Critiqué par les islamistes, l'enseignement du français dès le CP répare pourtant une "injustice linguistique"

Mohamed Hassad l'a annoncé: le français sera désormais enseigné dès la première année du primaire. La mesure suscite déjà une levée de boucliers des islamistes. Pourtant, il s'agit là de réparer une "injustice linguistique".

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Yassine Toumi / TelQuel

Une petite révolution dans la politique linguistique du pays. Le 15 juin, Mohammed Hassad confirmait une nouvelle fois que la langue française serait enseignée dès la première année de scolarité dans l’enseignement public, au lieu de la troisième année.

30 ans après la campagne d’arabisation menée par Hassan II, ce changement se veut le point d’orgue d’une politique qui faisait déjà débat sous le gouvernement Benkirane. Une mesure pourtant porteuse de nombreux avantages, notamment l’ouverture sur le marché de l’emploi.

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Aujourd’hui encore, cette volonté d’ouverture sur la langue de Molière provoque des remous. Malgré son inscription de longue date dans la Vision stratégique de la réforme 2015-2030, l’enseignement du français provoque l’étonnement des uns, et l’inquiétude des autres.

Concurrence des langues ?

Parmi les réactions vives suscitées par la décision du ministre de l’Éducation nationale, on relève celle d’Abderrahim Chikhi. Le président du Mouvement de l’unicité et de la réforme (MUR, le bras idéologique du PJD) s’est exprimé dans les colonnes d’Akhbar Al Yaoum.

S’il précise que le mouvement n’est « pas opposé aux langues étrangères en général, ni au français en particulier« , Chikhi fait part de son « étonnement« . « La langue française va concurrencer la langue arabe en raison des heures de cours qui vont lui être attribuées« , s’inquiète-t-il.

Pour l’heure, l’application concrète de cette réforme linguistique n’a pourtant pas encore été détaillée. Pour Rahma Bourqia, directrice de l’Instance nationale d’évaluation (INE) auprès du Conseil supérieur de l’enseignement, cette critique est en tout cas difficilement recevable :

Maîtriser le français ne signifie pas que l’on souhaite négliger la langue nationale. La Vision stratégique de la réforme 2015-2030 insiste également sur l’apprentissage de l’arabe, et même l’amazigh. Le rapport est très clair sur ce point : il faut aussi développer l’arabe. 

Loin des questions de « concurrence » entre les langues, Rahma Bourqia insiste sur le caractère égalitaire d’une telle réforme :

L’enseignement des langues ne doit pas devenir un outil « d’injustice linguistique ». Aujourd’hui, les élèves inscrits dans le secteur privé apprennent le français beaucoup plus tôt que ceux scolarisés dans le public. Ce système génère des retards qu’il faut combler. Nous devons donc développer l’égalité des chances en matière linguistique. 

Plus qu’un outil de lutte contre « l’injustice linguistique », l’apprentissage du français dès la première année du primaire se comprend aussi comme un avantage notable sur le marché de l’emploi. Synonyme d’ouverture sur le monde extérieur, sa maîtrise se veut aussi un « atout dans la vie sociale et professionnelle« , selon la directrice de l’INE.

Nous savons que les étudiants qui ne maîtrisent pas les langues étrangères, dont le français, ont des difficultés à s’insérer dans le marché de l’emploi. Le pluralisme linguistique est important à tous les niveaux de la vie, et pas uniquement sur le plan professionnel. 

 Quid de l’anglais ?

Pour Rahma Bourqia, le retour du français dans les livres scolaires des jeunes élèves s’explique en partie « par le rapport historique que le Maroc entretient avec cette langue« . Pour autant, nombreux sont ceux qui auraient souhaité un meilleur développement de l’anglais. Parmi eux, le président de la Coalition nationale pour la langue arabe, Foued Abou Ali. « Il aurait été préférable de se concentrer sur la langue anglaise, car c’est une langue vivante. Contrairement au français qui perd sa place sur la scène internationale« , déplore-t-il. 

Consciente du recul de la langue de Molière vis-à-vis de celle de Shakespeare, la directrice de l’INE insiste aussi sur son enseignement de façon progressive. « Il faut d’abord réunir certaines conditions« , précise-t-elle. 

Bien que la maîtrise de l’anglais soit importante, cette langue sera enseignée plus tard. Notamment en raison du fait que le français est une langue plus pratiquée au Maroc. En attendant, il faut former  et recruter des enseignants en la matière. 

Les partisans et les détracteurs de l’enseignement du français au primaire s’accordent sur un point: la nécessité de développer l’apprentissage des langues, étrangères ou non. Sur cette question, chacun se donne rendez-vous à la rentrée pour suivre avec attention la politique de développement linguistique soutenue par le gouvernement Othmani.

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