L’histoire est digne de White Collar, cette série américaine où un agent du FBI fait équipe avec un faussaire repenti pour traquer les trafiquants d’objets d’art. Sauf que celle-ci ne se déroule pas à New York, au milieu des galeries huppées de la 5th Avenue, mais entre Dar Hamra, célèbre commissariat de Hay Hassani, et Derb Soltane, quartier populaire de Casablanca, où les équipes de la Police judiciaire ont mis la main sur un Guercino volé à Modène en 2014. Un chef-d’œuvre datant de 1639 et qui vaut au moins 5 millions d’euros, selon le critique d’art italien Vittorio Sgarbi. “C’est le tableau le plus précieux que nous avons ici depuis que l’église a été construite”, commente pour sa part le curé Don Giovanni Gherardi. Un trésor national pour les Italiens, que ses carabiniers n’ont pas cessé de rechercher depuis sa mystérieuse disparition, à la mi-août 2014, de l’église San Vincenzo.
Lupin, le zmagri
Après sa disparition, la police et les médias italiens soupçonnaient la Camorra, la mafia napolitaine passée maître dans le recel d’objets d’art. D’autres experts avançaient la thèse d’une organisation criminelle qui projette d’échanger le tableau contre une rançon, une pratique assez courante quand il s’agit d’objets invendables du calibre de La Madone du Guercino. La presse italienne, qui présentait l’enquête comme une priorité nationale, a évoqué l’hypothèse d’un “Docteur No”, le fameux personnage cher aux fans de James Bond qui faisait voler des chefs-d’œuvre dans les musées pour sa collection personnelle.
Bref, tous les scénarios étaient envisagés, sauf la piste marocaine. “Nous avons identifié le voleur du tableau. C’est un Marocain résidant en Italie. Nous savons tout sur lui. Il a le profil d’un immigré ordinaire. Nous savons qu’il est propriétaire d’un café à Ben M’sik. Il n’est pas rentré au Maroc depuis 2015. Nous avons demandé au parquet de lancer un mandat d’arrêt international contre lui”, confie une source à la BNPJ, qui rappelle également que ses complices arrêtés au Maroc sont tout sauf des Arsène Lupin. “Ce sont de simples ouvriers qui voulaient s’enrichir rapidement”, explique notre source. C’était sans compter avec le génie (improvisé) de la Police judiciaire casablancaise, et de ses renseignements généraux.
L’agent et l’antiquaire
“Tout a commencé par une information des RG”, nous raconte le patron de la PJ de Hay Hassani, Abdelhak Hraoui, qui avoue qu’au lancement de l’enquête, il n’avait aucune idée sur le trésor que ses services allaient déterrer. Le mémo des RG déposé sur son bureau début janvier signalait une tentative de vente d’un tableau de grande valeur, sans plus. “On ne savait rien du tableau. Ce n’est que plus tard qu’on a su qu’on travaillait sur du lourd”, confie Abdelhak Hraoui. Ne disposant pas de l’expertise nécessaire pour mener à bien ce genre d’affaires, la police fait appel à l’aide d’un antiquaire “ami”. Ce dernier fait équipe avec un jeune commissaire de la PJ, qui se transformera en un agent agissant pour le compte d’un riche homme d’affaires casablancais. Le tandem est constitué, la chasse est ouverte.
Le duo prend contact avec les vendeurs et entame les négociations qui dureront cinq semaines. “Il fallait que l’opération soit crédible. Nous avons fourni à notre agent une Mercedes dernier cri, et il donnait rendez-vous aux vendeurs dans des hôtels de luxe. Malgré cela, les vendeurs se montraient très méfiants. Ils ne voulaient pas montrer le tableau, et prenaient systématiquement notre agent en filature à la fin de chaque rencontre pour s’assurer de son identité”, raconte le chef-adjoint de la PJ, Hassan Mouqit. Les négociations vont finalement aboutir la deuxième semaine de février. Le rendez-vous est donné le 15 février au soir pour inspecter l’œuvre et procéder au règlement-livraison. Montant de la transaction : 10 millions de dirhams, cash.
Piège à Derb Soltane
Comme tous les “mafieux” qui se respectent, les vendeurs changent le lieu du rendez-vous plusieurs fois pour brouiller les pistes, avant de le fixer finalement dans un appartement à Derb Soltane, près de Jamaâ Sounna. La Police, constituée en deux équipes “commando”, s’adapte à la situation et surveille de près les lieux. Un premier suspect arrive dans une voiture allemande, sort la toile du coffre et rejoint ses deux autres complices dans l’appartement. L’agent et l’expert de la police peuvent enfin voir le précieux tableau. “Ils l’ont roulé par terre, comme on présenterait un banal tapis. L’expert a vite reconnu la patte des grands maîtres et le signal a été donné à nos équipes pour procéder à l’arrestation”, raconte Hassan Mouqit.
Trois personnes sont arrêtées le soir même, une quatrième le lendemain, à Settat. “C’est cette quatrième personne qui cachait le tableau depuis 2014. Elle nous a avoué par la suite que son ami MRE lui avait envoyé la toile dans un car de voyageurs, après l’avoir dissimulé dans un tapis”, raconte le chef de la PJ, qui tient à préciser que ce sont deux experts du ministère de la Culture qui ont authentifié l’œuvre et confirmé qu’il s’agissait bel et bien du Guercino volé à Modène et recherché par Interpol. “Ils étaient tellement bluffés qu’ils se sont pris en selfie avec la toile”, raconte, amusé, Hassan Mouqit, pour qui cette affaire est “l’aboutissement d’une longue carrière à la PJ”, notre homme ayant pris sa retraite deux semaines après la fin de l’enquête. Aussitôt l’œuvre authentifiée, les services d’Interpol et les autorités italiennes sont prévenus, et le dossier transmis aux services de la BNPJ, au vu de sa dimension internationale.
Fiesta à Modène
Conservé actuellement dans la salle de saisie de la préfecture de police de Casablanca, le tableau a été cependant trouvé dans un état désastreux, comme nous avons pu le vérifier de visu. “Il a été détérioré à hauteur de 30%. Les services de la BNPJ sont actuellement en contact avec les autorités italiennes pour son rapatriement”, explique une source policière, qui précise que deux autres personnes impliquées dans l’affaire sont encore recherchées au Maroc. Quant au voleur de Modène, c’est désormais à Interpol de le débusquer.
Il est seul à pouvoir lever le mystère sur la manière dont il a dérobé cette énorme et précieuse toile de 2,93 mètres sur 1,84 dans une église ultra-sécurisée et située à quelques encablures du tribunal et du bureau du procureur de Modène. “Le vol reste un mystère. On n’a pas pu comprendre comment ce tableau a pu disparaître sans qu’aucune trace ne soit trouvée sur les lieux. C’est quasiment impossible qu’une seule personne puisse procéder à ce vol. Il doit avoir certainement des complices”, commente une source policière à Modène contactée par TelQuel, qui nous annonce que toute la population de la ville n’attend désormais qu’une seule chose : le retour du chef-d’œuvre à l’église.
Même souhait exprimé par l’évêque de Modène, Erio Castellucci, au lendemain de la découverte du tableau : “Nous remercions ceux qui ont mené les opérations qui nous ont permis de trouver le tableau volé. Il Guercino est cher à tout le monde, nous sommes vraiment heureux de ces nouvelles. Nous attendons avec impatience son retour à Modène”. Une simple procédure reste à accomplir, clarifie une source policière marocaine : “Nous l’avons déjà signalé à l’ambassade d’Italie. Il suffit de déposer une demande de récupération du bien saisi au Tribunal de Casablanca. Ça devrait se faire rapidement”.
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