Casablanca: des écoles de l'espoir au quartier Sidi Moumen

S’il n’y a pas d’éducation préscolaire publique au Maroc, les enfants de moins de six ans des quartiers de Sidi Moumen et Sidi Bernoussi peuvent compter sur la société civile, qui collabore avec le ministère de l’Éducation nationale. Reportage.

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Crédit : Yassine Toumi

« Nous n’avions pas les moyens de mettre nos deux aînés dans des classes préscolaires« , se désole Amina. Mère au foyer de trois enfants, elle est venue chercher sa benjamine à la sortie de l’école publique Abdelouahed El Alaoui de Sidi Moumen, où elle est inscrite en grande section. Son aîné n’a pas eu cette chance. Âgé de 18 ans, il est serveur dans le restaurant en face de l’appartement familial et ne sait ni lire ni écrire, tout comme 25% de la population du quartier périurbain de Casablanca. Sa sœur de cinq ans a, quant à elle, déjà appris à reproduire les lettres de l’alphabet arabe depuis qu’elle a intégré la classe préscolaire de l’association Oum El Ghait.

Au Maroc, l’Éducation nationale ne prend en charge les enfants qu’à partir de six ans, une fois qu’ils entrent à l’école primaire. Le taux de préscolarisation dans les zones urbaines n’est alors que de 59,7%, contre 39% en milieu rural. Certains parents des quartiers de Sidi Moumen et Sidi Bernoussi choisissent d’inscrire leurs enfants dans des écoles coraniques du quartier, ou dans des écoles informelles où ils sont pris en charge par des éducatrices non qualifiées. « Ils s’entassent à 90 dans une salle de classe non équipée », s’inquiète Amal Kadiri Berrada. Cette femme d’affaires a décidé de mettre de côté son business afin de fonder, en 2013, l’association Oum El Ghait. Son but : contribuer à compenser le déficit de l’Éducation nationale en proposant une éducation préscolaire de qualité à un prix dérisoire, allant de 50 à 100 dirhams par mois.

Déjà présente dans 41 écoles publiques où des salles de classe ont été cédées à l’association par le ministère de l’Éducation nationale, Oum El Ghait accueille 1500 enfants entre quatre et six ans, issus de Sidi Moumen et Sidi Bernoussi. « Nous allons atteindre 2200 élèves grâce à l’ouverture de 18 nouvelles salles à la rentrée 2017-2018 », se félicite la fondatrice de l’association, qui compte sur la synergie entre l’associatif, le privé et l’institutionnel pour pérenniser le modèle et l’étendre dans ces deux quartiers. « Je veux d’abord m’installer ici et couvrir un maximum cette région avant de penser à exporter le modèle », précise-t-elle.

La pédagogie au cœur du projet

Crédit: Yassine Toumi
Crédit: Yassine Toumi

Marwa est concentrée sur les lettres arabes qu’elle forme de ses petites mains avec de la pâte à modeler. « Ce que j’aime, c’est apprendre l’alphabet et écouter les histoires », sourit la fillette tout habillée de rose. Avec une trentaine de camarades, elle travaille dans une salle de classe estampillée Oum El Ghait, dont les murs aux couleurs vives sont recouverts par les dessins des enfants et des affiches colorées qui indiquent la météo et des noms d’animaux. Parois jaunes et violettes, rideaux à fleurs assortis, tables et chaises à l’échelle des enfants, manuels et coin repos… toutes les salles de classe de l’association respectent la même charte matérielle, mais aussi pédagogique.

Amal Kadiri Berrada, qui travaille avec l’association Alliance de travail dans la formation et l’action pour l’enfance (Atfale) comme partenaire pédagogique, veut s’assurer que les éducatrices, « le socle du projet », soient armées pour prendre en charge des classes d’une trentaine d’enfants en bas âge. « La clé de la pérennité, c’est l’autonomie du projet. Il ne suffit pas d’équiper et de former, il faut capitaliser avec la formation continue », explique-t-elle. Les mêmes comptines résonnent dans les salles de classe de l’école Abdelouahed El Alaoui et dans la salle du centre de l’INDH de Sidi Moumen, où ont été formées 28 éducatrices lors des vacances scolaires de février.

« Nous n’avons pas le temps de voir la théorie, alors nous les formons par la pratique afin qu’elles puissent reproduire les activités avec les enfants », explique Hayet Erghouni, formatrice et responsable pédagogique d’Atfale. Toute la journée, les éducatrices s’entraînent à construire leur propre matériel avec des objets de récupération. « Je vais ramener ces puzzles en carton dans ma classe pour mes élèves », s’enthousiasme Rachida, éducatrice de 39 ans, pendant qu’elle fabrique un bonhomme rouge avec un rouleau de papier toilette. Un objet que ses élèves vont pouvoir imiter à leur retour en classe.

L’apprentissage par l’éveil

« Je suis plus attentive au rythme des enfants et j’ai plus d’idées d’activité », se réjouit Fatima, en charge d’une trentaine d’élèves de quatre ans. L’éducatrice a collaboré avec d’autres associations, mais depuis qu’elle travaille avec Oum El Ghait, elle explique avoir changé, en deux ans, son approche pédagogique en y intégrant la création, l’art et le sport. « Le rôle de l’éducatrice est d’éveiller et de socialiser les enfants par le langage et l’autonomie. Il faut les motiver à vouloir lire et écrire et à leur inculquer des bases pour qu’ils commencent le CP et l’école primaire avec des bases solides », explique Hayet Erghouni, qui estime que ce travail est fondamental au Maroc.

« Les enfants se retrouvent très vite face à un bilinguisme précoce, entre la darija et l’arabe classique, qu’il est trop tard d’aborder à l’âge de six ans », s’inquiète-t-elle. « Le préscolaire est alors une étape fondamentale pour qu’un enfant puisse adhérer au système scolaire. Sans ce maillon essentiel, il y a un fort risque d’abandon ou d’échec scolaire », s’alarme Amal Kadiri Berrada. Pour l’instant, le modèle Oum El Ghait a l’air de marcher à Sidi Moumen et Sidi Bernoussi. Après deux ans en moyenne et grande sections, Marwa « sait déjà lire et écrire son prénom et elle a enrichi son vocabulaire », se félicite sa mère.

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