« À ceux qui pensaient que Cyril Hannouna était le comble de la télé dégradée, je dis : ‘Et la lumière fut’. En arabe: Bouchra Ddeau…« , écrit, avec humour sur sa page Facebook, notre collègue Jamal Boushaba. Connue jusque-là pour ses courtes émissions au ton frivole, Bouchra Ddeau officie désormais comme animatrice dans une émission de Télé Maroc, la chaîne fraîchement lancée par Rachid Niny.
À peine a-t-elle démarré que l’émission « Daribate al chouhra » (« La rançon de la gloire ») s’attire les foudres des internautes sur les réseaux sociaux. « Aussi célèbre que vous soyez, à Télé Maroc, vous paierez obligatoirement la rançon de la gloire« , lance d’emblée la présentatrice pour appâter les téléspectateurs. Faisant usage d’un langage peu commun – et, disons-le peu élégant –, elle n’hésite pas à s’immiscer dans le moindre détail de la vie intime de ses invités avec une préférence pour leur sexualité, le tout avec un ton tantôt moqueur tantôt inquisiteur.
Des interpellations homophobes aux remarques misogynes, tout y passe. Pourvu que l’audience soit au rendez-vous. « L’émission présente l’invité sous une facette méconnue du spectateur. Il est normal donc qu’elle choque et c’est exactement le but« , nous dit, un brin fière, Bouchra Ddeau. Et ce sont les invités qui, pris au piège, en paient le tribut en effet. Le sexologue Doc Samad, de son nom Samad Benalla, et Aicha Ech-chenna, militante des droits des mères célibataires, en ont fait l’amère expérience.
C’est grave, docteur!
« Vous vous êtes fait refaire les lèvres? » La question s’adresse à Doc Samad, qui refuse d’y répondre. La journaliste, qui tient à arracher une réponse, ne lâche pas l’affaire, revenant à la charge à multiples reprises, au grand désarroi de son invité qu’elle tient coûte que coûte à embarrasser: « Et pourquoi parlez-vous d’une manière aussi peu virile? En vous regardant, beaucoup de gens disent qu’il n’y a plus de virilité dans ce pays« , dit-elle encore en le fixant des yeux. « C’est ma manière de parler« , lui rétorque simplement le sexologue, qui ne semble pas perturbé outre mesure.
Face au sang-froid de l’invité, elle passe à la vitesse supérieure. « On dit que vous n’êtes pas un homme (…) avec un peu de maquillage, vous seriez une fillette« , assène-t-elle, avant d’enfoncer le clou: » Avec votre comportement, vos gestes, votre voix… vous êtes un pédé (sic) aux yeux de beaucoup de gens« . Son interlocuteur ne sort toujours pas de ses gonds, préférant la gratifier la présentatrice d’une leçon: « Pédé ne veut pas dire homosexuel. Je ne vous laisserai pas dire ça. L’homosexualité n’est pas une perversion« , lui fait remarquer calmement le sexologue. L’échange bascule par la suite sur l’impuissance présumée de Samad Benalla, que Bouchra Ddeau a pu déduire de la durée de son mariage.
« J’aurais pu quitter l’émission, mais ça ne correspond pas à mon caractère. L’important pour moi, c’est l’information. Si j’étais parti au moment où elle m’a traité de pédé, tout le monde serait resté bloqué sur ça. J’ai préféré alors lui donner une définition de l’homosexualité et de la perversion sexuelle« , nous explique le médecin, qui estime avoir été induit en erreur sur la nature de l’émission.
« On m’a invité pour parler de mon parcours et de la ‘taxe’ que je paie à cause de ma célébrité et non pour parler de ma vie privée, encore moins dans le langage ordurier que la journaliste a employé. Pour lui apprendre ce qu’on appelle l’empathie, j’ai dû lui demander si elle était vierge afin qu’elle se mette à la place de celui qui se trouve dans une situation intimidante« , poursuit notre interlocuteur, qui se réjouit d’avoir reçu de nombreux appels de soutiens après l’émission.
« Le piège s’est retourné contre elle« , commente-t-il, faisant allusion à la vague d’indignation ayant suivi la diffusion de l’émission. L’épisode est loin de son dénouement, puisque Samad Benalla a déposé plainte en mai contre la chaîne. « On ne m’a pas permis de voir l’émission avant le montage. Etant donné que je n’ai rien signé, j’ai porté plainte« , nous confie-t-il. Plainte que nous confirme Bouchra Ddeau.
Mère célibataire ou prostituée ?
« C’est le virus du journalisme« . Dépitée, Aicha Ech-chenna n’y va pas par quatre chemins pour commenter la « méthode » de Bouchra Ddeau. La fondatrice et présidente de l’association Solidarité féminine, victime elle aussi des assauts de Bouchra Ddeau sur le plateau, ne cache pas qu’elle regrette son passage dans « Daribate al chouhra ». « Êtes-vous une vraie musulmane? Un vrai musulman n’incite pas à la prostitution en encourageant les femmes à donner naissance à des enfants en dehors du mariage« , décrète la présentatrice, sans prendre la peine d’écouter la réponse de la militante. Voilà qu’une femme célibataire devient synonyme de prostituée.
Durant le passage d’Aicha Ech-chenna, Bouchra Ddeau n’a pas manqué d’aborder son sujet fétiche: « Étiez-vous vierge lorsque vous vous êtes mariée?« , lance-t-elle à son invitée. Comme désarçonnée par cette attaque frontale, la militante en vient presque à se justifier: « Évidemment. Je viens d’une famille traditionnelle musulmane. Mon grand-père était âlem« , répond-elle, sans se douter qu’elle ne fait qu’alimenter la machine pernicieuse de Ddeau. « Comment la fille d’un âlem peut-elle faire ça?« , charge à nouveau l’animatrice.
Dans la dernière partie de l’émission, appelée « J’ai votre secret« , Bouchra Ddeau, connue aussi pour avoir été candidate à l’élection de Miss cerisette en 2010 au festival de Sefrou, sort « l’artillerie lourde » : une tentative de viol dont aurait été victime Aicha Ech-chenna il y a plus de quarante ans. « Si l’homme a tenté de vous violer, c’est que vous n’aviez pas rejeté fermement ses avances« , lui lance-t-elle avec un air déconcertant.
« Elle est rentrée dans ma vie personnelle alors que j’étais venue parler de mon activité en faveur des mères célibataires. C’est honteux« , dénonce la militante qui a reçu de nombreuses distinctions internationales. « Je ne saurais me défendre. Je laisse les gens qui m’apprécient répondre à ma place« , nous confie-t-elle, d’une voix faible. Le 8 juin, Aicha Ech-Chenna a été désignée « Femme de l’année 2017 » par le Prix Monte-Carlo. En voilà une réponse.
Y a-t-il un pilote dans l’avion ?
Alors que Doc Samad et Aicha Ech-Chenna ont été traînés dans la boue, Bouchra Ddeau s’est contentée de nous déclarer que c’est la nature de l’émission. « Il est naturel que l’émission fasse polémique. D’abord, parce que ce genre n’existe pas dans les chaînes marocaines, ce qui surprend bien sûr le téléspectateur« , tente-t-elle d’expliquer. « Télé Maroc est une chaîne privée, ce qui veut dire que l’émission qu’elle présente n’est pas financée par l’argent du contribuable pour que le public lui demande des comptes. Personne n’est obligé de regarder mon émission« , lance encore la présentatrice.
Et c’est là que le bât blesse. L’émission, bien qu’elle soit produite au Maroc, est émise par Satellite (Nilesat) depuis l’Espagne. Une manière de contourner le contrôle de la HACA, un subterfuge dont ne se cache pas le patron de la chaîne Rachid Niny: « Nous n’allons pas attendre éternellement pour que la HACA libère enfin le champ audiovisuel, il faut oser aller ailleurs et créer des chaînes libres et indépendantes« , nous avait-il déclaré en janvier dernier.
Quels garde-fous restent-ils alors pour encadrer les dérapages de l’émission de Bouchra Ddeau? Contacté par Telquel.ma, le ministre de la Communication Mohamed Laârej nous renvoie d’abord vers la HACA avant de se raviser. Lorsqu’il découvre que la chaîne de Niny échappe aux radars du gendarme de l’audiovisuel, il nous demande de le rappeler plus tard, mais ne répondra plus à nos appels.
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