« Je suis prêt à assumer les responsabilités nécessaires quand il le faut« , déclarait Saad Eddine El Othmani dans les colonnes de TelQuel… en octobre 2005. À l’époque, le docteur d’Inezgane est secrétaire général du PJD et pressenti pour devenir Premier ministre à l’issue des élections législatives de 2007. C’est finalement 12 ans plus tard, à la faveur de l’échec d’Abdelilah Benkirane de constituer un gouvernement, que le président du Conseil national du PJD est à son tour chargé de la tâche. Reçu le 17 mars par Mohammed VI, il devra composer avec les forces en présence pour sortir de la crise dans laquelle la classe politique s’est embourbée six mois durant, et parvenir à réunir une majorité autour de lui. Portrait d’un psychiatre patient qui devient le deuxième chef de gouvernement islamiste de l’histoire du Maroc.
« C’est un homme de consensus, calme, très respectueux des institutions de parti et qui ne s’empresse jamais pour prendre une décision. Un diplomate né! », nous dit de lui Abdelaziz El Othmani, qui fut son directeur de cabinet au parti entre 2007 et 2008.
Aux origines de l’islam politique
À 61 ans, le natif d’Inezgane dit ne jamais avoir cherché le pouvoir. En 1997, c’est le parti qui l’aurait proposé aux élections législatives. En 1999, il devient directeur du PJD sans même participer aux instances, en déplacement en Turquie pour un séminaire médical. Néanmoins, le parcours de Saad Eddine El Othmani l’a toujours conduit à être le premier.
L’homme est issu d’une famille de notables amazighs cultivés et pieux. Son père, un aâlem, lui inculque le goût de la lecture, mais le met en garde contre la politique. Le jeune El Othmani est très vite porté sur les études et la religion. Étudiant en médecine à Casablanca dans les années 1970, il économise toute l’année pour acheter des livres.
C’est à cette époque qu’il rejoint les rangs de la Chabiba Islamiya, pour la quitter après l’assassinat d’Omar Benjelloun, militant socialiste (1975). El Othmani suit Abdelilah Benkirane et Abdallah Baha qui, récusant l’action violente, font sécession pour fonder la Jamaa Islamiya en 1981.
Bourreau de travail, le futur médecin s’inscrit en plus à la faculté de théologie où il décroche une licence en 1983 tout en dirigeant la section casablancaise de la Jamaa. Studieux, érudit, il la marque de son empreinte de théoricien.
El Othmani exerce comme psychiatre lorsque la Jamaa Islamiya, rebaptisée Mouvement pour la réforme et le renouveau, fusionne avec la Ligue de l’avenir islamique d’Ahmed Raïssouni pour former le Mouvement unification et réforme (MUR), matrice du futur PJD. Le nouveau parti obtient 9 sièges de députés en 1997. El Othmani gagne le sien à la Chambre des représentants. Il le conservera d’élection en élection, jusqu’en octobre 2016, dans les circonscriptions d’Inezgane, puis de Mohammedia.
Presque malgré lui, Othmani monte en grade et devient en 1999 secrétaire général adjoint du PJD, puisqu’il s’agit surtout d’apaiser les rivalités entre les sections de Casablanca et de Rabat. En 2002, lors des premières élections législatives du règne de Mohammed VI, le PJD prend de l’envergure aussi et devient la première force d’opposition parlementaire au gouvernement Jettou avec 42 députés.
Homme d’apaisement
L’expansion du PJD est perturbée par les attentats de Casablanca, le 16 mai 2003. Une partie de la classe politique et militante tient le PJD pour « responsable moral » du drame. El Othmani est à la manœuvre pour apaiser. Le parti fait profil bas, évite les provocations, sanctionne ceux qui sortent du rang et, après un accord avec le secrétaire d’État à l’Intérieur Fouad Ali El Himma, ne se présente que dans 20 % des circonscriptions lors des élections régionales.
La sagesse d’El Othmani lui permet de reprendre les rênes du parti en 2004. Il devient le secrétaire général soft d’un parti dont la base est encore agitée par des idéaux rétrogrades (sexisme, antisémitisme…). Avec El Othmani, les grandes batailles ne sont plus l’interdiction de la consommation d’alcool et du sexe hors mariage, mais la lutte contre la corruption et pour la transparence de l’administration. En novembre 2005, il s’allie à Abderrahim Lahjouji pour crédibiliser l’approche économique des islamistes.
Pas de deux avec Benkirane
La crise passée, le PJD redevient fréquentable. À tel point que c’est une marée islamiste qui est attendue aux élections législatives de septembre 2007. À la veille du scrutin, nombreux sont ceux qui voient déjà El Othmani Premier ministre. Mais c’est finalement l’Istiqlal qui arrive légèrement en tête lors de ces élections.
Dans les rangs du PJD, l’année suivante on préfèrera alors le tonitruant Abdelilah Benkirane au tempéré Saad Eddine El Othmani pour gagner la bataille des urnes et prendre la tête du parti. El Othmani reste néanmoins numéro 2, au poste de président du Conseil national du PJD qu’il occupe toujours aujourd’hui. Depuis, il a aussi été vice-président de la Chambre des représentants (2010-2011), et a fait une courte apparition, peu remarquée, au gouvernement en 2012-2013 comme ministre des Affaires étrangères. En bon théoricien, c’est surtout au sein du parti qu’il s’activait dernièrement pour entamer une nouvelle refonte idéologique.
Homme de consensus, populaire au sein d’un parti qu’il consulte systématiquement, c’est une nouvelle fois un peu malgré lui que le médecin se retrouve sur le devant de la scène pour sortir d’une situation de crise.
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