10,3 millions de touristes ont foulé le sol marocain en 2016. Mais passer des vacances n’est pas uniquement réservé aux personnes valides. Rendre le tourisme marocain accessible aux personnes à mobilité réduite est devenu le défi d’Hossaine Ichen, guide touristique autodidacte, lui-même handicapé.
D’un pas déterminé, Hossaine Ichen avance avec ses béquilles noires dans la ville de Meknès. Il s’appuie sur sa jambe droite, alors que la gauche a du mal à suivre. Il montre le chemin dont il connaît les moindres recoins: « Ici, on peut même passer avec un fauteuil roulant, la ville de Meknès a fait des aménagements« , s’enthousiasme le guide touristique de 35 ans en montrant une rampe qui permet d’entrer dans les sinueuses rues de l’ancienne médina. Depuis quatre ans, cet informaticien de formation s’est consacré au tourisme, principalement pour les personnes invalides. Son défi : faire découvrir le Maroc aussi bien aux personnes valides qu’aux personnes handicapées.
Natif de Tounfite, Hossaine Ichen a été paralysé des jambes après avoir contracté la poliomyélite. « Il n’y a pas de traitement médical, il ne me reste plus qu’à me battre« , explique le jeune homme, petit dernier d’une famille de neuf enfants. « J’ai choisi de faire des études d’informatique, car cela ne me demandait aucun effort physique« , explique-t-il. Mais « impossible de trouver un emploi malgré ses deux diplômes, à cause de la discrimination« , déduit Hossaine Ichen. Il choisit alors d’enseigner l’informatique dans un établissement privé, pour seulement 1.500 dirhams par mois.
« En 2013, par nostalgie, j’ai publié sur Facebook des photos que j’avais faites lors d’une randonnée de plusieurs jours dans les montages à côté de mon village avec des amis« , se rappelle-t-il. « Pendant quatre jours, avec mes béquilles, j’ai marché, dormi dans les montagnes et traversé des rivières« , raconte Hossaine Ichen, les yeux encore brillants. Et là, c’est le déclencheur. Il reçoit une avalanche de messages et des commentaires d’internautes, épatés qu’il ait pu faire ce voyage sur ses deux béquilles. « C’est là que ma vie a changé« , affirme le jeune homme. Entre temps, ses photos sont partagées jusqu’aux États-Unis et au Canada, les internautes le pressant de donner plus d’informations sur le Maroc et sur le tourisme adapté au handicap.
Vers le tourisme au-delà
La même année, il aide pour la première fois un couple de touristes allemands à trouver logement et transport, ainsi qu’à organiser leur voyage. C’est à Casablanca qu’il reçoit ses premiers clients. Puis les touristes sont venus du monde entier. « Je parle tamazight, darija, anglais, français et un peu néerlandais. Je peux accueillir beaucoup de gens« , conclut le jeune homme aux cheveux noirs toujours un souriant.
« Au départ, c’était un hobby. C’est devenu mon travail« , s’enthousiasme-t-il. Désormais, il est le seul Marocain à apparaître dans le guide touristique Lonely Planet dédié au tourisme pour handicapés. En 2014, il a été invité à une conférence au sujet du « Tourisme pour tous » en Malaisie. L’évènement était organisé par plusieurs ONG, dont le European Network for accessible tourism.
L’année dernière, Hossaine Ichen a organisé un voyage de six jours de Marrakech à Ouarzazate en passant par Merzouga pour une famille de sept Canadiens, dont un enfant de 11 ans lourdement handicapé. « Nous avons choisi Hossaine, car il était aussi beaucoup moins cher que les grandes agences de tourisme internationales« , explique Genia, la mère. Hossaine Ichen facture autour de 20 euros par jour en moyenne, en fonction du handicap et du nombre de personnes. « Finalement, nous avons décidé de le payer plus que les 70 dollars convenus vu la prestation du service et sa disponibilité« , témoigne-t-elle.
Système D
Et si le Maroc n’est pas toujours adapté aux handicapés, Hossaine Ichen trouve toujours une solution – expérience oblige. « Je connais les bons plans, comme aller aux toilettes à Casa Port ou au MacDo à Casablanca, car elles sont accessibles pour tous« , explique-t-il, tout en estimant que plus de 90% des cafés et des restaurants ne sont pas accessibles pour des handicapés en fauteuil roulant. « Un jour, dans un village où nous nous sommes arrêtés pour déjeuner, tous les restaurants étaient accessibles par escalier« , se souvient Genia.
Le jeune guide adapte aussi les horaires en fonction de ses clients. « Nous faisons les visites tôt le matin, ou dans l’après-midi, car les personnes handicapées sont plus sensibles à la chaleur qui les fatigue« , souligne en connaissance de cause Hossaine Ichen qui doit se tenir sur ses deux bras.
« La seule ville qui n’est pas du tout accessible, c’est la médina de Fès« , confie le guide. Jamais à court d’idées, Hossaine Ichen trouve même un moyen pour emmener ses clients dans une partie de la médina de Tanger qui est pourtant juchée à flanc de colline. En revanche, dans les zones moins urbaines, c’est beaucoup plus délicat. Impossible alors de se rendre à Chefchaouen ou aux cascades d’Ouzoud par exemple.
Chouiya bchouiya
Le combat d’Hossaine Ichen se joue aussi dans les mentalités. « Les Marocains pensent que les gens handicapés ne vont pas venir dans le royaume« , s’agace-t-il. Pourtant, il arrive à faire bouger les lignes. La Canadienne Genia raconte qu’ils ont tous logé dans le riad Sherazad à Marrakech, où Hossaine Ichen a fait faire des travaux après y avoir travaillé plusieurs fois.
« Je travaille aussi avec le propriétaire écossais d’un riad à Marrakech. Il est en train de construire un riad entièrement accessible pour les personnes handicapées. C’est possible, il suffisait d’y penser!« , s’enthousiasme Hossaine Ichen. « Je veux montrer à mon pays que nous, les personnes handicapées, sommes là et que nous avons des compétences« . Soutenu par sa famille, Hossaine Ichen rêve désormais de créer une véritable agence de tourisme.
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