Jusqu’ici, un seul amendement du PLF 2017 avait suscité la curiosité du public: celui du prix de la cigarette brune, qui sera progressivement revu à la hausse. Pourtant, sur les dix-huit propositions des groupes parlementaires de la majorité, un autre amendement est tout aussi digne d’intérêt. Celui de l’article 8 bis du projet de la loi de finances, qui interdit les saisies des biens de l’État et des collectivités locales à la suite des décisions judiciaires. « Les créanciers détenant des obligations ou des décisions judiciaires définitives contre l’État ou les collectivités locales ne doivent demander l’exécution que devant les ordonnateurs auprès de l’administration publique ou des collectivités concernées« , indique l’article.
Ainsi, si l’Etat ou les collectivités sont tenus de verser une indemnité (dans les 60 jours suivant le jugement définitif), ce versement ne pourra se faire que dans la limite « des crédits ouverts dans le cadre du budget ». Par ailleurs, « les fonds et les biens de l’État et des collectivités locales ne peuvent en aucun cas faire l’objet de saisie », précise le même article. Et c’est là où le bât blesse. « Le créancier aura-t-il alors plus de garanties de paiement ? Pas vraiment. L’ordonnateur est soumis à l’autorité de son pouvoir hiérarchique [le ministre, NDLR] », nous explique Mustapha Sehimi, politologue et constitutionnaliste.
Autres temps, autres amendements
Le débat n’est pas nouveau. En 2015 déjà, un amendement similaire avait été proposé lors des discussions autour de la loi de finances. Cet amendement avait rencontré une opposition farouche de la part des députés du PJD. Ironie du sort, c’est ce même parti qui est à l’origine de la proposition dans le cadre du PLF 2017. Selon le quotidien Akhbar Al Yaoum, réputé proche du parti à la lampe, c’est Idriss El Azami El Idrissi, président du groupe parlementaire du PJD, qui serait à l’origine de cet amendement.
« Entre 2015 et 2017, ils ont mis la main sur beaucoup de villes et de municipalités. Ils défendent donc les intérêts de leurs communes, car une commune placée sous mesure de saisie équivaudrait à une faillite, ce qui renforce l’idée d’un problème de gestion aux yeux du citoyen« , analyse Mustapha Sehimi. Le politologue rappelle qu’Idriss El Azami El Idrissi est aussi le président de l’Association des présidents des communes.
Pour justifier l’amendement, les groupes de la majorité présentent trois arguments (selon un document envoyé à Telquel.ma par le président de la Commission des finances Abdellah Bouanou). Ils avancent notamment les difficultés opérationnelles liées à des contraintes budgétaires, le nombre important des intervenants et un cadre législatif lacunaire sur la question de l’exécution des jugements à l’encontre de l’État et des collectivités. Problème: les députés du PJD, rappelle Akhbar Al Yaoum, avaient eux-mêmes souligné en 2015 le caractère anticonstitutionnel de l’amendement. Du pain bénit pour leurs détracteurs qui n’ont pas hésité à se saisir du même argument.
L’autre, c’est moi
L’article 126 de la Loi fondamentale dispose: « Les jugements définitifs s’imposent à tous. Les autorités publiques doivent apporter l’assistance nécessaire lorsque celle-ci est requise pendant le procès. Elles sont également tenues de prêter leur assistance à l’exécution des jugements ». » Cet engagement clair et sans équivoque (…) n’a pas été respecté par la majorité avec l’accord du gouvernement « , tonne Abdellatif Ouahbi, ex-président du groupe parlementaire du PAM, dans un plaidoyer parvenu à Telquel.ma.
Même son de cloche auprès du Parti marocain libéral, dont la ligue des avocats s’est fendue, le 13 mai, d’un texte au vitriol citant plusieurs articles de la Constitution qui auraient été violés (126, 124, 35…). Selon Mustapha Sehimi, le fond du problème réside surtout dans le fondement de l’insaisissabilité des biens de l’Etat et des collectivités locales.
« L’intérêt général est supérieur à l’intérêt du créancier, que l’Etat bénéficie d’une présomption de solvabilité et la primauté du service public sur l’autorité de la chose jugée. Or, le principe de l’égalité à une base constitutionnelle« , explique Sehimi. « En 2002, la Cour suprême avait validé l’exécution d’un jugement saisissant une somme d’argent de l’ONCF au profit de créanciers, car elle a estimé que l’ONCF était un établissement public à caractère industriel et commercial et que la saisie d’argent à concurrence de la créance due ne portait pas atteinte à son fonctionnement« , rappelle-t-il. Nous avons tenté, à plusieurs reprises, de joindre le président du groupe parlementaire du PJD pour des précisions sur l’amendement, en vain.
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