Interview: Au Venezuela, "une menace latente de guerre civile"

Manifestation au Venezuela. Crédit : AFP.

10 personnes sont mortes ce week-end au Venezuela alors que le pays était appelé à voter une Assemblée constituante censée renforcer le pouvoir du président. Un scrutin boycotté par l’opposition, alors que le pays s’enlise dans la crise. Interview.

Docteur en sciences politiques à l’université Paris VIII, Thomas Posado est un fin connaisseur de la situation politique du Venezuela, pays où il a vécu en continu entre 2006 et 2007. Après deux autres séjours en 2010 et 2013, il a réalisé sa thèse sur la recomposition du champ syndical vénézuélien. Face à un climat social qui s’est considérablement dégradé, il confie son analyse, et son manque d’optimisme quant à une issue rapide à la crise actuelle.

Quels étaient les enjeux du scrutin de ce week-end? 

Il s’agissait de voter pour une Assemblée constituante. Le président l’a proposée, ou imposée selon les points de vue, comme une solution au cycle de violence qui agite le pays. La mission de cette Assemblée sera d’écrire une nouvelle constitution pour évincer l’Assemblée nationale, où l’opposition est majoritaire.

Il y a deux semaines, celle-ci avait de son côté organisé une « Consulta popular » (consultation populaire, NDLR) autour de trois questions: l’appel à se prononcer contre l’Assemblée constituante, l’appel aux forces armées à prendre parti pour l’opposition, et l’appel à la création d’un gouvernement d’unité nationale.

Comme pour le scrutin de l’Assemblée constituante, les organisateurs de cette consultation ont indiqué une participation de plus de 40%. Ce qui est difficilement vérifiable. Dans les faits, chacun boycotte les élections initiées par le camp adverse. Les électeurs sont nombreux dans les urnes, mais les parties adverses ne s’y croisent pas.

Qu’en est-il de la légitimité du président ? 

Le problème de ces élections, c’est qu’il n’y a pas d’assesseur contraire. Nicolas Maduro a revendiqué plus de 8 millions de votants ce week-end, ce qui correspond à peu près au score d’Hugo Chavez au maximum de sa popularité. Mais ces estimations, comme celles de l’opposition, sont invérifiables…

Quelle est la part du pays qui soutient encore le président ?

Il bénéficie encore de sa base électorale traditionnelle chez les classes populaires qui croient encore à un projet qui, à ses débuts, a vraiment redistribué les richesses. Hugo Chavez avait tout de même construit un million de logements et réussi à faire baisser la pauvreté. Cette politique avait d’ailleurs été dénoncée par une opposition qui n’a pas toujours été fidèle à son discours démocratique actuel. En 2002, Chavez avait par exemple échappé à un coup d’État militaire.

Quel est le profil sociologique de cette jeunesse qui manifeste contre Maduro ? 

C’est très difficile à évaluer dans la mesure où il n’y a pas d’études sérieuses à ce sujet. On retrouve essentiellement des jeunes de classes moyennes et supérieures, traditionnellement opposées à Hugo Chavez. Mais certains jeunes des classes populaires commencent aussi à manifester, ce qui est un phénomène nouveau.

D’autre part, une partie de la jeunesse aisée est dans une logique de revanche sociale, notamment lorsqu’elle a incendié l’ancien domicile d’Hugo Chavez. C’est un geste symbolique.

Après des mois de conflit violent, qu’en est-il des revendications de l’opposition ?

Elles se concentrent principalement sur la tenue d’élections générales avec le départ de Maduro. Celui-ci a fait un geste d’apaisement relatif en libérant le leader d’une des franges les plus radicales de l’opposition: Léopoldo Lopez, condamné à plus de 10 ans de prison. Il reste cependant assigné à résidence.

Les médias rapportent traditionnellement des images de violences entre forces armées et manifestants. Qu’en est-il des affrontements entre manifestants de camps adverses ? 

Entre les Colectivos (partisans de Maduro) et les Guarimberos (opposants), les affrontements existent. Mais nous ne sommes pas encore dans une situation de guerre civile. Même s’il y a déjà eu des groupes armés qui tentent d’empêcher des rassemblements des deux côtés.

L’armée et la police sont-elles encore fidèles au gouvernement ? 

Ils restent relativement loyaux malgré les appels du pied de l’opposition. Leur condition économique est moins défavorable. Certains hauts gradés ont même des postes importants dans le gouvernement. Maduro a augmenté leur marge de valeur pour leur prouver son attachement, là où Chavez n’en avait pas besoin, car il était directement issu de l’armée. 

Hugo Chavez bénéficiait d’une image jeune, populaire et subversive. Aujourd’hui, cette image semble captée par l’opposition. Comment expliquez-vous ce basculement ?

Le temps passe… Chavez avait cette image à ses débuts, mais la situation économique n’est plus la même. Hugo Chavez bénéficiait d’un cours du pétrole extrêmement élevé. Celui-ci a particulièrement baissé au cours de ces dernières années. Rappelons que le pays possède les premières ressources de pétrole prouvées au monde, et que plus de 90% de son économie repose sur ce secteur.

Nicolas Maduro n’a également pas la capacité charismatique de Chavez qui avait une histoire et un sens politique. Aujourd’hui, il va de report d’élections en report d’élections. Et lorsqu’elles ont lieu, le scrutin est tellement biaisé que l’opposition n’y participe pas.

Comment le pouvoir arrive-t-il à se maintenir malgré une opposition aussi massive?

Le gouvernement continue de développer un certain nombre de programmes sociaux. Concernant la pénurie alimentaire, l’une de ses mesures phares a été la mise en place de comités locaux d’approvisionnement et de production (CLAP) chargés de délivrer un panier-repas par famille.

Avant cela, beaucoup achetaient des produits au supermarché avant de les revendre au prix fort sur le marché noir. Mais les paniers ont du mal à être acheminés dans les zones défavorables au gouvernement. Il y a aussi un phénomène de clientélisme qui se développe. Ces paniers étant implicitement délivrés contre un soutien politique. 

Le président Maduro évoque régulièrement l’influence des États-Unis dans le mouvement social que son pays traverse. Quel est réellement le rôle de ce pays dans la crise vénézuélienne ? 

Les États-Unis sont traditionnellement proches de l’opposition. Le pays était d’ailleurs l’un des rares à reconnaître la légitimité du gouvernement éphémère issu du coup d’État de 2002. Même si celui-ci n’a tenu que 48h. Jusqu’à présent, nous n’avions pas de signe précis de son implication dans le conflit.

Mais ces dernières semaines, Trump a menacé le gouvernement de sanctions lourdes en cas d’adoption de l’Assemblée constituante. Désormais, les États unis sont ouvertement partisans de l’opposition, ce qui peut être contre-productif. Maduro pouvant ainsi mobiliser le pays en jouant la carte de la souveraineté nationale, face à un pays au passé controversé en Amérique latine. 

Quel intérêt représente le Venezuela aux yeux des États-Unis ?  

L’enjeu pétrolier est primordial. Malgré tout ce que Chavez a pu dire de désagréable envers les États-Unis. Ce dernier reste son premier client, ainsi que son premier fournisseur en termes de biens en tout genre. Derrière les discours, il y a un certain pragmatisme de la part des deux pays. 

Nicolas Maduro semble chercher à renforcer son pouvoir plutôt que trouver une solution à plusieurs. Comment voyez-vous l’évolution de cette politique à l’avenir ?

Je ne suis pas vraiment optimiste. Vu le niveau actuel de polarisation, soit le gouvernement est renversé, soit l’opposition arrête de manifester. Mais si les deux persistent, on se dirige vers une escalade de la violence qui a déjà conduit à une menace latente de guerre civile.

On peut aussi imaginer qu’une troisième voix, qui ne se reconnaît ni dans le gouvernement ni dans l’opposition, émerge. Dans tous les cas, le vainqueur devra affronter une situation économique catastrophique avec une monnaie qui s’est effondrée, une dette extérieure grandissante, et une crise alimentaire majeure.

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