La (longue) liste des tares de l'éducation au Maroc

La Cour des comptes a livré un diagnostic choc sur le secteur de l'éducation. Il en ressort une très mauvaise gestion de moyens pourtant colossaux dont dispose le ministère le plus budgétivore du Maroc.

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Yassine Toumi / TelQuel

« Anomalies« , « dysfonctionnements » problèmes de gestion, de « planification » à court, moyen et long terme… La Cour des comptes n’a pas de mots suffisamment durs pour dénoncer les « conditions de préparation et de gestion » de l’année scolaire 2016/2017, qui a démarré à l’époque où Rachid Belmokhtar officiait encore à la tête du ministère de l’Éducation nationale.

La Cour des comptes a publié un référé (procédé qui souligne l’urgence de la situation) adressé à l’actuel ministre, Mohammed Hassad, dans lequel elle liste les tares de l’enseignement, et les risques qui pèsent sur la prochaine rentrée académique. Il en ressort par exemple que le ministère « n’a pas pu combler le déficit en ressources humaines » l’année dernière, ce qui l’a poussé à avoir recours à des enseignants contractuels, mais « tardivement« .

Autre chiffre qui glace le sang: le taux d’abandon scolaire élevé. Le départ prématuré de l’école a concerné 218.141 élèves lors de la dernière année scolaire, soit 4% de l’effectif. La Cour des comptes estime que ces dysfonctionnements « risquent de compromettre la mise en œuvre de la vision 2015-2030 pour garantir un ‘enseignement de qualité pour tous« .

Un besoin de plus de 16.000 professeurs, alors qu’il y a un excédent

Le ministre Mohamed Hassad a promis l’embauche de 24.000 enseignants sous contrat pour pallier le déficit en ressources humaines pour la prochaine rentrée. Mais est-ce pour autant la panacée? La Cour des comptes lève le voile sur une contradiction majeure dans la gestion des RH au sein du ministère le plus budgétivore du pays. Alors que le royaume a besoin de 16.700 enseignants tous cycles confondus, le ministère gère en même temps un excédent de 14.055 de professeurs. La carte scolaire étant inefficace, il en résulte une mauvaise répartition des ressources humaines disponibles sur le territoire national.

Au-delà de la seule année scolaire 2016/2017, il s’agit d’une « caractéristique structurelle » comme le note la Cour des comptes. De ce problème découle une bonne partie des maux de l’école marocaine: le taux d’encombrement, la suppression des travaux pratiques pour les matières scientifiques, la réduction du volume horaire, voire la suppression de certaines matières… Autre exemple: la gestion des ressources humaines  demeure centralisée, et par conséquent « les lieux d’affectation de certains enseignants figurant sur les bases de données du ministère diffèrent des lieux d’affectation effectifs« . Pire, l’attribution des postes à pourvoir « ne privilégie pas la satisfaction des besoins du système éducatif, mais plutôt la satisfaction des demandes de mutations pour des considérations familiales et sociales ».

1,40 dirham par jour pour nourrir un élève

Plus de 200 internats sont en surcapacité, certains accueillant même le double de leur capacité, alors que près de 250 sont sous-exploités. Les pensionnaires des internats surpeuplés dorment parfois dans des salles de lecture, ou dans des salles de réunion.  Tout cela alors que certains internats affichent un taux de remplissage de seulement 4%. De plus, le ministère fixe le coût des repas par jour à la cantine… à 1,40 dirham par élève. Il est de 14 dirhams par bénéficiaire et par jour pour les internats. Pire, plus de 7.000 établissements scolaires ne sont pas dotés de cantines. Résultat : près d’un demi-million d’élèves sont servis dans des salles de cours ou en plein air.

2,2 millions d’élèves évoluent dans des classes surpeuplées

À Ain Chok et Sidi Bernoussi, 96% des classes sont surpeuplées. Cela veut dire que pratiquement toutes les écoles de ces quartiers accueillent plus de 40 élèves, seuil d’encombrement retenu par le ministère. Si ces deux localités sont les pires en la matière au niveau national, les taux affichés par d’autres académies régionales ne sont guères reluisants. Ainsi, à Rabat-Salé-Kénitra le taux d’encombrement est de 49%, à Fès Meknès, il est de 49%, à Marrakech Safi, il est de 45% et à Tanger-Tetouan-Al-Hoceima il s’établit à 44%.

Au total 38% des élèves du Maroc étudient dans des classes encombrées, soit plus de 2,2 millions d’élèves. Et encore, ce dysfonctionnement est sous-évalué, selon la Cour des comptes. L’institution rappelle la moyenne retenue par les pays de l’OCDE (Organisation de coopération et de développement économique), qui estime qu’une classe est encombrée à partir du moment où elle accueille plus de 21 élèves.

Une seule classe pour plusieurs niveaux

Classe multiple, kézako? Derrière le terme technique se cache un fléau dont sont victimes nos petites têtes brunes. Il s’agit de classes dans lesquelles un seul enseignant dispense en même temps des cours à des élèves de plusieurs niveaux scolaires. On en recense 27.227 sur l’ensemble du territoire. 6.381 de ces classes multiples accueillent… trois à six nouveaux scolaires en même temps. Cela signifie que dans certains cas, un seul enseignant gère dans la même classe l’ensemble des niveaux du cycle primaire. Le phénomène des classes multiples est même « une caractéristique » de l’enseignement primaire dans nos campagnes, note le référé de la Cour des comptes.

Plus de 16.000 classes en bon état non exploitées

L’inauguration de nouvelles écoles ne va pas régler les problèmes de surpopulation, car il faudrait encore que l’existant soit bien géré. Ainsi, 16 262 salles de classe « en bon état d’usage ne sont pas exploitées pour les fins exclusives de l’enseignement », notent les magistrats de la Cour des comptes. En lieu et place, ces salles servent de bibliothèques, de salles de réunion ou d’archives, etc. Si ces locaux étaient correctement utilisés, ils pourraient accueillir 652.800 élèves du primaire en plus.

Une planification qui laisse à désirer

Même si la loi le prévoit, le ministère « ne dispose d’aucun document retraçant sa vision prospective quant au développement du système éducatif et son intégration dans le tissu économique et social du pays« . Cela engendre des problèmes de planification. L’un des exemples les plus parlants concerne le système d’évaluation des besoins en enseignants. En 2006, le ministère a estimé son besoin pour l’année scolaire 2016/2017 à 8.213 enseignants. Or, le besoin est au final de 15.260 professeurs.

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Certains enseignants prodiguent moins de 14 heures de cours par semaine

Quatre enseignants sur dix dans le cycle qualifiant dispensent moins de 14 heures de cours par semaine au lieu des 21 heures prévues. Au collège, 42% des professeurs enseignent 18 heures au lieu des 24 prévues. À Beni-Mellal-Kénifra, 87% des enseignants du cycle qualifiant sont en sous-horaire. La Cour des comptes estime que le manque engendré représente l’équivalent de 435 enseignants. À tout cela s’ajoute l’impact du départ en retraite anticipée de 15.213 enseignants (entre 2013 et 2016).

Un million de cartables, deux mois de retard

La Cour des comptes relève aussi un souci de coordination entre les différents programmes d’appui social et une insuffisance de moyens financiers qui leur sont attribués. C’est le cas par exemple pour le programme Tayssir, dont l’objectif est de soutenir les élèves âgés de 6 à 15 ans dans des communes affichant un fort taux d’abandon scolaire et de pauvreté. Le programme « Un million de cartables » enregistre quant à lui une autre forme de dysfonctionnement: dans certains cas, les fournitures scolaires sont livrées aux élèves plus de deux mois après la date de la rentrée scolaire.

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Plus loin: Le rapport intégral de la Cour des comptes en PDF

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