A 41 ans, Yariv El Baz a mis le secteur de la minoterie sens dessus dessous. En l’espace de deux ans, il a racheté deux fleurons de l’industrie céréalière : Forafric et Tria, pour un peu moins d’un milliard de dirhams. Et s’il y a bien un secteur où les nouveaux arrivants ne sont pas les bienvenus, c’est bien celui de la minoterie, où les entreprises se transmettent de père en fils. Intrus donc, Yariv Elbaz l’est aux yeux de ses concurrents. « Nous ne savons pas d’où il vient, ni d’où viennent les milliards qu’il investit », se plaint un professionnel du secteur sous couvert d’anonymat.
Levée de boucliers
Si les minotiers lui ont adressé les messages de bienvenue de circonstance, ils n’en restent pas moins méfiants. El Baz a attisé leur défiance depuis qu’il a entamé les discussions pour racheter un troisième opérateur de la place : Dalia. « En réalité, nous étudions une dizaine de dossiers parmi lesquels celui de Dalia. Cependant, nous n’avons encore rien signé« , nous répond une source autorisée au sein de Forafric, qui ne nie pas l’appétit d’El Baz. « Nous avons plusieurs options de développement, que ce soit par voie d’acquisition ou de création de minoteries. Nous trancherons le moment venu« , ajoute notre source.
El Baz inquiète les opérateurs du secteur autant qu’il les intrigue. « Nous ne connaissons pas ses intentions« , répètent en chœur plusieurs professionnels interrogés. « Ce qui se passe est de la responsabilité de l’État. Ce sont les autorités qui laissent les étrangers mettre la main sur un secteur stratégique comme la farine« , surenchérit un minotier.
Les propos des uns et des autres sont basés sur des rumeurs et relèvent parfois de la légende urbaine. « Il se dit qu’il investit avec l’argent du fonds souverain gabonais« , rapporte un acteur du secteur. « Il est proche du président gabonais et de sa sœur« , soutient un autre. Mais, en réalité, rares sont les minotiers qui ont réellement rencontré cet « ovni » qui a tout de même pris la peine de se présenter au président de la Fédération interprofessionnelle des activités céréalières (FIAC), Chakib Alj, au moment de son débarquement dans la profession.
Le protégé de Attias
Discret, réservé, timide… les qualificatifs décrivant le caractère de Yariv El Baz sont nombreux mais redondants. Point de photo ou de portrait de lui circulant sur la Toile. Et toutes nos tentatives pour le joindre ont été vaines. Son entourage, par contre, est plus loquace. Il n’est pas mondain, c’est peut-être pour cela qu’il intrigue les gens, analyse un de ses collaborateurs. « C’est un juif marocain qui a réussi en Europe et qui a décidé d’investir dans son pays natal. Je ne comprends pas ceux qui le taxent d’étranger« , s’étonne l’une de ses connaissances.
Issu d’une famille juive originaire de Bejaâd, Yariv El Baz a vécu toute son enfance à Kénitra où il a fait ses études. Il décroche son bac en 1994 et s’envole vers Paris pour ses études supérieures. Une fois son diplôme de l’école ESCP Europe Paris (promotion 1998) en poche, il poursuit ses études dans une université américaine. Il embrasse ensuite la carrière rêvée de tout jeune financier fraîchement diplômé en rejoignant, à Paris, la banque d’investissement de BNP.
Mais Yariv El Baz ne restera pas longtemps salarié. Ambitieux, il décide très tôt de tenter l’expérience de l’entrepreneuriat en « montant des fonds dans la finance en Suisse et au Luxembourg« , confie une de ses relations professionnelles. « Il a gagné beaucoup d’argent lors du boom financier des années 2000. C’est ce trésor de guerre qu’il investit en Afrique depuis quelques années déjà« , ajoute notre source. Selon notre interlocuteur, Yariv El Baz s’est intéressé à l’Afrique à partir de 2010 où il a conclu des deals importants dans le domaine des infrastructures. C’est à ce moment-là que son nom commence à apparaître dans différents événements liés au continent. Il est intervenu au Global Entrepreneurship Summit (GES) à Marrakech, ou encore au New York Forum Africa à Libreville. Le point commun entre ces deux événements ? L’homme d’affaires marocain Richard Attias, figure mondiale de l’évènementiel, dont il serait le protégé. « Si aider un jeune c’est l’inviter à certains événements, le conseiller sur comment naviguer en Afrique ou lui permettre de faire partie de quelques réunions, alors oui, je l’ai aidé comme je l’ai fait avec plusieurs autres personnes« , nous répond Richard Attias. D’ailleurs, Attias et El Baz ont des bureaux situés à la même adresse à Paris…
L’aventure marocaine
« En 2012, il a eu à cœur d’investir dans son pays natal, il a pris une année pour étudier tous les secteurs porteurs au Maroc« , se rappelle un de ses proches partenaires. Le jeune loup de la finance a fait un scan de plusieurs secteurs, dont ceux du sucre, des services, de l’immobilier et de l’industrie. Son choix se portera finalement sur l’industrie des céréales, car une opportunité se présentait. « Forafric souffrait d’une dispersion dans le capital. Les actionnaires voulaient vendre« , nous rapporte un collaborateur d’El Baz. « Sur les conseils d’un cabinet de la place, il a racheté à titre personnel Forafric en puisant dans ses fonds propres qu’il a complétés avec un emprunt bancaire« , nous confie la même source. Ni le fonds souverain gabonais, ni même sa société de gestion de fonds Ycap ne sont impliqués dans cette transaction, affirment plusieurs de ses proches, balayant ainsi d’un revers de main la thèse « d’ingérence étrangère dans un secteur stratégique« .
Quelques mois plus tard, c’est ce qui reste de l’empire Tria qui tombe dans l’escarcelle d’Elbaz à travers Forafric. En homme d’affaires aguerri, il a réussi à damer le pion à Chakib Alj dans ce deal. Le patron des Moulins du Maghreb avait déjà acquis deux minoteries de Tria auprès de la famille Jamaleddine et s’apprêtait à prendre le contrôle du reste par la suite. Le deal était presque acté pour le président de la FIAC avant qu’Elbaz ne mette sur la table un montant plus important. La partie est gagnée pour le jeune financier face à l’un des ténors du marché.
Ambition africaine
El Baz ambitionne de créer un mastodonte marocain, voire africain, dans le domaine des céréales, « comme le prévoit le Plan Maroc vert pour cette filière », rappelle un membre du top management de Forafric. La stratégie agricole lancée en 2008 préconise en effet la consolidation sectorielle autour de 10 à 15 groupes structurés, tout en proposant une aide à la sortie des acteurs existants. Le nouveau patron de Forafric s’insère complètement dans cette stratégie. Selon nos informations, il a même rencontré le ministre de l’Agriculture, Aziz Akhannouch, et lui a exposé sa vision du développement de Forafric.
En prenant le contrôle de Forafric et Tria, Yariv El Baz a préféré jouer la carte de la mesure. « Il n’a pas opéré de grands changements« , nous confie un cadre de Forafric. « Il a gardé tout le personnel et centralisé les fonctions supports (les directions générale, commerciale, financière, etc.)« , ajoute notre source. Épaulé par son frère Michael, Yariv El Baz intervient sur le volet stratégique et ne se mêle pas de l’opérationnel. « Il passe une semaine par mois à Casablanca durant laquelle il tient des réunions avec le comité de direction« , nous confie notre source interne. Le reste de son temps, le nouveau « baron » de la farine marocaine le consacre à ses autres affaires. « Il a le mérite d’institutionnaliser la gestion de ces groupes marqués jusque-là par une gestion purement familiale« , explique un employé de Forafric. Aujourd’hui, El Baz a commencé sa conquête africaine. Le marché se fait l’écho de négociations poussées avec le groupe Mimran pour le rachat de la Compagnie sucrière sénégalaise et des grands moulins de Dakar et d’Abidjan. L’aventure El Baz ne fait que commencer.
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