Cinq choses que vous ignoriez sur Driss Chraïbi

Il a beau être l'un des plus grands écrivains marocains contemporains, tous les trésors de son oeuvre n'ont pas encore été découverts.

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Crédits : ULF ANDERSEN / Aurimages - AFP

Voici dix ans que Driss Chraïbi (1926-2007) nous a quittés. Le travail de réédition de la plupart de ses romans en collection de poche, effectué ces dernières années, permet aujourd’hui aux jeunes de redécouvrir un des plus grands écrivains marocains d’expression francophone. Pourtant, si aujourd’hui ses livres sont étudiés dans le monde entier, certaines facettes de son travail et de sa personnalité restent méconnues. À l’occasion du premier colloque international dédié à l’écrivain, du 11 au 13 avril à Casablanca, TelQuel.ma vous livre cinq aspects méconnus de l’homme et son oeuvre.

1 – Il aurait rêvé d’une carrière de musicien

La musique le passionnait, sous toutes ses formes, des sonorités arabo-andalouses aux rythmes gnaouas, en passant par les chants de l’Atlas, ou encore la voix d’Asmahan qui a bercé son enfance. « À Paris, il avait découvert la musique classique occidentale. De mon côté, je lui ai fait découvrir la musique celtique. Il rêvait d’écrire une partition musicale », nous confie Sheena Chraïbi, celle qui l’accompagna jusqu’à la fin de sa vie. Parfois même, quand les circonstances s’y prêtaient, il aimait danser. Comme ce soir de décembre 2006, où après une journée d’hommage qui lui était dédiée, dans sa ville natale d’El Jadida, il s’était laissé aller à quelques pas. « Il y avait de la musique et soudain, sur l’air de « Dor Biha Chibani », il s’est mis à danser tout seul », raconte son vieil ami, l’universitaire Kacem Basfao. Dans son livre « Mort au Canada », le héros est un écrivain qui devient musicien. Pour Sheena Chraïbi « son écriture même a donné corps à ce rêve qu’il avait d’être musicien ».

2 – Il a réalisé un important travail à la radio

Dès 1956, il anime une série d’émissions intitulée « Résonances spirituelles » pour la RTF, ancêtre de France Inter et de France Culture. Il y parle de l’islam, du soufisme et de ses penseurs. Il établit des passerelles entre les cultures, notamment arabo-musulmanes et occidentales. Plus tard, il adaptera plusieurs œuvres littéraires en pièces de théâtre radiophoniques. Il mettra en scène ses propres livres, mais aussi ceux d’autres auteurs. Quelques années plus tard, dans une série intitulée « Théâtre Noir » et diffusée sur France Culture, il adaptera des textes d’écrivains subsahariens.

« Il adorait son travail de radio. Cela convenait à son approche de l’écriture. Avant de devenir écrivain, Driss était un conteur public. Pour lui la voix avait beaucoup d’importance », confie encore Sheena Chraïbi. L’universitaire Stéphanie Delayre a même consacré une thèse intitulée « Driss Chraïbi, une écriture de traverse », à l’ensemble des travaux radiophoniques de l’écrivain.

3 – Il détestait les mondanités

Les salons littéraires, les réceptions ou encore la promotion médiatique l’ennuyaient terriblement. Il préférait s’isoler du bruit pour converser simplement avec ses amis et ses proches. Quand l’épreuve devenait trop lourde, « il pouvait devenir transgressif, et même décider de s’en aller subitement » raconte Kacem Basfao. Un jour, alors qu’il est l’invité d’une émission à la radio française pour la sortie d’un de ses livres, il s’aperçoit rapidement que l’animateur n’a pas lu son ouvrage. Sa réaction est immédiate. Il se lève et quitte le studio en lançant: « rappelez-moi quand vous aurez lu mon livre ».

4 – Un amoureux de la nature

Le bruit et la fureur, très peu pour lui. S’il passe ses années de lycée à Casablanca, puis va poursuivre ses études à Paris, tout au long de sa vie Driss Chraïbi recherchera la proximité avec la nature. Il aimait vivre dans des petits coins tranquilles, loin du clinquant, et surtout, loin des cercles littéraires. La montagne, les îles, les villages, il aimait se retirer loin des villes et de leurs folies. Toujours selon sa veuve, « il avait besoin de créer son monde personnel, intime, intérieur, pour écrire. Il aimait être proche de la terre, de la lumière et de l’eau pour puiser l’inspiration ».

Alors, quand le couple Chraibi décide de traverser les Highlands écossais, terre natale de Sheena, Driss est émerveillé par les paysages. « C’est magnifique. Il n’y a pas âme qui vive, que des moutons », dira-t-il. Sheena lui contera alors l’histoire de la région « au XVIIIe siècle les peuples des Highlands ont été chassés de leurs terres pour installer des élevages de moutons plus rentables ». Plus tard, quand il écrira Une enquête aux Pays puis La mère du Printemps, il repensera à ce peuple écossais des Gaëls. « Il a dédié La mère du Printemps à toutes les minorités du monde: les Celtes, les Occitans, les Palestiniens… Il a compris que les destins des peuples se rejoignent. D’où le message universel de son écriture ».

5 – Il préparait un livre au moment de son décès

Driss Chraïbi avait reçu une bourse de la Société des gens de lettres et il était revenu au Maroc pour écrire. Il n’a laissé que trois petits carnets de notes avec ses idées, mais ses projets étaient grands. Après avoir écrit L’homme du livre, dans lequel il racontait les trois jours précédant la révélation au prophète Mohammed, il préparait un nouvel ouvrage sur les trois jours précédant la mort de ce dernier.

En juillet 2006, la deuxième guerre du Liban éclate. « Driss était toujours très au fait de l’actualité. Il prévoyait d’écrire l’histoire d’un enfant qui naîtrait sous les bombes et qui ramènerait l’espoir », se souvient Sheena Chraïbi. « Il envisageait aussi un autre volet qu’il voulait titrer « Une enquête au paradis« . Je suis sûr qu’il aurait réussi à réunir ses idées en une seule œuvre », conclut la veuve.

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