Happn: L’amour à portée de clic

Avec ses 110 000 utilisateurs au Maroc, l’application de rencontres va bientôt détrôner le géant américain Tinder dans le royaume. Plongée dans la drague numérique.

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(Article paru dans le n°771 de Telquel, publié le 30 juin 2017)

Un petit soubresaut vous prend aux tripes. Après avoir cliqué sur le cœur rouge sous la photo d’un charmant jeune homme, lunettes sur le nez et maillot à fleurs autour de la taille, le téléphone vibre. Le “crush” (coup de cœur) est mutuel. Encore faut-il que le nouveau prétendant daigne vouloir “discuter” sur l’application de rencontres Happn, petit frère français du géant américain Tinder. Ça y est, Mohamed, 33 ans et travaillant dans les ressources humaines à Casablanca, a lancé la discussion. “Tu fais quoi after work?”, dégaine-t-il très rapidement après les présentations d’usage. Lancée en 2014 en France, Happn est sortie tout droit de la collaboration entre Antony Cohen, Fabien Cohen et Didier Rappaport, qui n’est autre que le cerveau à l’origine du succès de la plateforme de vidéos en ligne Dailymotion.

Sur les 32 millions d’utilisateurs Happn, répartis dans cinquante villes et quarante pays, 110 000 se trouvent au Maroc. “La base d’utilisateurs d’Happn est cinq fois plus importante au Maroc qu’en Algérie, où la taille de la population est comparable”, commente Juliette Romand du service de communication de Happn. “Nous n’avons pas lancé l’application au Maroc à proprement parler : il s’agit d’une croissance organique, c’est-à-dire d’une adoption naturelle des utilisateurs, indépendante d’investissements marketing”, poursuit la chargée de communication qui ajoute qu’Happn a connu au niveau mondial un rythme de croissance de deux millions de nouveaux utilisateurs par mois en 2016.

La fille d’à côté

Happn (dont les services sont en partie gratuits) surfe sur le modèle de Tinder mais propose, en plus, de mettre en relation sur Internet des utilisateurs qui se sont croisés, de près ou de loin, dans la vraie vie. Vous pouvez ainsi retrouver sans difficulté une personne qui vous aurait plu alors que vous marchiez dans la rue, dans le train ou en attendant votre tour à la poste. “Ce qui me plaît sur Happn, c’est de pouvoir retrouver la personne que j’ai vue dans la queue au McDo et que je n’ai pas osé aborder avec un McChicken à la main”, s’enthousiasme Ghizlane, étudiante de 22 ans qui vit à Mohammedia. Résultat, la jeune fille a déjà obtenu deux rendez-vous concluants en quelques jours à peine.

L’application, liée au compte Facebook, récupère cinq photos et autres informations sur votre joli minois. Toutes les personnes munies de la même application et qui se trouvent autour de vous sont géolocalisées. Puis, en fonction de vos préférences d’âge et de sexe, un patchwork de vignettes avec photos, âge et distance de votre localisation actuelle défile. Parfait, il n’y a plus qu’à choisir entre Yasser, 34 ans, qui pose en costume, Hassan, 27 ans, à califourchon sur sa grosse bécane, Amine, 30 ans, caressant un tigre blanc, ou Layla, 38 ans, qui utilise un dessin comme photo de profil.

ça donne l’étrange impression de scroller un site de e-commerce où vous devez choisir la plus belle paire d’yeux. Pour entrer en contact, il suffit de liker (aimer en langage des réseaux sociaux) sans que votre crush ne soit au courant, “envoyer un charme” ou cliquer sur la baguette magique pour signifier votre intérêt plus directement. Et attendre que l’autre vous like en retour ou accepte votre charme pour entamer une discussion. Et là se répètent souvent les mêmes rengaines. “Ça va? Tu fais quoi dans la vie? Tu habites où? C’est quoi tes hobbys?” Autant de questions censées briser la glace. Avant de passer aux choses sérieuses.

“Que cherches-tu ici?”, lance, sans préambule, Meriem, 39 ans. La question revient sans cesse sur l’application. Et la réponse est souvent la même. “J’ai déjà utilisé Tinder pendant un mois mais je préfère Happn car tu y trouves des gens sympas et cultivés, qui cherchent une relation qui peut aboutir à quelque chose de sérieux à l’avenir”, assure Houssam, chef d’entreprise de 29 ans à Casablanca, qui est sur Happn depuis quatre jours. Sur son concurrent américain, Tinder, le jeune homme cherchait autre chose. Il avoue qu’il avait réussi à décrocher plusieurs dates (rendez-vous), mais plutôt avec des filles qui veulent “juste passer du bon temps, s’amuser”. Au niveau mondial, l’application américaine fait fureur avec ses 1,6 million de swipes quotidiens, ses 26 000 matches par jour, et 1,5 million de dates par semaine. Le business marche si bien que le groupe Match, dont fait partie Tinder et Meetic, est entré à la Bourse de New York en 2015. Mais difficile de garder la cote au Maroc, où beaucoup de personnes en quête de nouvelles connaissances ont basculé vers Happn.

Coup d’un soir ?

Comme Sami, 27 ans, consultant à Casablanca. Selon lui, Happn est mieux fréquentée que Tinder qu’il a utilisée sans vraiment l’apprécier. Il y a rencontré des gens voulant vendre un service, des produits ou carrément des prostituées. Même constat pour Ghizlane qui a trouvé dans Happn une alternative à Tinder. “Il y avait trop de ‘fake’ sur Tinder, comme des catfish ou des gens avec de faux profils”, se rappelle-t-elle. “Happn, c’est plus filtré”, renchérit Sami, qui a même désinstallé Tinder de son téléphone. Bon, cela n’empêche pas de tomber un vendredi soir, quelques jours avant l’Aïd, sur un gros moustachu de 54 ans qui vous “envoie son charme” et lance un bref “Bonsoir”. On passera.

Mais Happn ne plaît pas à tout le monde. Nouria, 30 ans, a préféré désinstaller l’application après quelques semaines d’utilisation. “Les Marocains n’ont pas le sens des limites et je ne veux pas que l’on sache où j’habite, témoigne la jeune femme. Alors, quand un gars m’a dit: ‘Tu es mignonne avec ta chienne, je t’ai vue dans le café près de ta résidence’, j’ai décidé d’arrêter. Je n’aime pas me sentir épiée”. Sans compter que la nuit, les prédateurs deviennent plus téméraires avec leurs proies et vont jusqu’à proposer un tour en voiture à minuit passé : “Bon, je te récupère dans seize minutes?”

Trêve de plaisanterie, l’idée n’est pas de déblatérer pendant toute la soirée sur Happn. Tout le monde le sait, cette application est avant tout faite pour “pécho”, se dégoter une partie de jambes en l’air sans engagement. “J’ai installé l’appli pour faire des rencontres et trouver des plans sans prise de tête”, assume Sami. Avant d’ajouter, juste après avoir demandé son numéro à une jeune demoiselle : “Cette appli sert à faire des rencontres et trouver des plans d’un soir, ou tout simplement des plans cul”. Voilà qui est dit.

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