Mohamed Laârej veut revoir le système d'aide aux acteurs culturels épinglé par la Cour des comptes

Après avoir gelé les subventions aux acteurs  culturels pour évaluation, le ministre de la Culture promet de débloquer l'aide au titre de l'année 2016-2017. Il annonce aussi une refonte du système d'aide critiqué par le dernier rapport de la Cour des comptes.

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Le ministre de la communication et de la culture. (c) DR

Les professionnels du théâtre sont en colère. Depuis plusieurs semaines, ils dénoncent le retard dans le versement des subventions du ministère de la Culture. « Ces retards ont un impact négatif sur le rapport des troupes de théâtre avec les contractuels, mais aussi sur l’état du théâtre. C’est une manière de bafouer les acquis des professionnels du théâtre« , assène la Fédération marocaine des troupes de théâtre professionnel dans un communiqué daté du 27 juillet.

Ce que les professionnels du métier ignorent à ce moment, c’est que le nouveau ministre de la Culture et de la Communication, Mohamed Laârej, a décidé de geler les subventions allouées aux associations culturelles, d’u montant global de 65 millions de dirhams (toutes disciplines confondues). L’objectif: évaluer le système d’aide, mis à nu dans le dernier rapport de la Cour des comptes publié en avril 2017.

« Je viens à peine de commencer ma mission à la tête de ce ministère et je m’estime chanceux d’avoir comme repère le dernier rapport de la Cour des comptes. La question des subventions est un des points importants de ce rapport, et même au parlement on nous l’a notifié. C’est donc tout à fait normal qu’une évaluation soit mise en place« , expliquait Mohamed Laârej dans les colonnes du magazine TelQuel au mois de juin. « Je ne suis pas contre les aides et je ne cherche pas à les supprimer, mais je dis qu’il faut se donner le temps de comprendre pour que les choses fonctionnent de manière transparente« , avait-il ajouté.

En juin dernier, une commission spéciale a épluché les dossiers de soutien de chaque discipline (théâtre, livre, musique, arts plastiques…) sur les quatre dernières années. Et un rapport a été remis au ministre courant juillet.

Verdict? « Après le travail de la commission, le ministre a décidé d’adopter une nouvelle approche participative dans l’attribution des subventions. Cette approche reposerait sur la gouvernance et la transparence« , nous explique une source autorisée au sein du ministère de la Culture.

« Nous sommes en train de travailler sur les détails de cette stratégie, mais l’objectif est de créer des caisses de soutiens et de rechercher de nouvelles manières de financements« , insiste notre interlocuteur. Malgré les failles du système, le ministre a décidé de débloquer l’aide aux professionnels subventionnés au titre de l’année 2016-2017. « Notre priorité est de débloquer l’aide pour les associations sélectionnées. Nous sommes en pleines négociations avec la primature et le ministère des Finances« , assure notre source.

Théâtre en question

Le rapport de la Cour des comptes, qui couvre la période 2003 à 2014, accable en particulier le théâtre et l’édition. Ces deux disciplines sont subventionnées à hauteur de 15 millions de dirhams chacune, selon les chiffres du bilan du ministère de la Culture (2012-2016).

Pour le théâtre par exemple, le rapport note que les procédures d’octroi des aides ne sont pas respectées, tant au niveau de la sélection que du suivi du parcours des projets subventionnés. Des documents comme le contrat de soutien, la fiche détaillée des dépenses ou même la fiche modèle servie par la commission de sélection ne sont pas justifiés par le ministère.

Par ailleurs, les troupes subventionnées ne respectent pas les termes du contrat de soutien. Elles changent ou réduisent le nombre d’acteurs à leur guise, ne respectent pas le programme du spectacle subventionné, « condition nécessaire à l’octroi du soutien ». « Certains bénéficiaires peuvent accumuler dans le même projet plusieurs tâches à la fois (scénariste et acteur unique), leur rémunération pourrait atteindre 50 % du montant du soutien », ajoute le rapport.

« Les remarques du rapport au sujet du soutien au théâtre ne m’étonnent pas. Le ministère cumule depuis des années des irrégularités incroyables. Chaque nouveau ministre tente d’y remédier, mais finit toujours par baisser les bras », relève le metteur en scène Jaouad Essounani, de la troupe Dabateatr. « Je soutiens cette décision, j’espère simplement que le nouveau ministre ira jusqu’au bout« , poursuit-il.

De son côté, le metteur en scène Messaoud Bouhcine, président du Syndicat des arts dramatiques, estime que « le rapport de la Cour des comptes ne soulève rien de grave. Les dysfonctionnements, on en trouve partout. Dire qu’il y avait l’anarchie au ministère et que l’argent y était distribué à tout-va, c’est faux« .

Livre ouvert

Bien que les professionnels de l’édition ne soient pas mobilisés pour appeler au déblocage des subventions de leur secteur, la situation du livre n’est pas plus reluisante. La Cour des comptes indique que la commission de soutien à l’édition n’a pas respecté certaines dispositions règlementaires en vigueur. Réservée exclusivement aux éditeurs, l’aide a été pourtant octroyée à l’Union des écrivains du Maroc et à des associations comme Izdihar (association des opérateurs économiques de la zone industrielle de Sidi Bernoussi).

En 2014 par exemple, il a suffi à l’Union des écrivains du Maroc et à la maison d’édition La croisée des chemins de déposer une liste de livres pour obtenir l’aide du ministère, alors que la procédure exige la présentation « de fiches détaillées sur le contenu, l’auteur et le volume de chaque livre ». Tandis que l’aide est plafonnée à deux ouvrages subventionnés par auteur et par an, la Cour des comptes a relevé que cette consigne n’a pas été respectée.

Le rapport affirme ainsi que « l’aide profite essentiellement aux grandes maisons d’édition« . Cinq éditeurs ont bénéficié du soutien pour 175 livres, soit l’équivalent de 50% des livres soutenus durant la période 2003 à 2008.

La Cour des comptes concède cependant que, depuis 2014, de nouvelles dispositions ont été prises pour réguler le mécanisme d’octroi du soutien. Mais une fois l’aide attribuée, le ministère est incapable de savoir si les ouvrages ont bien été édités et distribués, car aucun mécanisme de suivi n’a été mis en place.

« Les magistrats de la Cour des comptes ont commis une faute. Ils ont analysé les données de 2003 à 2014, omettant toutes les actions qui ont été entreprises après« , répond Mohamed Amine Sbihi, ministre de la Culture sous Benkirane. « Ça décrédibilise le travail qu’on a réalisé au cours des cinq dernières années« , conclut-il.[/encadre]

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