Le 1er juin, le « Mouvement du 18 septembre pour l’indépendance du Rif » (M18S) a partagé sur sa page Facebook une lettre ouverte à Antonio Guterres, secrétaire général des Nations unies, en réaction au mouvement de contestation populaire dans le Rif qui gronde depuis la mort de Mohsine Fikri fin octobre à Al Hoceima. Dans cette lettre, le M18S prend fait et cause pour le Hirak, en partageant une partie de ses revendications notamment sur la « libération des prisonniers politiques sans condition« . Le mouvement indépendantiste appelle l’ONU à « enquêter sur les crimes commis par le régime marocain contre le peuple rifain » et à « surveiller les droits de l’Homme » dans la région. Ce soutien pèse contre le Hirak, lorsque l’État marocain y est qualifié de « force d’occupation » et que le M18S invoque la charte des Nations unies pour revendiquer le « droit à l’autodétermination » du Rif. Le M18S demande « le transfert du dossier d’occupation des zones rurales par le régime marocain à la commission chargée de la décolonisation« .
Le sulfureux Said Chaou
Le M18S est associé à Said Chaou, la cinquantaine, détenteur de la double nationalité maroco-néerlandaise. Cousin du président de la région Tanger-Tétouan Al Hoceima et secrétaire général du PAM Ilyas El Omari, il exploite des coffee-shops aux Pays-Bas. Dans les années 2000, il revient au Maroc pour investir dans le tourisme et notamment dans la compagnie maritime Reduan Ferry, qui opérait la ligne Al Hoceima-Malaga avec le navire Beni Sidel de 2007 à l’été 2008.
En 2007, il se lance aussi en politique et est élu député à Al Hoceima sous les couleurs du parti Al Ahd, membre du groupe parlementaire du PAM. Il n’ira pas jusqu’au bout de son mandat. En 2010, il parvient à quitter le Maroc alors qu’il est cité pour trafic international au procès de Najib Zaimi, avec qui il a été associé dans un coffee-shop aux Pays-Bas, et qui sera condamné à la peine de mort au Maroc. Said Chaou rentre alors aux Pays-Bas, à Rosendael.
Un mandat d’arrêt international pour trafic de drogue est lancé contre lui. Il est arrêté en juin 2015 par les autorités néerlandaises, dans le cadre d’une opération conjointe avec les services français et espagnols, en possession de 140.000 euros en liquide et d’une compteuse de billets. Lors de la perquisition à son domicile, les autorités saisissent des robinets en or et une voiture de luxe, rapporte le site d’information néerlandais Omro Brabant.
Faute de preuve, la justice lui a finalement accordé la liberté sous contrôle judiciaire en décembre 2015. Said Chaou, militant du M18S, pourrait aussi en être le financier, au vu des moyens dont il dispose, d’après plusieurs observateurs rifains. Le mouvement est d’ailleurs enregistré au tribunal de commerce de Rosendael, ville où Chaou fait fortune, et « comme l’exige la loi néerlandaise« , tient à préciser un militant du mouvement séparatiste rifain joint par Telquel.ma.
La défense nie en bloc…
Alors que sept activistes du Hirak, dont le leader Nasser Zafzafi, sont poursuivis pour « incitation publique, contribution à l’incitation contre l’intégrité territoriale du Royaume« , « atteinte à la sécurité intérieure de l’État à travers la perception de sommes d’argent, de dons et d’autres avantages pour mener et financer une activité et une propagande visant à porter atteinte à l’intégrité du Royaume et sa souveraineté« , la défense nie en bloc.
« Le procureur a demandé à Nasser Zafzafi ‘quelle est votre relation avec les mouvements séparatistes en Europe, notamment le M18S et Said Chaou?‘. Mon client a répondu : ‘Ça fait sept mois que je suis en conflit avec ces gens qui veulent passer par les demandes sociales et économiques pour m’obliger à formuler des demandes politiques et de séparatisme. Il y a beaucoup de vidéos publiques dans lesquelles je dis que je suis contre ces demandes politiques. Je suis pour un Maroc unifié, avec son drapeau, son institution. Je continuerai de manifester exclusivement pour nos demandes économiques et sociales' », rapporte à Telquel.ma l’un des avocats de la défense, Maitre Isaac Charia. À noter tout de même, avant de se mobiliser pour le Hirak, Nasser Zafzafi était connu à Al Hoceima pour ses vidéos YouTube en faveur d’un régime républicain.
Maitre Charia est formel: « Il n’y a aucune preuve dans le dossier d’instruction. Il y a simplement la trace d’un virement de 200 € de l’Europe vers le Maroc, au sein d’une même famille. Si la sureté intérieure du pays est menacée par 2000 dirhams, c’est vraiment inquiétant. Il y a également l’enregistrement d’une conversation téléphonique entre deux personnes étrangères au mouvement, que Nasser Zafzafi ne connait pas, et qui parlent d’un transfert d’argent. Beaucoup d’avocats ont demandé de retirer cette preuve qui ne vaut rien. D’ailleurs, ces deux inconnus n’ont pas été arrêtés. »
Il poursuit: « Le dossier est tellement vide que l’on craint que des preuves fabriquées y soient ajoutées. Lorsqu’on lui a lu les chefs d’accusation retenus contre lui, un des accusés n’a pas pu s’empêcher de rire. Il a dit au juge : ‘Je suis sorti de chez moi pour manifester dans l’espoir d’améliorer la situation pour trouver un travail, me marier et avoir des enfants. Avec des accusations comme ça, c’est sûr que je ne trouverai rien de tout ça’.
… le M18S aussi
Un militant du M18S met lui-même en garde contre le mélange des genres entre mouvement séparatiste et mouvement de contestation populaire sur des revendications sociales et politiques. Rachid Oufkir est à la fois militant du M18S et président du « Comité de soutien au mouvement de contestation rifain » en région parisienne, mais dit faire la différence. « Je suis indépendantiste parce que je ne me reconnais plus dans le pouvoir de Rabat, parce que je n’ai plus confiance, mais le mouvement contestataire actuel dans le Rif inclut des Rifains de toutes idéologies, toutes classes sociales, toutes professions confondues, » déclare-t-il à Telquel.ma. « Associer Said Chaou au mouvement contestataire rifain, c’est une tentative pour souiller ce mouvement populaire« , juge-t-il. Sur la question des liens financiers entre le M18S et le Hirak, il reste vague. « Si j’ai 20 euros, je voudrais effectivement les donner pour aider le mouvement, à titre personnel pour assister logistiquement. Qu’est-ce qui m’en empêche, moi comme tous les autres Rifains? C’est tout à mon honneur, au contraire« , avance-t-il.
Les leaders du Hirak ne nient pas entretenir des liens avec la diaspora rifaine en Europe « pour structurer leur mouvement« , car cela n’implique pas que cette diaspora est nécessairement impliquée dans des trafics de drogue ou séparatiste. Said Chaou, lui, est séparatiste revendiqué et vend du haschich marocain dans des coffee-shops néerlandais. Aussi, Nasser Zafzafi reconnait lui-même devant le procureur qu’il a eu des échanges avec Said Chaou, mais nie avoir reçu de l’argent de sa part, ou avoir suivi des consignes politiques. L’instruction à charge par le procureur et la BNPJ, et à décharge par la défense devra permettre d’établir la véritable nature des liens entre les leaders du Hirak et les membres du mouvement indépendantiste, dont Said Chaou.
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