La recette de la Banque mondiale pour un Maroc émergent en 2040

Un Maroc émergent pour 2040? C'est possible, à en croire la Banque mondiale, si toutes les composantes du pays s'engagent dans une stratégie de rupture. Détails.

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Crédit: AFP

Le gouvernement El Othmani entame son travail sur les chapeaux de roue. La mission de ce gouvernement constitué dans la douleur est peut-être beaucoup plus importante que celles de ces prédécesseurs. Le nouvel Exécutif doit en effet plancher sur la définition et la mise en œuvre du nouveau modèle de développement marocain, car il n’est un secret pour personne que celui actuellement adopté s’essouffle. Abdellatif Jouahri, gouverneur de Bank Al Maghrib, l’avait écrit noir sur blanc dans le rapport annuel de son institution remis au roi Mohammed VI en 2016.

Depuis, la question qui préoccupe les éminences grises du pays est de savoir quel nouveau modèle de développement doit adopter le Maroc. La Banque mondiale a mené cette réflexion et a présenté au gouvernement son rapport intitulé « Le Maroc à l’horizon 2040: capital immatériel et les voies de l’émergence économique », dans le cadre du Mémorandum économique pays 2017. Une information qui a été relayée en exclusivité par L’Économiste le 21 avril.

Trois scénarios et un souhait

Le rapport de plus de 300 pages publié en intégralité par nos confrères de Médias24 revient sur le bilan de cette décennie de développement, mais ne se contente pas de dresser la liste des lacunes et rendez-vous manqués du Maroc. Il présente au gouvernement marocain les trois scénarios du développement et les recommandations pour un Maroc émergent à l’horizon 2040.

Le premier scénario est construit sur la base d’une extrapolation des tendances observées pendant la période 2000-2014. Il est tout simplement insoutenable, car il conduirait le Maroc à une grave crise de la balance des paiements due à un niveau de déficit élevé estimé à 20%. « Un tel niveau de déficit est tout simplement irréaliste et le pays se verrait confronté à une crise profonde de la balance des paiements bien avant d’atteindre ce niveau de déficit », prédit la Banque mondiale.

L’institution présente au gouvernement El Othamni un deuxième scénario voulant que le Maroc se dirige vers « une lente convergence lui permettant de restaurer ses fondamentaux, en rétablissant notamment un déficit soutenable de la balance des paiements courants autour de 2% du PIB ».

Cependant, ce n’est pas ce scénario que les auteurs du rapport recommandent. Ils plaident en faveur d’un troisième scénario « souhaitable d’un rattrapage économique accéléré« . Un scénario que les économistes de l’institution de Bretton Woods estiment possible, d’autant plus que le Maroc dispose d’une « fenêtre d’opportunité à saisir« .

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Une fenêtre d’opportunité à saisir

« La société marocaine est traversée par trois tendances de fond dont les effets potentiellement positifs sont déjà à l’oeuvre et influenceront l’avenir du pays : un phénomène d’aubaine démographique ; l’urbanisation de la société ; et la montée du niveau de formation de la population », est-il précisé dans le rapport. Le plus important est que « la combinaison de ces trois tendances a été observée dans tous les pays qui ont réussi leur décollage économique depuis un demi-siècle, tant en Europe du Sud (Espagne, Italie, Portugal) qu’en Asie (Corée du Sud, Taiwan, etc.) », expliquent les auteurs.

En d’autres termes, le Maroc dispose actuellement « des conditions nécessaires pour mener à bien son processus de convergence économique et sociale », à condition d’atténuer les risques d’effets négatifs par « des politiques publiques adaptées ». Autrement, « le Maroc pourrait passer à côté d’une opportunité unique dans son histoire », prévient la Banque mondiale.

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Pour l’institution de Bretton Woods, les tendances de fond précédemment évoquées ne suffiront pas à elles seules à déclencher une accélération durable de la croissance. « Afin d’échapper à ce que l’on appelle la trappe des pays à revenu intermédiaire, le Maroc devra atteindre et – ce qui est plus important encore – conserver pendant une génération au moins des gains de productivité plus élevés que par le passé ».

C’est un scénario de rupture, « selon lequel le Maroc s’engagerait dans une transformation structurelle et dans un processus de convergence accélérée en l’espace d’une génération », que recommande aujourd’hui la Banque mondiale. Cela suppose que les différentes institutions du Maroc soient prêtes à opérer de véritables changements de paradigmes, et qu’elles opèrent des choix qui soient également en rupture avec les stratégies et aux politiques passées.

Maroc émergent : mode d’emploi

Concrètement, la Banque mondiale demande au Maroc de placer le capital immatériel au centre de la stratégie pour l’amélioration de la productivité. « Les gains de productivité supplémentaires ne découleront pas uniquement de nouveaux investissements en capital fixe, mais d’un effort accru pour accumuler davantage de capital immatériel, c’est-à-dire de capital humain, institutionnel et social », lit-on. Pour les économistes ayant planché sur le cas du Maroc, « les évolutions de la productivité et du capital immatériel sont en grande partie liées, et c’est autour de ces deux variables clés que se détermineront la trajectoire de croissance et l’évolution du bien-être de la population marocaine à l’horizon 2040 ».

Pour ce faire, le Royaume devra travailler pour « le renforcement des institutions, le recentrage de l’action de l’État sur ses fonctions régaliennes, le développement du capital humain et le renforcement du capital social ». L’institution internationale détaille sa pensée point par point. S’agissant du renforcement des institutions d’appui au marché, elle recommande « une allocation plus concurrentielle du capital » en renforçant la concurrence et luttant contre l’ensemble des rentes, informant et associant davantage les acteurs économiques aux décisions qui les concernent, en particulier les acteurs locaux et promouvant un changement culturel à l’égard de l’entreprise et de l’innovation. « Nos estimations suggèrent qu’une refonte du Code du travail augmenterait significativement la participation économique et l’emploi, notamment celui formel des jeunes et des femmes, et réduirait le chômage tout en préservant les salaires », écrit la Banque mondiale  qui plaide pour un marché du travail plus efficient et inclusif.

L’ouverture, un choix irréversible

S’agissant du commerce extérieur, les économistes de l’institution de Bretton Woods optent pour une plus forte intégration du Maroc dans l’économie internationale et les chaînes de valeur globales. « Ce changement passerait par la disparition du « biais anti-export » qui continue à caractériser les institutions et les politiques gouvernant les échanges extérieurs, notamment par un assouplissement du régime de change, une libéralisation du contrôle des capitaux, une réduction des barrières tarifaires et non tarifaires, une meilleure facilitation du commerce et une amélioration du régime d’investissement », énumèrent-ils.

Mais le rapport de la Banque mondiale ne prend pas en considération que les aspects économiques dans son analyse. L’institution internationale estime qu’en complément des institutions de marché, des institutions et services publics de qualité sont indispensables pour accélérer la croissance du secteur privé. « Si le scénario de convergence économique accélérée du Maroc à l’horizon 2040 repose principalement sur le développement du secteur privé à travers des solutions de marché, cela ne veut pas dire que le marché à lui seul peut fournir toutes les solutions aux problèmes de développement du pays », souligne le rapport.

Les institutions et services publics sont donc appelés à jouer un rôle déterminant. Là encore, les économistes énumèrent trois volets importants. Il est d’abord question de la « promotion et la garantie des droits et de la justice pour tous ». « Le Maroc aurait tout intérêt à veiller à mettre en œuvre les nouveaux droits conformément à l’esprit de la nouvelle Constitution et la Charte de la réforme du système judiciaire, y compris à travers des dispositions complémentaires qui paraissent nécessaires pour envoyer rapidement un signal fort de changement effectif en vue d’une meilleure protection des personnes, des biens et des contrats », lit-on dans le Mémorandum.

Les experts de la Banque mondiale exigent que cet État de droit et cette justice soient garantis à un coût raisonnable. « L’administration de l’État doit elle aussi contribuer à l’accroissement de la productivité du pays en augmentant sa propre productivité, notamment celle de la fonction publique », détaille le rapport. En plus simple, une des priorités pour le Maroc viserait à accélérer la décentralisation et réduire son train de vie à travers l’implémentation des notions de performance et de résultats.

Enfin, la gouvernance de l’État doit assurer la qualité croissante des biens et services publics fournis aux citoyens. Et cela « suppose de placer le citoyen-usager au coeur du système comme bénéficiaire et régulateur de celui-ci et notamment de donner pleinement la parole à l’usager-citoyen ».

Investir dans l’humain

Pour atteindre ses objectifs en matière de développement, le Maroc est également appelé à investir dans son capital humain. A ce niveau, les recommandations de la Banque Mondiale insistent d’abord sur l’éducation qui doit être placée au cœur du développement. Pour sa réforme, la Banque mondiale évoque une « thérapie de choc » visant à provoquer un « miracle éducatif ».

Dans ce sens, pour être efficace, la réforme de l’éducation doit être réaliste et sélective. Elle doit en premier lieu s’attaquer aux contraintes majeures. La Banque mondiale en compte plusieurs, dont la nécessité d’améliorer significativement le niveau des élèves marocains. Ceci peut, selon la même source, se concrétiser par la modernisation de l’écosystème éducatif dans son ensemble, une meilleure sélection et formation des enseignants, l’adoption d’une nouvelle gouvernance de l’école publique ou encore par le développement d’une offre éducative alternative et la promotion des compétences dites du XXIe siècle, notamment par un plus grand usage des nouvelles technologies.

Ensuite, la Banque mondiale appelle à voir dans le secteur de la santé un moyen de renforcer le capital humain du Maroc. En appui à la stratégie des pouvoirs publics, les axes prioritaires de réforme dans ce cadre devraient viser à étendre la couverture médicale et adapter l’offre de soins. L’efficacité des dépenses de santé en faveur des soins de santé primaires et le renforcement de la gouvernance du système de santé pour garantir l’efficience des nouveaux moyens sont également des priorités.

En plus de la Santé et l’éducation, le rapport de la Banque mondiale insiste aussi sur le développement de la protection et l’éducation de la petite enfance, ainsi que sur l’égalité des genres et l’amélioration de l’accès des femmes aux opportunités économiques.

Pour la Banque mondiale, « ces recommandations devront par ailleurs nécessairement être affinées et approfondies dans le cadre de dialogues sectoriels appropriés pour atteindre leurs objectifs« .

C’est dire tous les chantiers qui attendent le Maroc s’il veut décoller économiquement. Le rapport de la Banque mondiale a le mérite de rappeler que les multiples réformes promises ou lancées et qui n’ont jamais réellement atteint leurs objectifs sont devenues aujourd’hui une condition sine qua non du développement tant attendu.

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