a une « connotation idéologique et partisane« .

« La formulation du titre, Icram, relève de la charité et pas de l’égalité »

Pour Khadija Rougani, avocate et féministe membre de l’ADFM, « rien que le nom du programme, ‘Icram’, est révélateur de l’approche inégalitaire du gouvernement: en arabe cela veut dire que l’on fait des faveurs aux femmes, ce qui relève davantage de la bonne volonté que de l’égalité ».

Même son de cloche du côté de Fouzia Assouli, présidente de la Fédération de la ligue démocratique des droits des femmes, qui rappelle qu’à la base, le programme devait s’appeler « Agenda gouvernemental de l’Égalité ». « On a glissé d’un droit à de la charité, d’une vision égalitaire à une approche caritative qui est basée sur la domination du patriarcat« , souligne-t-elle.

Pour Fouzia Assouli, c’est la question de l’universalité des droits qui se pose. « Le programme, tel qu’il est construit, n’amène pas à reconnaître l’égalité de tous les droits« , déplore-t-elle.

Des indicateurs inquiétants sur la situation des femmes

Pour Saïda Idrissi, présidente de l’ADFM, « il n’y a pas d’indicateur qualitatif ni de suivi dans le bilan d’Icram 1″. S’agissant des nombreuses instances créées dans le cadre du programme, comme l’Observatoire national de la violence à l’égard des femmes, l’Observatoire national pour l’amélioration de l’image de la femme dans les médias, l’Observatoire national pour la fonction publique ou encore le Centre d’excellence pour la budgétisation sensible au genre social, la militante considère qu’on « n’arrête pas de créer des coquilles vides qui absorbent des fonds publics« .

Elle relève l’inefficacité intrinsèque de ces instances où « le ministère est juge et partie. Par exemple concernant l’observatoire national de la violence à l’égard des femmes, celui-ci ne peut pas être indépendant puisqu’il est inclus dans un service du ministère« .

Concernant les violences à l’égard des femmes, Khadija Rougani rappelle quant à elle que « les résultats de l’enquête du HCP présentés en janvier 2011 font état de 6 millions de femmes victimes de formes de violences, qui peuvent être complexes et multiples, mais dont les premières sont les violences conjugales. Seulement 3% des femmes portent plainte, car il y a un déficit d’accès à la justice et de sensibilisation, mais également une culture misogyne qui tolère la violence à l’égard des femmes chez les magistrats et dans la police ».

Quant au projet de loi 103-13 relatif aux violences à l’égard des femmes, qui ne criminalise pas le viol conjugal et permet toujours de poursuivre les victimes de viol pour « actes sexuels illicites » dès lors qu’elles ne parviennent pas à prouver le non-consentement, l’avocate considère qu’il « n’a rien à voir avec les femmes, car il concerne la famille dans sa globalité« .

Fouzia Assouli considère également que « pour évaluer l’impact d’un programme, il faut voir les indicateurs. En l’occurrence, le rapport du Conseil national des droits de l’homme (CNDH) sur l’égalité et la parité ainsi que l’avis du Conseil économique social et environnemental (Cese) sur les dimensions sociales de l’égalité entre les femmes et les hommes qui démontrent très clairement l’échec du programme Icram« .

Elle évoque le « recul du taux d’activité des femmes, aujourd’hui à 23,5%, l’augmentation du taux de chômage des femmes en milieu urbain, la précarisation qui ne cesse d’augmenter ». Le seul indicateur positif qu’elle note est « l’augmentation du taux de représentativité des femmes en politique, actuellement autour de 26%, même si comparé à nos voisins nous sommes en retard (33% en Algérie par exemple). Concernant la représentativité dans les sphères de décision, on est encore loin du compte puisque 11% seulement de femmes occupent des postes de direction », tempère-t-elle.

Un discours gouvernemental « discriminatoire envers les femmes »

Pour la présidente de la Fédération de la Ligue démocratique des droits des femmes, il y a un paradoxe entre la volonté affichée par le gouvernement de mettre en place un programme d’égalité femme/homme et le « discours politique qui est dominé par des propos discriminatoires envers les femmes« .

Au cours des 5 dernières années, le gouvernement de Benkirane a surfé sur la discrimination, le machisme et la culture patriarcale pour gagner des voix : il y a eu une remise en question du travail des femmes au cours d’un discours de l’ancien chef du gouvernement au Parlement, mais également une mise en cause de l’enquête du HCP concernant la violence faite aux femmes notamment sur les aspects psychologiques. Monsieur Ramid s’est permis des sorties concernant les libertés individuelles, le mariage des mineures, la polygamie. En somme, on n’a pas cessé d’humilier les femmes et de toucher à leur dignité.

Fouzia Assouli

Icram 2, un effet d’annonce et beaucoup d’inconnues

Du plan Icram 2, nous savons seulement qu’il se déroulera sur la période 2017-2021 et qu’il comprendra 7 axes, sensiblement similaires au premier Icram, sans que l’axe relatif à la culture de l’égalité et à son encrage institutionnel n’ait été réintégré. Le gouvernement prévoit de mettre l’accent sur le « renforcement de l’employabilité et l’autonomisation économique des femmes » et de mettre en place une « déclinaison territoriale ». En revanche, les droits des femmes sont toujours considérés comme indissociables du contexte familial puisque l’axe 2 s’intitule « droit des femmes en relation avec la famille ».

Alors que la mise en œuvre du plan devrait débuter en septembre, la feuille de route comprenant les mesures concrètes n’est toujours pas finalisée.

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