Les plans de Mehdi Qotbi pour faire de Rabat une "capitale de la culture"

Mehdi Qotbi, président de la Fondation nationale des musées, explique sa stratégie pour faire de Rabat "une ville de culture". Il nous révèle aussi les détails de ses prochains projets. 

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Mehdi Qotbi, artiste et président de la Fondation nationale des musées, devant une oeuvre de Jilali Gharbaoui. Crédit: FNMM

Mehdi Qotbi est un homme surbooké. Le président de la Fondation nationale des musées lance dans les prochaines semaines l’évènement « L’Afrique en Capitale », qui se tiendra à Rabat du 28 mars au 28 avril prochain, ainsi qu’une exposition consacrée à Picasso au musée Mohammed VI.

À ces événements s’ajoutent les rénovations programmées de plusieurs musées à travers le royaume. Alors que nous entrons dans son bureau situé dans la belle villa abritant la Fondation nationale des musées (FNM), le président de la Fondation est à la fois en train de répondre aux sollicitations de médias et de choisir les invitations qui seront envoyées pour l’ouverture prochaine du musée de l’Histoire des civilisations. C’est sur fond de clichés, où on le voit aux côtés des rois Hassan II et Mohammed VI ou encore de l’ancien président français Nicolas Sarkozy, que Mehdi Qotbi évoque les prochains évènements qu’il organisera ainsi que la stratégie de sa Fondation.

Telquel.ma: Le web marocain a récemment été affolé par l’affaire du squelette du Zarafasaura Oceanis. Le Maroc a récemment annoncé son intention de racheter le squelette. Pourra-t-on le voir dans un musée marocain?

Mehdi Qotbi: La décision revient au ministère des Mines, mais d’après mes informations le retour du squelette est en bonne voie. Lors de son retour au Maroc, nous ferons part au ministère des Mines de notre intention de l’exposer dans l’ancien musée de l’archéologie qui s’appellera désormais le musée de l’Histoire des civilisations et qui ouvrira prochainement. C’est un musée de qualité qui peut se hisser au niveau mondial et qui dispose d’une scénographie incroyable. Le Zarafasaura, et les dinosaures en général seront exposés dans ce musée avant la création d’un très grand musée de l’archéologie et des sciences de la terre.

Où se situera ce musée de l’Histoire des civilisations ?

Il se situera à côté du musée Mohammed VI afin de créer une complémentarité modernité/histoire. La création de cette complémentarité a pour but d’intéresser le visiteur étranger qui pourra constater de lui-même que Rabat est en train de devenir « une ville lumière de culture » comme le souhaitait Sa Majesté.

À l’issue d’une rencontre avec la directrice générale du musée national Eugène-Delacroix, début mars, vous avez annoncé l’organisation d’une exposition consacrée à Delacroix à Rabat d’ici 2020…

Le musée Delacroix est sous la tutelle du musée du Louvre qui est lié à la Fondation nationale des musées à travers une convention qui sera renouvelée lors de l’organisation de cette exposition que j’ai baptisée « Le retour de Delacroix au Maroc« . Le principe de l’organisation de cet évènement a été retenu. Nous avons choisi le musée Mohammed VI pour abriter cette exposition, car Delacroix est le père de la modernité. Des artistes comme Edgar Degas, Van Gogh, Claude Monet ou encore Paul Cézanne détenaient des pièces de Delacroix. Et ce sont les pères de la modernité. Le musée Mohammed VI est le seul au Maroc capable de se mesurer aux grands musées internationaux, car il répond aux critères du « Facility report » qui est une charte internationale que les musées doivent respecter pour recevoir des artistes comme Giacommetti ou Picasso.

Cette exposition contiendra-t-elle seulement les œuvres exposées au musée national Eugène Delacroix ou verra-t-on d’autres pièces?

J’essaie de minimiser les coûts en ne m’adressant qu’à une seule institution. Dans le cadre de la future exposition consacrée à Picasso je ne me suis adressé qu’au musée national Picasso à Paris. Cela réduit les tracasseries administratives. Le musée Delacroix peut avoir certains objets prêtés par d’autres musées afin de compléter une collection, et sa direction peut accepter de les faire voyager.

Lors de votre visite en France vous avez également annoncé une exposition consacrée à Monet en 2019…

Dans ce cas là aussi, nous avons eu une oreille attentive de Patrick de Caarolis directeur du musée Marmottan Monet qui était tout à fait intéressé par cette exposition. Il existe aujourd’hui un esprit de partage qui permet aux Marocains d’apprécier Giacommetti ou Picasso. Il y aura aussi l’exposition méditerranéenne du Centre George Pompidou en 2018 durant laquelle on pourra apprécier du Miro ou encore du Braque. Un grand conservateur m’a dit qu’une telle programmation n’existait pas à Hong Kong. Cela témoigne d’une grande confiance du monde envers le Maroc. De telles œuvres ne pourraient pas venir au Maroc si l’on ne pouvait pas en assurer la sécurité.

César en 2015, Giacometti en 2016, Picasso en 2017, une exposition consacrée à la Méditerranée en 2018, Monet en 2019, et donc Delacroix en 2020. Le musée Mohammed VI enchaîne les grandes expositions, mais n’a toujours pas de collection permanente…

Un don de 130 peintures nous a été récemment fait par l’Académie royale. Aujourd’hui, il y a énormément d’institutions ministérielles qui disposent d’œuvres pouvant enrichir le fonds du musée Mohammed VI. Mais je tiens également à signaler que le ministère de l’Économie et des Finances nous a facilité la création d’un comité d’acquisition qui est en cours de formation. Notre budget est minime, et ma priorité actuelle est la rénovation des musées. C’est notamment pour cela que nous avons rénové le musée de la Kasbah de Tanger que l’on a baptisé le Musée des cultures méditerranéennes. Tout ce que nous faisons aujourd’hui, nous le faisons avec professionnalisme. Maintenant, il compte près de 60.000 visiteurs. Il faut créer une envie d’aller au musée et c’est exactement ce que nous sommes en train de faire.

Quels sont les prochains projets de rénovation ?

Le musée Al Batha, dont la restauration a été assurée par des fonds privés, devrait ouvrir à Safi dans les trois ou quatre prochains mois. Il sera consacré à l’art islamique. À Marrakech, le musée Dar El Bacha des confluences abritera une exposition intitulée « Les lieux saints partagés« . Elle sera coorganisée avec le Mucem (Musée des civilisations de l’Europe et de la Méditerranée situé à Marseille, NDLR) qui, je l’espère, le fera en même temps que le musée Saint-Laurent à Marrakech en octobre prochain.

Vous avez également participé à l’organisation de « L’Afrique en Capitale » qui se tient à Rabat du 28 mars au 28 avril prochain. Lors de la présentation de l’évènement, vous avez déclaré que celui-ci relevait de la « diplomatie culturelle ». À quoi renvoie ce concept selon vous ?

En 1981, François Mitterrand avait fait une déclaration qui m’avait interpellé. Il avait dit: « Je ne ferai plus jamais aucun voyage à l’étranger sans être précédé d’une exposition ou d’une manifestation culturelle. Ainsi je suis d’abord mieux connu et mieux reçu« . Il avait compris que toute action politique pour être réellement plus forte a besoin d’une action culturelle. Lors de sa visite au mois de mars 2016 en Russie, le souverain avait inauguré une exposition au musée Pouchkine qui a été prolongée à plusieurs reprises à la demande du directeur du musée, car elle avait eu un réel succès. L’exposition « Le Maroc médiéval et le Maroc contemporain » coorganisée par la Fondation nationale des musées et l’Institut du monde arabe au Louvre a aussi suscité énormément d’engouement. Il y avait plus de 170.000 personnes. Les visiteurs ont pu découvrir le Maroc et sa richesse historique. La diplomatie culturelle, c’est se faire reconnaître et considérer. Quand vous avez une richesse culturelle, vous êtes beaucoup mieux considéré.

Combien de pays participeront à « L’Afrique en capitale » ?

Plus de 30 pays seront représentés à travers les conférences, expositions, concerts, ou autres performances de street-art. Le cinéma et le foot seront également à l’honneur. Les évènements et la fête seront multiples. Je veux que tout Rabat célèbre son africanité, son appartenance au continent. Sa Majesté m’a demandé d’organiser cet évènement il y a plus de six mois. Il savait que le timing était bon pour que l’Afrique soit célébrée à Rabat.

« L’Afrique en capitale » et les grandes expositions se tiennent à Rabat. Mais qu’en est-il des autres villes du pays ?

Je ne veux pas m’apitoyer, mais avec notre petite équipe nous réalisons des miracles. Dès la rentrée prochaine, nous trouverons des expositions qui viennent actualiser les musées. Ce sont les expositions d’actualisation qui font vivre le musée. Une exposition au musée de Tanger sera organisée en collaboration avec le Mucem. Ces expositions n’auront pas l’ampleur de celles de Rabat, car tous les musées dont nous avons hérité dans les autres villes sont d’anciennes bâtisses ne répondant pas aux normes internationales. Il n’est donc pas possible d’y accueillir certaines pièces.

Le Maroc compte 80 musées pour près de 34 millions d’habitants. Cela vous choque-t-il?

Sur les 80, certains n’ont de musée que le nom. Des fois, vous avez un petit espace qu’une personne a voulu qualifier de musée. Mais Sa Majesté m’a demandé de plancher sur un « label musée ». Cela ne s’est pas encore fait, car cela nécessite une implication du ministère de la Culture. Nous espérons qu’après l’annonce du nouveau gouvernement, nous trouverons des interlocuteurs qui pourront nous aider à mettre en place une loi définissant des normes strictes relatives aux musées. On parle de présentation, d’espace et de scénographie. Une commission sera chargée d’accorder ce label. D’ailleurs, c’est ce qui fait dans les autres pays .

Vous avez mentionné la visite royale en Russie à laquelle vous avez participé et durant laquelle vous avez signé un accord de partenariat avec le musée de l’Hermitage…

Nous avons également signé des accords de partenariat avec le musée Pouchkine et celui du Kremlin. J’ai reçu la directrice du musée du Kremlin qui va nous aider dans le cadre d’une formation. Ils disposent de l’une des plus grandes collections de costumes au monde, et ils vont nous apprendre la restauration, car nous comptons ouvrir un musée du caftan dans les Oudayas d’ici deux ou trois ans.

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