Deux mois après sa nomination, Mounia Boucetta semble à l’aise dans son rôle de numéro 2 de la diplomatie marocaine. La secrétaire d’État aux affaires étrangères endosse en effet pleinement le costume et s’est approprié les sujets prioritaires avec aisance. « Je reste tout de même en observation », nous lance-t-elle, « d’ici quelques mois j’aurai certainement une vision beaucoup plus complète ». Mais, d’ores et déjà, Boucetta apporte sa touche à la diplomatie marocaine. Elle devient l’interlocutrice privilégiée des hommes d’affaires et de leur unique représentation professionnelle, la CGEM, qu’elle connaît et côtoie depuis plusieurs années en tant que haut responsable au sein du ministère de l’Industrie. En interne, le bras de droit de Nasser Bourita envisage de donner un vrai coup de fouet à la diplomatie économique. Son ambition : doter toutes les ambassades d’une feuille de route claire en matière d’objectifs économiques. « Il faut roder notre discours et mutualiser nos efforts de promotion », avance-t-elle. Pour illustrer son propos, rien de mieux qu’une anecdote qui résume sa vision. « Lors d’une réunion de travail avec un opérateur étranger, deux euros ont suffi pour placer le Maroc sur son radar. Un homme d’affaires marocain lui a dit tout simplement, ‘Si je te produis telle pièce à 18 euros au lieu de 20 euros, vous viendriez au Maroc ?’ », raconte-t-elle. Parler des atouts du Maroc, sa stabilité, ses infrastructures, ses stratégies, c’est bien, mais parler de ces « deux euros » qui font la différence, c’est encore mieux.
Telquel : Du département de l’Industrie, on vous retrouve aux Affaires étrangères. Quelles sont vos premières impressions ?
Mounia Boucetta : Le travail dans l’administration a les mêmes fondamentaux et les mêmes bases. Je n’ai pas été trop dépaysée, car on est toujours dans la gestion de la chose publique. Cela dit, chaque ministère a ses particularités. Avant, j’étais dans une approche sectorielle, qu’elle soit industrielle, commerciale ou technologique, là on est sur la diplomatie, touchant les questions internes et externes avec des interférences worldwide sur tous les sujets. J’ai pu m’intégrer de façon presque naturelle. Le fait que le ministère des Affaires étrangères ait des priorités bien définies, selon les hautes directives royales, et un agenda précis sur lesquels on doit travailler est un des éléments qui ont facilité cette intégration. Plus important encore, M. Bourita dispose d’une grande expertise et d’une profonde connaissance de la maison, ce qui m’a énormément facilité la tâche.
Comment vous répartissez-vous les rôles et le travail avec Nasser Bourita ?
On travaille dans un esprit d’équipe, donc les responsabilités se répartissent tout à fait naturellement. Pour moi, c’est un seul portefeuille de sujets et de questions à traiter. On ne peut pas être insensible à des sujets politiques en étant au sein du ministère. Maintenant, il est vrai que j’ai une expérience économique qui va me permettre peut-être d’apporter une contribution sur certains dossiers, sachant que l’économie était, même avant mon arrivée, une préoccupation permanente de la diplomatie. J’espère pouvoir apporter de la valeur ajoutée au processus déjà enclenché et rendre notre diplomatie économique plus efficiente. La volonté d’améliorer le dispositif diplomatique vers plus de performance est une réalité.
Le continent africain est au centre de l’action marocaine. Comment se profile le partenariat du Maroc avec les pays d’Afrique subsaharienne ?
Conformément aux hautes orientations royales, l’Afrique a toujours constitué une priorité pour notre pays. Le Maroc hub africain n’est pas qu’une question géographique. Il faut que ce hub se matérialise réellement et tous les accords qui ont été signés, ainsi que la dynamique qui a été enclenchée à travers l’approche des projets structurants, nous donnent cet espace pour pouvoir le concrétiser. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle la partie marocaine a privilégié le co-développement dans sa façon de faire au lieu de l’approche purement mercantile, comme celle adoptée par d’autres pays. Nous privilégions les projets structurants qui apportent des réponses aux préoccupations de la population africaine ou qui peuvent être des leviers de croissance pour le continent, à l’image du projet de gazoduc Nigéria-Maroc ou les projets portés par l’OCP dans l’amélioration des rendements agricoles sur le continent pour assurer sa sécurité alimentaire. Cela dit, toutes ces actions doivent être accompagnées et suivies dans leur concrétisation pour asseoir notre crédibilité. À travers notre retour à l’Union africaine (UA), nous ne faisons qu’amorcer un processus où le Maroc jouera son rôle de leader.
Vous avez évoqué le gazoduc Maroc-Nigéria. Où en est le projet ?
La signature en mai dernier à Rabat de nouveaux accords sous la présidence du roi Mohammed VI avait pour objectif d’enclencher le processus de réalisation. Les premières études relatives au projet sont lancées par l’ONHYM et son partenaire nigérian. L’agenda qui a été mis en place prévoit une première phase technique qui intègre toutes les due diligence et qui nécessitera vingt-quatre mois. C’est un préalable nécessaire pour appréhender les questions techniques, juridiques et économiques d’un projet qui devra traverser plusieurs pays.
Qu’en est-il de sa rentabilité ?
C’est un projet d’infrastructure d’envergure certes, mais qui est traité comme tout projet économique. Les études lancées vont pouvoir examiner tous les éléments (le tracé, les projets connexes, etc.) pour construire un business plan cohérent. C’est un projet qui ne peut être que rentable, car sa viabilité financière est intégrée dans sa structuration et son montage financier.
Le Maroc a obtenu l’accord de principe pour intégrer la CEDEAO. Comment appréhende-t-on ce pas au sein des Affaires étrangères et quelles sont les étapes suivantes ?
Récupérer notre siège au sein de l’UA n’est pas suffisant si on veut jouer pleinement le rôle de leadership que nous ambitionnons. On en est conscient. Le sujet de l’intégration des blocs régionaux est donc une nécessité. Dans ce sens, et selon la vision de Sa Majesté le roi, la CEDEAO a été identifiée comme l’espace le plus approprié pour le Maroc parce que nous avons plusieurs accords de coopération économique avec les pays qui la constituent. Sans oublier les liens humains, culturels et cultuels. Cela dit, il y a certainement un ensemble d’éléments qui vont s’imposer pour mener à terme cette adhésion, que ce soit la mise en cohérence des textes ou le traitement des sujets relatifs aux principes d’adhésion à un espace économique.
Comment ?
Concrètement, avec la CGEM et les départements concernés nous faisons un scan global du dispositif juridique de la CEDEAO. On s’assure de tous les périmètres, intégrant les aspects juridiques, techniques, économiques et sociaux pour avoir une connaissance approfondie et globale, et ainsi ne laisser aucune zone d’ombre au sujet de cette intégration.
Quels sont les risques pour le Maroc et son économie ? Les a-t-on bien mesurés et comment minimiser les impacts négatifs de cette intégration ?
L’approche adoptée par le Maroc pour cette intégration ne se réduit pas à une démarche purement mercantile basée sur le bénéfice commercial. Le plus structurant, à mon avis, c’est de réussir cette intégration régionale et d’être un acteur présent du co-développement de notre continent, tel que voulu par SM le roi. Cela nécessite certainement une préparation et une coordination associant les acteurs publics et privés, un accès à l’information fiable concernant l’environnement des affaires et une bonne connaissance des pratiques au niveau de la communauté. Par ailleurs, quand le Maroc intégrera la CEDEAO, il y aura certainement des éléments à préciser. Le sujet de la monnaie unique, par exemple, qui préoccupe une partie de l’opinion publique, n’est pas encore traité au sein de la CEDEAO elle-même.
Le Maroc a signé plusieurs accords et conventions sur le continent. Pourra-t-on tenir tous ces engagements ?
Depuis 2014, plus de 400 accords de coopération ont été signés entre le Maroc et quinze pays africains. Sur instructions royales au ministre des Affaires étrangères, lors d’un Conseil des ministres tenu en mars 2014, une commission mixte entre le secteur privé et le gouvernement a été mise en place pour le suivi de la bonne mise en œuvre des accords signés. À l’époque, il y avait quelque 200 accords. Pour chaque accord, un point focal était désigné de part et d’autre et la remontée d’informations était systématique sur l’état d’avancement du projet. Depuis, le nombre de conventions a considérablement augmenté, en particulier en 2016. Le ministère est donc en train d’adapter son approche. On a mis en place un dispositif permettant un bon monitoring et un meilleur accompagnement. Les ambassades, les opérateurs privés et les différents établissements et départements concernés ont été mis à contribution. Nous allons désormais passer à une nouvelle phase : la mise en place d’un mécanisme plus adapté qui permette d’avoir un suivi permanent et de remonter les alertes. D’ailleurs, j’entame la semaine prochaine une tournée générale de supervision pour aller voir sur place l’avancement des projets. Je visiterai certains pays d’Afrique de l’Est, puis j’effectuerai prochainement une seconde tournée au niveau des pays d’Afrique de l’Ouest.
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