A Melillia la nuit, des enfants font le "riski" vers l'Europe

Minuit à Melillia.  Caché près du port, Wahib, neuf ans, est l'un des nombreux enfants des rues prêts à "faire le riski": prendre tous les risques pour s'embarquer clandestinement vers l'Europe.

Par

Antonio RUIZ / AFP

« Riski » – de l’adjectif anglais « risky », dangereux – est un mot qui revient sans cesse dans la bouche des dizaines de « mineurs étrangers non accompagnés » que Melillia s’est habituée à voir errer. « Ca veut dire te faufiler sur un bateau sans être vu, sans que le détecteur de battements de coeur décèle ta présence et sans que les chiens te flairent », explique à l’AFP l’éducatrice Sara Olcina, bénévole de l’association Harraga qui suit de près ces mineurs.

« J’étais en train de faire le riski et je suis tombé », dit ainsi en arabe le benjamin d’un groupe, Wahib, une plaie mal cicatrisée à l’arrière du crâne. Il est l’un des « 50 à 100 mineurs étrangers – essentiellement marocains – qui dorment dans les rues de Melillia » en espérant se glisser sur un bateau, selon un rapport de l’université Pontificia Comillas de Madrid publié en mars.

« Accès interdit, danger de chute », avertit aux abords du port un panneau posé sur les grilles que des dizaines de garçons escaladent quotidiennement. Leurs nuits sont faites d’un dangereux jeu de cache-cache multiforme. Descendre dans l’enceinte du port à l’aide d’une corde. S’accrocher au châssis d’un camion. Se glisser sous le déflecteur coiffant la cabine. S’enfouir dans une cargaison de ferraille ou de carton. Ou bien se hisser par les amarres à bord d’un ferry à destination de l’Espagne… Le « riski » a fait au moins quatre morts en 2015 et 2016 à Melillia, selon la presse locale, dont deux mineurs marocains qui se sont noyés en tentant d’approcher un bateau.

« L’an dernier, un groupe d’une douzaine d’enfants vivaient dans la rue, le plus petit avait 7 ans, le plus grand 10. Beaucoup sont montés clandestinement sur un bateau », rapporte Sara Olcina. Certains enfants vivent dans des grottes inhospitalières face à la mer, très difficiles d’accès. Des cartons y servent de matelas, a constaté l’AFP. D’autres dorment sur des bancs publics ou dans des caches infectes sous un pont.

Les tubes de colle que la plupart respirent pour se droguer les aident à prendre le « riski » comme un jeu. Bilal a un visage rieur et un sweat-shirt crasseux orné d’un lapin. Il explique avoir 14 ans et en être à « trois tentatives cette semaine« . Son frère de 16 ans est déjà passé clandestinement. Originaire de la ville marocaine de Fès, entré en janvier à Melillia, Bilal assure n’être resté que « quatre jours » au centre pour mineurs.

Un de ses copains – le regard vide, désespéré – revient couvert de graisse de camion après un « riski » raté. « On ne peut pas comprendre que l’administration d’un pays comme l’Espagne puisse consentir à cela: la détresse de ces enfants, victimes d’individus qui contrôlent les gens de la rue, leur vendent de la colle, les envoient mendier ou voler« , dit Jose Palazon, président de l’association Prodein qui les aide depuis vingt ans.

Perte de confiance

A Melillia, les mineurs rencontrés par l’AFP racontent, eux, être entrés assez facilement, notamment « en se cachant » parmi la foule des frontalières marocaines autorisées à passer sans visa qui se bousculent au poste-frontière, chargées d’énormes ballots de marchandises. Dans cette ville de 80.000 habitants gérée par les conservateurs, le nombre de mineurs étrangers a grossi depuis deux ans, explique le responsable de la protection sociale, Daniel Ventura.

Les centres d’accueil, archipleins, hébergent près de 500 mineurs, généralement scolarisés ou inscrits à des ateliers de formation, fait-il valoir. Mais la plupart sont accueillis dans un ancien fort militaire décati et si controversé que la presse n’est plus autorisée à le visiter. Le rapport universitaire dénonce « l’abandon et la négligence institutionnelle couplés au rejet social que connaissent les enfants dès qu’ils arrivent à Melillia« . « On a l’impression qu’on laisse ces enfants rester dans la rue en espérant qu’ils vont finir par passer de l’autre côté » de la Méditerranée, conclut-il. M. Ventura récuse totalement ce rapport qui, dit-il, « ne s’intéresse qu’aux enfants qui ne veulent pas rester dans les centres » et fuguent. Pour lui, « une grande partie devraient être placés dans un centre spécial pour troubles du comportement, parce qu’ils ont beaucoup souffert« . « Mais si nous en prenons 40 vivant aujourd’hui dans les rues et les mettons dans un tel centre, 40 autres arriveront » du Maroc, lance-t-il.

Les associations, elles, estiment que les enfants ne pensent qu’à partir (de ces structures d’accueil) parce qu’ils ont « perdu confiance dans le système de protection ». « Ils voient que l’administration espagnole n’accorde plus la nationalité espagnole à beaucoup de ceux qui arrivent à la majorité », dit M. Palazon – ce que conteste M. Ventura. Originaire de Marrakech, Abdelali part dormir sous un pont. Il assure qu’il a 17 ans et vient d’être expulsé d’un centre, un test osseux ayant conclu qu’il en avait 18. « Mon ami a réussi à monter sur un bateau, moi je suis tombé », dit-il, un bras en écharpe. « Dès que je serai guéri, je referai le riski ».

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