Le conflit du Sahara vu par la CIA

Le conflit entre le Maroc et le Polisario est un thème récurrent dans les documents récemment déclassifiés par la CIA. Coup de projecteur sur l'oeil posé par les renseignements américains sur les séparatistes.

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Les 900 000 documents déclassifiés mis en ligne par la CIA le 18 janvier permettent de replonger dans le 20e siècle avec les yeux de l’agence de renseignement américaine, ses ressources, et sa vision des contextes politiques de l’époque.

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Le conflit du Sahara est traité de manière extensive par les agents américains. Les archives disponibles couvrent la période allant du déclenchement du conflit en 1976 à la fin des années 1980. L’occasion de se pencher sur l’évolution de la perception du conflit par l’agence de renseignements américaine.

1975 : Pour la CIA, le front est incapable de défaire l’armée marocaine

La première mention du Polisario dans les documents américains remonte au 7 mai 1975. Un rapport hebdomadaire de la CIA, où les séparatistes sont présentés comme la principale « force autochtone » au Sahara, précise que le front est soutenu par Alger. Dans un second document daté du 12 décembre de la même année, la CIA conclut que les tactiques de guérillas du Polisario ne lui permettront pas de défaire l’armée marocaine. Il est alors question, selon les documents, de 3000 à 5000 hommes.

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National Intelligence Bulletin – 12 septembre 1975

Les liens entre le front et le voisin algérien sont mentionnés dans ces deux documents. La CIA s’y intéresse plus attentivement à partir de 1977, dans un rapport intitulé « Le conflit au Sahara occidental ». Si Alger maintient son soutien au Polisario par sa posture de « défenseur de l’autodétermination des peuples« , l’agence américaine y voit plus l’expression de sa rivalité historique avec Rabat. Ce même document prévoit qu’une guerre directe entre les deux voisins est hautement improbable, surlignant le rôle joué par le Polisario dans la rivalité entre les deux pays.

Le conflit au Sahara occidental - Juin 1977
Le conflit au Sahara – Juin 1977

Dès 1981, la CIA estime qu’un État saharien ne serait pas viable.

Un autre document d’analyse, produit en 1981 cette fois, et intitulé « Orientation et viabilité d’un État du Sahara« , s’intéresse au futur qui attendrait l’hypothétique République du Sahara. Un État dont les perspectives auraient été bien maigres à l’époque, selon les trois scénarii envisagés par l’agence.

Militairement, le Front n’impressionne pas outre mesure les Américains, qui en 1983 dressent un portrait pessimiste du Polisario, à une époque où le Maroc inflige des défaites militaires cuisantes à son ennemi et où il commence à renforcer son système de défense contre les techniques de guérilla de l’adversaire. Dans ce document, le Polisario est décrit par la CIA comme « incapable de forcer les Marocains à faire des concessions ».

Le conflit a alors depuis huit ans, et la CIA prévient qu’il risque de se prolonger, l’armée marocaine étant désormais capable de soutenir la guerre d’usure que mène le Polisario, qui, de son côté, peut s’engager « presque indéfiniment » dans ce conflit. Le même document met en garde contre le laxisme de l’armée marocaine une fois réfugiée derrière le mur.

Le front Polisario : statut et perspectives - Avril 1983
Le front Polisario : statut et perspectives – Avril 1983

En 1987, les seules solutions de sortie de crise sont « diplomatiques »

En 1987, le conflit entre dans sa douzième année. Une guerre qui s’éternise et dont l’issue ne peut décidément pas être militaire, aucun des belligérants n’étant en mesure d’assurer une victoire tranchée sur son adversaire. La CIA évalue alors les différents scénarii diplomatiques possibles, une solution politique étant la seule à même « d’apporter une paix durable« . Pour l’agence, l’incorporation pure et simple du Sahara au territoire au reste du Maroc, une partition territoriale, ou une indépendance pure et simple sont les solutions politiques les moins probables. Mais c’est du côté des scénarii envisageables que l’analyse américaine est la plus intéressante.

À cette époque, les enjeux ont changé pour l’Algérie alors dirigée par le président Benjedid. Selon les Américains, celui-ci est prêt à accepter une résolution du conflit permettant à l’Algérie de « sauver la face ». Mais au Maroc aussi, les choses ont changé. L’ascendant militaire qu’a pris le royaume se traduit à la table des négociations.

Sahara Occidental : Scénarii pour une solution diplomatique - Avril 1987
Scénarii pour une solution diplomatique – Avril 1987

À l’époque, Benjedid propose à Hassan II un plan pour une large autonomie des régions du sud sous la bannière d’une entité fédérale et dans un pack « timbre postal et drapeau », où le Sahara serait économiquement et diplomatiquement largement indépendant de Rabat, sur le modèle du Commonwealth. Une idée rejetée par Hassan II, qui considère que le degré d’autonomie promis au Polisario serait trop élevé, mais qui est prêt à accepter une entité fédérale « pareille à celle entre le Québec et le Canada ».

Le compromis proposé par l’agence américaine est un plan d’autonomie sous souveraineté marocaine incluant « un parlement régional, un budget séparé et éventuellement une force de police« . Une proposition qui rappelle étrangement le plan d’autonomie actuellement défendu par le Maroc…

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