La loi actuellement en vigueur sur les troubles mentaux date de 1959, soit près d’un demi-siècle. Une éternité si l’on considère les évolutions gigantesques des bonnes pratiques internationales de prise en charge des troubles psychiques depuis 60 ans.
Il devient urgent pour le Maroc de se mettre en adéquation avec la Convention internationale des droits des personnes handicapées, qu’il a ratifiée en 2009. C’est l’ambition affichée du projet de loi 71-13 « relative à la lutte contre les troubles mentaux et à la protection des personnes atteintes de ces troubles« , approuvée par le Conseil de gouvernement, dont la discussion au parlement s’ouvre le 12 juillet.
Le gouvernement entend garantir le respect de la dignité, de la vie privée et la confidentialité des informations des personnes souffrant de troubles mentaux, recueillir leur consentement préalable express libre et éclairé pour les traitements, mais aussi les traiter dans un environnement le moins restrictif possible à la jouissance de leurs droits et libertés. Mais au-delà des grands principes, ce projet de loi protège-t-il réellement les droits des patients ?
« Une approche sécuritaire »
Le docteur Omar Battas, chef du service de psychiatrie du CHU Ibn Rochd de Casablanca, et membre de la Société marocaine de psychiatrie et du Conseil national des droits de l’Homme (CNDH), dénonce « l’approche sécuritaire » de la nouvelle loi. Ainsi pour lui, « la philosophie du texte ne voit que le patient dangereux. Il y a un verrouillage dans la prise en charge des patients, comme s’il fallait tout faire pour se protéger de leur dangerosité ».
Le titre même du projet de loi est éloquent: « lutte contre les troubles mentaux ». Le gouvernement veut-il partir en guerre? Pour le docteur Battas, « il ne s’agit pas de lutter contre, mais de prendre en charge« . Le député Mustapha Brahimi, vice-président de la Commission des secteurs sociaux, n’est pas non plus convaincu par ce titre, mais pour d’autres raisons. Selon lui, « on ne peut pas lutter contre les maladies mentales, qui sont d’origine génétique ou familiale« .
Hospitalisation involontaire et traitements par électrochoc
Parmi les dispositions concrètes du texte, on trouve notamment les recours aux traitements pouvant porter atteinte à l’intégrité des patients notamment, la psychochirurgie, le traitement par électrochocs, et les médicaments neuroleptiques à action prolongée. Le texte préconise aussi l’hospitalisation involontaire, ou encore la création des commissions régionales de santé mentale qui auront un rôle consultatif auprès du juge qui prend la décision d’internement.
Sur ces aspects, le député Brahimi considère que « quand un patient est insaisissable, il peut créer un désordre à l’ordre public et devient dangereux pour la société, un internement sans son consentement est alors nécessaire« . Pour Omar Battas, « le droit au recours du patient concernant l’hospitalisation sans consentement manque« , mais « on nous a promis un texte d’application qui comblera ces lacunes« , nous indique-t-il.
Concernant les traitements, « ils ne doivent pas être discutés au niveau d’une loi, car ils évoluent très vite. Cela se joue au niveau des bonnes pratiques. En matière d’électrochoc et de neuroleptiques, les choses évoluent rapidement. Une loi en la matière risquerait de priver les patients des nouveaux traitements« , poursuit le docteur Battas.
Accès au dossier médical et sanctions pénales pour les médecins
Pour Mustapha Brahimi, le fait que le patient puisse avoir un accès complet à son dossier médical, comme le propose le texte, « peut être dangereux pour la relation patient-médecin ». Il invoque notamment le respect du « secret professionnel ». Le docteur Battas considère pour sa part que « l’accès à l’information est un droit indiscutable« . Dans la pratique, il s’interroge sur le meilleur compromis et concède que le débat n’est pas tranché. La communication d’un simple résumé du dossier est une piste à l’étude.
Mais qui parle de droit à l’information dit obligation pour les médecins d’inscrire les mesures de contention ou d’isolement dans le dossier médical du patient. Sur ce point, le projet de loi ne transige pas et prévoit jusqu’à 3 ans d’emprisonnement et 50.000 dirhams d’amende pour tout médecin qui omettrait d’inscrire certaines informations.
Une mesure contestée à la fois par le député PJD et par le professionnel de la psychiatrie. « Pour la moindre erreur ou la moindre faute, c’est la prison. Le quart des articles concerne des sanctions pénales. Les jeunes ne vont plus aller vers cette spécialité. Il faut bien sûr punir en cas de faute grave, mais nous faisons un travail dangereux et nous sommes encadrés par notre éthique médicale et par la loi. S’ils encourent de telles sanctions, les professionnels vont commencer à éviter les hospitalisations, paradoxalement », analyse le docteur Battas.
Où est passée la prévention ?
Pour surveiller et punir, tout est prévu, mais qu’en est-il de la prévention des troubles mentaux? Cet aspect est totalement délaissé par le projet de loi. S’il n’y a là rien d’anormal pour le député Brahimi, qui voit dans les troubles mentaux une sorte de fatalité génétique ou familiale, le docteur Battas considère que la prévention est absolument nécessaire, dès l’enfance. « Toutes les études accordent que la vulnérabilité génétique est rarement suffisante pour que la maladie se déclare, et que la toxicité de l’environnement joue souvent un rôle de déclencheur« . Il souhaite que le gouvernement mette en place une vraie politique de prévention en matière de santé mentale et que le ministère de la Santé se dote d’une direction de la santé mentale.
Si le texte présente des lacunes sur le terrain de la prévention, il s’intéresse davantage à la réinsertion. Ainsi, le projet de loi prévoit la création d’établissements de réhabilitation et de réintégration des personnes atteintes de troubles psychiques.
Il s’agira de centres publics ou privés, placés sous la responsabilité d’un médecin spécialiste des troubles mentaux, ou d’un praticien de médecine générale ayant bénéficié d’une formation en santé mentale. Pour Mustapha Brahimi, il s’agit surtout de soulager les familles qui seraient lassées de devoir prendre en charge leurs proches atteints de troubles mentaux, que ces derniers ne soient pas « lâchés dans la nature ».
Deux tiers du texte à réécrire, « des discussions parfois houleuses »
Si le spécialiste de la psychiatrie Omar Battas est opposé à ce texte en l’état, il garde l’espoir qu’une refonte globale soit opérée pendant la discussion au Parlement. Il nous indique que le ministre de la Santé El Houcine Louardi a pris connaissance des réactions de la société savante, et qu’il y a eu au total huit réunions avec les représentants des associations de psychiatres depuis août 2015.
D’après lui, « les discussions étaient parfois houleuses, et on pouvait passer 5h à discuter d’un article ». Les deux tiers du texte feront l’objet d’amendements, qui seront pour partie portés par le gouvernement.
Plusieurs députés de toutes tendances politiques confondues ont également été sensibilisés par les groupements de médecins, qui continuent leur travail de lobbying auprès des parlementaires. « Respecter l’humanité des patients, ce n’est pas un enjeu de politique politicienne », rappelle le docteur Battas. Le député PJD est également convaincu de la nécessité de réécrire le texte, et nous indique qu’il ne le voterait pas en l’état.
Mais les grands absents du débat, ce sont les familles et les proches des patients, qui figurent pourtant parmi les premiers impactés par le projet de loi. Omar Battas estime que le texte « engage des générations de patients, de soignants et de familles ». Espérons que ces dernières puissent être entendues pendant le débat qui s’ouvre au parlement. La réponse interviendra au plus tard mi-août 2017, le texte définitif devant être adopté avant la fin de la session parlementaire.
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