(article publié dans le numéro 764 de TelQuel du 12 au 18 mai 2017)
Par Ghassan El Kechouri et Hamza Hachlaf
Hicham Hamzi est assis, comme tous les jours, dans sa boutique où il vend et répare des téléphones. C’est un commerçant anonyme du quartier Bensouda à Fès. Pourtant, il y a 14 ans, il faisait l’actualité en tant que membre d’une cellule terroriste démantelée après les attentats du 16 mai 2003. Même son ami d’enfance et collègue ne connaît pas les détails de la vie antérieure de Hamzi. Assis aux côtés de ce dernier, il l’écoute se confier, étonné. “Nous avons songé à tuer Brahim, pensant qu’il était au courant de l’existence de notre cellule”, nous lance Hicham. Brahim, tout sourire, tourne cette vieille intention de meurtre à la dérision : “Vous étiez aveuglés”. Et, tout ouïe, il écoute son ami dérouler les étapes de sa radicalisation.
“Beaucoup ont pensé que mon père imam était le responsable. C’est faux, il prônait au contraire un islam modéré, simple et populaire”, confie Hicham Hamzi. A l’orée des années 1990, il était même en rupture de ban avec l’ambiance pieuse qui régnait parmi sa fratrie de cinq filles et trois garçons. Sa vie ressemblait à celle de beaucoup de jeunes adultes de son âge, ponctuée par quelques beuveries, la consommation de drogues et la fréquentation des filles. “Je n’étais pas pratiquant, mais j’écoutais de temps en temps des cassettes interdites du cheikh Abdelhamid Kichk. Je l’admirais, comme d’autres amis, car il s’opposait aux dirigeants arabes”, explique-t-il. “L’étoile des prêcheurs islamiques”, comme il était surnommé, avait l’écoute de Hicham, admiratif du charisme de Kichk, aussi mainstream qu’une star de rock MTV, qui irriguait sa révolte de “Rebel without a cause” (La fureur de vivre), pour paraphraser le titre du film avec James Dean. Sans “cause”, car il n’était pas encore enraciné dans un islam du rejet, avouant être encore choqué à la vue des changements de comportements au sein de sa famille. “Ils sont devenus très stricts sur la question de la prière. Pire, mes sœurs ont mis le niqab”, se souvient-il, s’opposant à l’époque au nouveau style de vie à la maison.
Policier des mœurs
Orphelin de père, Hicham se retrouve responsable de la famille après la mort de son frère aîné. Il arrête de voyager pour le travail pour rester avec sa famille, s’adaptant, presque contraint et forcé, à l’ambiance religieuse prégnante qui règne chez lui. Au fur et à mesure, il ressent un “vide intérieur” mais trouve comment le combler auprès des salafistes de son quartier. Ces derniers commencent à pulluler à la fin des années 1990. “Les quartiers populaires de Fès connaissaient une vague de radicalisation. Nous nous échangions des cassettes audio et vidéo de prédicateurs égyptiens et saoudiens”, raconte Hicham qui, à l’époque, change de vie du tout au tout. “Nous vivions dans un monde à part, isolés du reste de la société, au rythme de l’Arabie Saoudite pour le début du ramadan par exemple. Mon lexique a changé, je ne regardais plus la télévision, j’ai brûlé toutes les photos qui me rappelaient mon passé de débauche”, égrène-t-il.
Un monde à part certes, mais voulant faire tache d’huile à travers le prosélytisme.“Nous donnions des cours partout, occupant la place publique et transformant des boutiques en mosquées clandestines pour y prier et faire la prédication”, explique Hicham. Les attentats du 11 septembre 2001 aux Etats-Unis seront un nouveau tournant pour lui. Hicham Hamzi ne se contente plus d’étudier le Coran et prêcher les théories salafistes et wahhabites. Un discours récurrent sur la nécessité du jihad monte en puissance, porté lors de débats clandestins par les récits des faits d’armes de Marocains partis combattre en Afghanistan.
Pierre Robert, chevalier du jihad
En 2002, Hicham Hamzi commence à participer à des rondes dans les quartiers de Fès, avec ses acolytes munis d’armes blanches, s’autoproclamant police des mœurs, comme en Arabie Saoudite ou en Afghanistan sous le régime des Talibans. En habit afghan, les cheveux longs et la barbe fournie, ils admonestent les femmes qu’ils jugent trop dénudées, agressent les hommes ivres sur la voie publique et les consommateurs de haschich.
A la fin de 2002, il passe à la vitesse supérieure en organisant une cellule clandestine avec d’autres salafistes afin de s’entraîner au combat. Khaled Haddad, forgeron qui fabrique les épées du groupe, leur annonce qu’un ancien combattant en Afghanistan, ayant côtoyé Ben Laden, arrivera bientôt pour prendre les commandes de leur cellule. Le jihadiste tant attendu n’est autre que Pierre Robert, qui sera surnommé “l’émir aux yeux bleus” après son arrestation en 2003. “Il est entré, nous a salués avant de poser son revolver sur la table”, se souvient Hicham Hamzi. Dès cette première rencontre, Pierre Robert leur explique que l’objectif est de braquer des banques afin de réunir de l’argent pour financer leur entraînement militaire, acheter des armes et fabriquer des explosifs avant de passer à l’action.
En mars 2003, Hicham Hamzi commence son entraînement militaire sous les ordres de Pierre Robert près d’une caverne à Oued Bourkiz, dans les environs de Fès, un lieu isolé et loin des regards. “Pierre Robert nous avait demandé de raser nos barbes et de nous couper les cheveux pour nous noyer dans la masse”, souligne Hamzi. Dans la caverne, les membres de la cellule s’entassent à quinze, dormant à même le sol, se nourrissant uniquement d’une portion de pain par jour. “Pierre Robert nous interdisait de sortir la journée, nous soumettant à un entraînement éprouvant physiquement. On s’exerçait au tir au pistolet et aux arts martiaux avec Mohamed Maâtaoui (voir en bas ce cet article)”, se rappelle Hamzi. Le camp commando durera vingt jours, interrompu par la curiosité de voisins qui pensaient que le groupe de Hamzi était une bande de voleurs.
Et survint le 16 mai…
“Quand nous avons appris la nouvelle des attentats de Casablanca, nous nous sommes mis à prier pour remercier Dieu. J’ai envié les auteurs de ces actes, c’étaient pour moi des gens qui ont eu la chance de devenir des martyrs. C’était quasiment de la jalousie”, confie Hicham Hamzi. Pour éviter une vague d’arrestations, Pierre Robert propose à Hamzi et aux membres de la cellule de Fès deux choix possibles : fuir en Irak ou passer le plus vite à l’action en imitant la série des attentats de Casablanca à l’aide de bombes artisanales et de ceintures d’explosifs. ”J’étais prêt à tout. J’étais à deux doigts de me faire exploser à Bab Boujloud, quartier très fréquenté par les touristes”, avoue-t-il pour la première fois.
Dans la nuit du 16 mai 2003, deux kamikazes se font exploser à la Casa de España, tuant 22 personnes. Crédit: DR
L’entraîneur d’arts martiaux de la cellule, Mohamed Maâtaoui, est bientôt arrêté par la police pour des délits de droit commun sans rapport avec ses projets terroristes. Un autre leader de la cellule, Hassan Khaddioui, est à son tour appréhendé. “Ils ont tous avoué et donné les noms de tout le monde”, explique Hicham Hamzi. Ignorant qu’il est recherché, ce dernier est de passage chez lui quinze jours après les attentats du 16 mai. La première chose qu’il constate, c’est que son quartier est encerclé d’une armada de policiers. “J’ai appris, stupéfait, qu’on avait arrêté mon frère. Devant mes sœurs et ma mère en pleurs, j’ai pris une épée en prévenant cette dernière : ‘Je ne me rendrai pas et tuerai le premier policier qui entrera chez nous’”. Il finit par céder aux suppliques de sa mère, lâche son épée et se constitue prisonnier au poste de police du quartier.
Abou Hafs, son sauveur
Hamzi est transféré à la préfecture de police de Fès où, les yeux bandés et les mains menottées, il est interrogé pendant quinze jours. “On m’a ensuite emmené avec tout un groupe dans un autre endroit. J’avais les yeux bandés, j’ignorais où on allait, on a fait plus de trois heures de route”, raconte Hamzi qui, à son arrivée dans ce lieu inconnu, est descendu du fourgon de police et est obligé de marcher à genoux sur des gravats. “A chaque fois que je m’arrêtais à cause de la douleur, je recevais des coups de fouet”, ajoute-t-il. Sa journée de détenu est ponctuée par des séances de torture (coups et chiffon étouffant dans la bouche), des humiliations et des menaces de viol sur sa famille. Etait-il détenu au centre secret de Temara ? Hicham Hamzi le pense, sans en avoir la preuve. Après plusieurs mois de détention, il est finalement jugé et condamné à dix ans de prison ferme pour formation d’une bande criminelle, possession et fabrication d’armes et d’explosifs.
Après deux ans passés en cellule à Salé, il est transféré à la prison de Zillig à Fès en 2005. Il y fera la rencontre d’Abou Hafs. Hicham Hamzi avait déjà assisté aux prêches du cheikh, mais là il va découvrir l’homme. Hamzi joue au football avec Abou Hafs, blague avec lui, et, de fil en aiguille, noue des liens d’amitié. “Il nous a formés religieusement en organisant des débats religieux. Le programme, qui était chargé, comprenait l’étude des hadiths et de la doctrine islamique. Il m’a conseillé beaucoup de livres qui ont détruit des certitudes que j’avais sur l’histoire de l’islam”, témoigne Hamzi. Ebranlé par cette autre vérité enseignée par Abou Hafs, il remet en cause ce qu’on lui avait appris précédemment, passant à l’examen critique même certains hadiths et paroles prêtés au prophète. “Vous ne pouvez pas imaginer le soulagement que j’ai ressenti, cela m’a libéré”, commente Hicham Hamzi. “Il est devenu l’exemple même qu’il est possible de transformer un jeune ayant baigné dans un milieu gagné par le terrorisme. Je l’ai souvent choqué en remettant en cause ce qu’on lui avait inculqué, mais il n’a jamais mal réagi. Après notre sortie de prison, notre relation s’est renforcée sur le terreau fertile de notre parcours commun”, témoigne Abou Hafs.
Sa nouvelle vie
Libre depuis 2009, Hicham Hamzi a entamé une nouvelle vie qui n’est pas du goût de ses anciens amis salafistes, qui n’ont pas renoncé à leur lecture radicale de l’islam. “J’ai raconté l’histoire de ma ‘déradicalisation’ et publié mes idées sur la religion sur Facebook. J’ai été, dans la foulée, menacé de mort”, raconte-t-il, en nous faisant écouter sur Whatsapp certaines de ces menaces, provenant de membres de Daech. Très épris de sa femme, qu’il a épousée alors qu’il était en prison, Hicham Hamzi lui poste des messages d’amour et des poèmes sur Facebook. Il tente depuis plusieurs années de la convaincre de renoncer au niqab, ne désespérant pas d’y parvenir un jour. Père de deux filles, il souhaite qu’elles ne mettent jamais le voile.
Hicham Hamzi est convaincu aujourd’hui de la nécessité de passer par les élections et les institutions pour faire avancer le Maroc. Il a voté pour le PJD aux communales de 2015, puis a rejoint les rangs de l’Istiqlal avant les législatives de 2016. “Le fait qu’Abou Hafs se soit engagé aux côtés de ce parti m’a convaincu d’en faire de même. C’est un homme que je respecte énormément et auquel je fais confiance. Je lui dois tellement de choses”, nous confie-t-il, ému. Il transmet l’enseignement de l’ancien cheikh salafiste aux jeunes du quartier, ayant fait de la “déradicalisation” des générations montantes un combat personnel.
Les membres de sa celluleDémantelée en juin 2003, dans la foulée des attentats du Hassan Khaddioui L’idéologue Cheikh de la cellule, il veillait à ce que le comportement de Hicham et de ses compagnons soit conforme à sa vision radicale de l’islam. “J’avais un grand respect pour lui, c’était une personne irréprochable”, se souvient Hicham Hamzi . Ce dernier sera cependant choqué en découvrant que Khaddioui, alias “Hassan El Fassi“, a livré tous les membres de la cellule à la police après son arrestation. “Il a vite cédé sous la torture, donnant même les noms de personnes innocentes. Cela m’a bouleversé car il était pour moi le symbole de l’intransigeance”, ajoute Hamzi. Khaddioui, qui a recruté tous les membres de la cellule, sera condamné à perpétuité en septembre 2003.
Pierre Richard Antoine Robert L’Afghan Alias Hadj Abderrahmane, ce natif de la banlieue de Saint-Etienne en France, converti à l’islam, s’installe à Tanger en 1996. Quelques années plus tard, il forme une première cellule terroriste dans la ville du détroit, à cheval sur les quartiers Tanja El Balia et Bani Makada, foyers de radicalisation. Il reliera cette première cellule avec d’autres cellules à Casablanca, puis à Fès en 2003, après avoir fait la connaissance de Hicham Hamzi et d’autres candidats au jihad. “Nous avons été surpris en le rencontrant. Je n’aurais jamais imaginé qu’un Européen aux yeux bleus puisse nous inculquer les principes du jihad qu’il avait déjà pratiqué à la frontière entre l’Afghanistan et le Pakistan”, confie Hamzi. Surnommé dans la presse “l’émir aux yeux bleus”, Pierre Robert sera condamné à perpétuité en septembre 2003. Mohamed Maâtaoui Le gros bras Surnommé Souinaâ, il était chargé d’entraîner les membres de la cellule, selon Hicham Hamzi. Coach de Hapkido, un art martial coréen, Mohamed Maâtaoui était connu dans les milieux salafistes pour sa dureté dans le quartier de Ben Debbab à Fès. “Il faisait la police des mœurs, arrêtait tout homme ivre ou toute femme qu’il jugeait trop découverte. Il avait même interdit aux habitants de fêter le Nouvel An”, témoigne Hicham Hamzi. Mohamed Maâtaoui, qui était quasiment analphabète, “galérait pour apprendre un simple verset du Coran”, précise ironiquement Hamzi. Souinaâ sera condamné à 15 ans de prison ferme en septembre 2003. [/encadre]
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