Article paru dans le numéro 766 de TelQuel publié le 26 mai
Dimanche 21 mai, à Retba, dans la province de Taounate. Les commandants des places d’armes de Fès et Taza, ainsi que des officiers de l’état-major général des Forces armées royales (FAR) et l’état-major zone sud sont réunis pour un dernier adieu au caporal-chef Abdeljalil Zitouni. Le jeune homme a trouvé la mort le 8 mai, à tout juste 32 ans, suite à l’attaque d’un convoi de la Minusca (Mission multidimensionnelle intégrée de stabilisation des Nations Unies en Centrafrique), dans la région de Bangassou, à 600 km à l’est de la capitale Bangui.
En même temps, à Tazarine, près de Zagora, se déroulaient les obsèques de l’adjudant-chef Mbarek Aziz. Agé de 48 ans, ce père de quatre enfants a, lui, été tué le 13 mai lors de l’assaut du quartier musulman et de la base opérationnelle de la Minusca de Bangassou par un groupe de cinq à six cents hommes. Bilan : 130 victimes, essentiellement des civils. Cette nouvelle flambée de violence témoigne de la difficulté à résoudre la crise en Centrafrique. Une crise entrée dans une phase particulièrement meurtrière depuis mars 2013, date où la coalition de mouvements rebelles, la Seleka, en provenance de l’est du pays et conduite par Michel Djotodia, avait chassé le président Francois Bozizé du pouvoir.
Affrontements interconfessionnels
Constituée fin 2012, la Seleka réunissait des groupes entrés en rébellion depuis plusieurs années, dont les motivations politiques déclarées évoquaient la marginalisation des régions méridionales du pays, où les minorités musulmanes sont relativement plus importantes que dans le reste de la Centrafrique. Les différents groupes de la Seleka comptaient une grande majorité de musulmans, des Peuls, mais aussi des mercenaires tchadiens. Leur arrivée et l’installation pour la première fois d’un musulman (Michel Djotodia) à la tête de l’Etat ont été perçues comme une revanche historique par la minorité musulmane, qui s’estimait discriminée. Les exactions particulièrement brutales auxquelles se sont alors livrées les troupes de la Seleka ont semé la terreur dans la population, notamment chez les chrétiens. Francois Bozizé, en fuite à l’étranger, et ses partisans à l’intérieur du pays ont armé des milices d’autodéfense villageoise, les anti-balakas, qui ont repris le contrôle de Bangui le 5 décembre 2013, tandis que les combattants de la Seleka s’enfuyaient vers l’est. Les violences ont atteint un niveau de barbarie extrême, et pris un tour interconfessionnel. Les anti-balakas, en particulier, ont entrepris un nettoyage ethnique dans les régions de l’ouest, sous leur contrôle. En quelques semaines, près du quart de la population, 1 sur 4,5 millions d’habitants, prennent la fuite, soit dans des camps de déplacés à l’intérieur du pays, soit dans les pays voisins. Au milieu de ce chaos, Catherine Samba-Panza est élue présidente de la république par le Conseil national de transition le 23 janvier 2014. Sauf qu’à ce stade, l’Etat n’a quasiment plus de réalité matérielle. Pendant ce temps, le pays est mis en coupe réglée par des bandes armées qui se disputent le contrôle des sites d’extraction d’or et de diamants qui font la richesse du sous-sol de la Centrafrique, mais pas celle de sa population, et constituent la motivation réelle du conflit.
La Minusca face aux groupes armés
C’est de ce cauchemar, de cet Etat en faillite, que la mission de la paix de la Minusca est chargée par le Conseil de sécurité des Nations Unies, en avril 2014, de faire resurgir un État, des institutions, une administration effective sur tout le territoire et une société réconciliée. La composante militaire représente l’essentiel de l’effectif de la mission, un peu moins de 10 sur 12 000 personnes, dont un contingent marocain de 750 militaires. Son rôle consiste à sécuriser les sites de déplacés, les axes routiers, à escorter des missions civiles, comme l’équipe de génie civil attaquée le 8 mai près de Bangassou. Mais aussi parfois d’engager le combat contre des groupes armés. Une quarantaine de Casques bleus ont déjà été tués, dont six Marocains (quatre cette année). Malgré l’énormité de la tâche, des progrès non négligeables ont été accomplis. L’administration a commencé à se redéployer sur le territoire. La visite du Pape François, en novembre 2015, a créé le choc psychologique que les Centrafricains attendaient pour sortir du piège de la peur et casser le cycle de la violence. Les Forces armées centrafricaines ont repris le contrôle des principaux axes routiers, en particulier dans l’ouest du pays. Un président élu (Faustin-Archange Touadéra) avec une majorité dépassant les clivages confessionnels (62,5 %), lors d’un scrutin régulier tenu en janvier 2016, est en poste depuis le 30 mars 2016.
L’impossible paix ?
Mais le plus difficile reste d’amener les différentes factions rebelles à déposer les armes. C’est un processus à la fois politique, militaire et économique. Une négociation, entamée à Brazzaville en juillet 2014 et conclue en avril 2015 par le Forum de Bangui, a amené la plupart des groupes à accepter le principe de ce que l’on appelle dans le jargon onusien le DDR : désarment, démobilisation, réintégration, auxquels s’ajoute, dans le cas centrafricain, le rapatriement des mercenaires des pays voisins. En d’autres termes, échanger les armes contre un appui financier. Mais s’il a permis d’entreprendre le cantonnement et le désarmement des combattants, cet engagement reste très difficile à concrétiser. D’autant que les deux ennemis d’hier, François Bozizé et Michel Djotodia, ont scellé un pacte diabolique, fondé sur leur intérêt commun à faire échouer un processus qui les exclut et les destine à affronter, un jour ou l’autre, la justice internationale. Tandis que leurs relais à l’intérieur du pays, notamment la branche de la Seleka aujourd’hui commandée par le redoutable Noureddine Adam, et un groupe anti-balaka sous les ordres de Maxime Mokom, s’entendent pour entretenir la violence.
Ces derniers ont un ennemi commun, le général Ali Darass, commandant un groupe composé de Peuls, l’UPC (Union pour la paix en Centrafrique), installé à Bambari jusqu’en février dernier. De là, il contrôlait la plus importante mine d’or du pays et le commerce transfrontalier de bétail. Mis en fuite par les attaques conjointes des deux groupes sur Bambari, et les pressions de la Minusca, il semble que l’UPC cherche à reconstituer ses bases dans la région de Bangassou, ce qui pourrait expliquer les violences qui embrasent la région depuis début mai.
Par Thierry Bresillon
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