Les stocks de sécurité de médicaments ainsi que ceux des produits alimentaires et pétroliers affichent des niveaux inquiétants. C’est en substance ce qui ressort du dernier rapport de la Cour des comptes qui vient de publier les résultats de sa mission de contrôle. Cette mission portait sur les principaux produits représentant un intérêt économique ou social majeur, notamment les produits pétroliers, le blé tendre, le sucre, les médicaments et les produits sanguins.
Un cadre juridique incomplet
La première faille est d’ordre juridique: « Le système de stockage de sécurité en vigueur au Maroc est régi par la loi n° 09-71 du 12 octobre 1971 et les législations et réglementations spécifiques aux différentes catégories de produits. L’analyse de ce cadre juridique et de son évolution montre qu’il reste incomplet et n’apporte pas les définitions et les spécifications nécessaires pour une gestion efficace des stocks de sécurité« , estiment les magistrats de la Cour des comptes.
La Cour des compte relève aussi le manque de dynamisme du cadre législative, notant que certains textes réglementaires accusent un grand retard dans leur publication. Par ailleurs, depuis leur établissement, l’essentiel des textes n’a pas connu de mise à jour pour apporter les précisions qui s’imposent et intégrer les évolutions que connaissent les secteurs concernés.
Pour certaines catégories de produits comme les médicaments, le cadre juridique actuel parait inadapté dans la mesure où ils sont traités comme des produits standards. Leur grande diversité et leur niveau de criticité n’est pas suffisamment prise en compte.
De même, les sanctions prévues en cas de manquement aux dispositions de stockage ne sont pas adaptées au contexte des secteurs et des opérateurs. En conséquence, elles ne sont jamais appliquées pour des opérateurs qui se trouvent structurellement en défaut par rapport aux obligations de stockage prévues notamment pour les produits pétroliers.
Produits pétroliers: l’activité à l’arrêt de Samir présente un risque
« Les stocks de sécurité des produits pétroliers sont marqués par une insuffisance structurelle par rapport au niveau prévu par la réglementation qui est de 60 jours de consommation pour les produits raffinés chez les distributeurs« , indique le rapport de l’instance dirigée par Driss Jettou. Les écarts sont plus significatifs pour certains produits de grande consommation comme le gasoil et le butane. Pour le gasoil par exemple, les stocks disponibles à fin 2015 ne permettaient de couvrir, en moyenne, que 24,1 jours de consommation. Pour le butane, et pour la même année, ces stocks ne couvraient que 27,5 jours de consommation. Quant au supercarburant, les stocks disponibles ne couvraient que 34,8 jours de consommation. Les stocks de fuel chez les distributeurs présentent la situation la plus critique avec des niveaux ne couvrant pas plus de cinq jours en 2015. Sachant que ce produit est utilisé essentiellement dans la production de l’énergie électrique et dans certaines industries.
Un écart également significatif est enregistré pour les stocks de carburéacteur (carburant des avions) qui ne présentaient que 19 jours de consommation à la fin de la même année. A noter que dans plusieurs cas, les stocks atteignaient des niveaux critiques ne dépassant pas 10 jours de consommation pour certains mois.
« Concernant le pétrole brut, l’obligation réglementaire de détenir 30 jours de ventes par le raffineur n’est respectée qu’à moitié avec des stocks ne couvrant que 15,7 jours de ventes à juillet 2015. A signaler que depuis cette date, le raffineur local (Ndlr : Samir) est en arrêt d’activité ce qui porte un risque supplémentaire sur la sécurité de l’approvisionnement du marché en produits pétroliers« , alertent les magistrats. Concrètement, l’insuffisance des stocks de sécurité est corrélée à une insuffisance des capacités de stockage. Ainsi, à fin 2015, mis à part le supercarburant qui dispose de capacités de stockage équivalentes à 79 jours de consommation, les autres produits accusent un déficit en la matière malgré les efforts d’investissement déployés au cours des dernières années. C’est le cas pour le butane et le carburéacteur qui affichent des capacités respectives ne pouvant contenir que l’équivalent de 46 et 42 jours de consommation. Le fuel ne dispose que de l’équivalent de 26 jours de capacité chez les distributeurs, tandis que les capacités de stockage du gasoil équivalent à 56 jours de consommation.
Produits alimentaires: le contrôle des stocks à la traîne
La gestion des stocks des produits alimentaires reste par ailleurs moins problématique que celle des produits pétroliers. « Durant les dernières années, les stocks de blé tendre ont globalement présenté des niveaux permettant l’approvisionnement normal du marché national. En 2015, le stock moyen a été de 14,9 millions de quintaux pour une moyenne mensuelle de consommation de 4 millions de quintaux, ce qui offre une couverture de plus de 3,5 mois de consommation« , explique la Cour des comptes.
Des fluctuations significatives sont, en revanche, régulièrement enregistrées entre les mois de la même année. Ainsi, les stocks de blé tendre connaissent généralement des périodes de grand stockage coïncidant avec la période des récoltes et des périodes de chute des stocks durant les mois précédant la production nationale. A titre d’exemple, le mois de décembre 2015 a enregistré un stock de 7,6 millions de quintaux couvrant moins de deux mois de consommation.
Le stockage des céréales se caractérise par la multitude des opérateurs (280 organismes stockeurs, 30 importateurs et 164 minoteries industrielles) avec des modes traditionnels et d’autres modernes. « Cette situation rend le suivi et le contrôle des stocks chez ces opérateurs plus difficiles et moins précis« , regrettent les magistrats.
Médicaments: peu de professionnels se conforment à réglementation
La réglementation relative aux stocks de sécurité des médicaments est marquée par le manque de précision de certaines dispositions relatives aux produits concernés par le stockage de sécurité. Par ailleurs, elle ne couvre pas certains produits essentiels tels que les dispositifs médicaux.
Cette réglementation ne tient pas non plus compte des spécificités des produits pharmaceutiques qui se comptent par milliers. Elle prévoit en fait, une disposition générale et unique pour tous les produits sans tenir compte de leur criticité ou de l’intérêt thérapeutique, de la facilité ou la difficulté d’approvisionnement, ou encore de la situation du marché.
Ce système rend le suivi des stocks de médicaments difficile et moins efficace et ne permet pas de se focaliser sur les produits les plus critiques. En conséquence, il a été constaté que peu d’opérateurs se conforment à l’obligation de déclaration prévue à cet effet. Cependant, le ministère de la santé a déployé une plateforme informatique pour la déclaration des stocks et leur suivi visant à pallier cette insuffisance.
Les produits sanguins: la culture du don peu développée
La situation des stocks de sang au Maroc montre que leurs niveaux sont encore limités par rapport aux besoins et ne permettent pas de renforcer la sécurité d’approvisionnement. En dépit d’une progression significative enregistrée depuis 2010, leur développement reste insuffisant, les dons étant limités à 0,9 % de la population. Ce niveau reste en deçà de celui enregistré dans la plupart des pays et des niveaux préconisés par l’OMS. L’organisation internationale estime en effet que pour satisfaire les besoins d’un pays, il est généralement recommandé que 1 à 3 % de la population donne du sang. Parmi les pays à revenu moyen, le Maroc reste encore au-dessous de la moyenne qui est de 1,17 %.
La Cour des comptes relève au passage une variabilité significative des niveaux de stocks entre les régions. Ils sont généralement plus limités dans les grands centres urbains. Cette variabilité est également enregistrée entre les années notamment après 2013, ce qui dénote une insuffisance au niveau de la consolidation des acquis de la transfusion.
L’insuffisance des stocks de produits sanguins est imputable à plusieurs facteurs, qu’il s’agisse de la culture du don qui n’est pas encore assez développée, de l’insuffisance des infrastructures d’accueil et de traitement, des problèmes organisationnels ou des ressources humaines insuffisantes.
Vous devez être enregistré pour commenter. Si vous avez un compte, identifiez-vous
Si vous n'avez pas de compte, cliquez ici pour le créer