Du 26 novembre au 18 décembre, l’espace culturel l’Uzine célèbre la mémoire du quartier Aïn Sebaâ. L’objectif ? Offrir un autre regard sur ce quartier industriel de Casablanca. Parmi les évènements annoncés, une exposition d’archives qui revient, en images, sur l’histoire des lieux.
Intitulée « Archives d’Aïn Sebaâ, le beau-lieu », l’exposition raconte l’évolution du quartier depuis le début du XXe siècle à nos jours. « Il faut savoir qu’à l’époque, le quartier n’était pas considéré comme faisant partie de Casablanca. Il n’y avait donc aucune information dans les archives de la ville », explique Khadija Alaoui, directrice des recherches et documentaliste à l’Uzine. Si aujourd’hui le lieu est principalement vu comme un quartier industriel, Alaoui explique qu’il était autrefois un haut-lieu de la vie culturelle casablancaise.
Dans les années 1920, Aïn Sebaâ attirait les citadins du dimanche lassés de se rendre à la plage de Sidi Belyout, à Anfa. Fleurissent alors guinguettes musicales et cabanons en bord de mer. « Il y avait cette fameuse boîte appelé “La Maison Basque”. C’était un cabanon magnifiquement décoré juste au bord de l’eau où les gens venaient s’amuser, rire et danser » se souvient Mustapha, 54 ans, originaire du quartier.
La plage d’Aïn Sebaâ- Crédits: Exposition documentaire Aïn Sebaâ/l’Uzine
Aujourd’hui, il n’y a plus de plage. Ou du moins pas vraiment, puisqu’elle est traversée par une route en construction depuis maintenant trois ans. Ahmed, 33 ans, originaire du quartier, se désole de cette transformation : « Avant les gens venaient s’amuser sur cette plage. Certains, comme les pêcheurs par exemple, gagnaient même leur vie grâce à l’accès à la mer. »
Le cinéma Beaulieu
« C’est ici que j’ai vu Tarzan pour la première fois »
Le mythique cinéma Beaulieu a longtemps donné son surnom au quartier, « Aïn Sebaâ le beau-lieu ». Mustapha se rappelle l’endroit avec émotion : « Il y avait toutes sortes de films : des westerns, des films d’aventure et d’espionnage… C’est ici que j’ai vu Tarzan pour la première fois. C’était il y a dix ans mais je m’en souviens très bien ! ». Si quelques marocains fréquentaient le lieu, Mustapha affirme que la plupart des visiteurs étaient français. Fermé il y a une dizaine d’années, l’établissement est aujourd’hui à l’abandon.
La Guinguette fleurie
Danse à la guinguette tous les soirs. Après minuit, Casa s’est endormie
Autre haut-lieu des rendez-vous culturels : le cabaret Guinguette fleurie. L’établissement est vite devenu le repère du tout Casablanca, où étrangers et marocains venaient s’amuser le week-end : « Il y avait de la super musique des années soixante : Jacques Brel, Edith Piaff, les Beatles… Tout le monde se retrouvait là pour danser et boire des coups », se rappelle encore Mustapha. Ahmed lui aussi se souvient de ce lieu avec nostalgie : « Il y avait cette chanson que tout le monde chantait en choeur : Danse à la guinguette tous les soirs. Après minuit, Casa s’est endormie ».
Les habitants racontent également que plusieurs célébrités françaises, comme l’acteur Jean Gabin ou encore le boxeur Marcel Cerdan, fréquentaient régulièrement le lieu. La compagne de ce dernier, la célèbre chanteuse française Édith Piaf, y a d’ailleurs donné plusieurs concerts. L’immeuble est aujourd’hui en chantier. Bien loin du dance-floor glamour de la Guinguette de l’époque, il devrait bientôt abriter des bureaux privés.
Le dancing de Luna Park
« On y dansait le twist, le slow, le rock’n roll »
Le dancing de Luna Park, « qui était pendant les années 1950-1960 un lieu très prisé des habitants de Aïn Sebaâ et de tout Casablanca », rappelle Khadija Alaoui, est aujourd’hui un bâtiment en ruine. Il n’existe aujourd’hui aucune photo archivée de ce lieu où, comme à la Guinguette, les gens venaient boire et danser jusqu’à des heures tardives dans la nuit. « On y dansait toutes sortes de danses : le twist, le slow, le rock’n roll… C’était vraiment des soirées incroyables. On n’en sortait qu’au petit matin pour aller prendre le petit-déjeuner », se rappelle, ému, Abdou. S’il habitait dans le centre-ville à l’époque, l’homme raconte qu’il passait ses week-ends à Aïn Sebaâ.
Le bar-piscine L’Océanic
« C’était un bar-restaurant mais aussi une colonie de vacances pour les enfants »
Autre lieu incontournable de l’époque : le bar-piscine l’Océanic. Créé en 1947 par un Suisse, le lieu n’était alors pas très animé, nous raconte l’actuel gérant de l’établissement. « Lorsqu’il a été racheté par un français en 1954, le lieu s’est transformé. Il faisait bar-restaurant mais aussi colonie de vacances pour les enfants. Ces derniers venaient passer la journée ici pour apprendre à nager, faire des tournois de natation et prendre le goûter. Puis, le soir, ils rentraient chez eux ».
Le gérant explique que lorsqu’il a récupéré la gestion du lieu il y a quelques années, ce concept de colonie de vacances n’a pas duré bien longtemps : « Les gens n’avaient plus les moyens de payer les frais de transport tous les jours à leurs enfants pour qu’ils viennent ici ». Aujourd’hui, si quelques visiteurs profitent encore de la piscine l’été, le lieu est surtout connu pour être un bon restaurant de poissons.
Le zoo d’Aïn Sebaâ
« Tous les week-ends, il y a avait une foule de gens qui venaient se balader »
Fondé en 1928, le zoo d’Aïn Sebaâ est devenu un lieu mythique pour les casaouis. Dès les années 1950, de nombreux visiteurs s’y rendaient chaque week-end. Ahmed, qui habitait avec cinq autres familles dans le zoo vers la fin des années 1990, raconte : « Il y avait pleins d’animaux : des lions, des tigres, des tapirs et même des pythons royaux ! Tous les week-ends, il y a avait une foule de gens qui venaient se balader, observer les animaux et boire un pot au café du zoo ».
Depuis janvier 2015, le parc est fermé au public pour cause de réaménagement. Une mission que la wilaya de Casablanca a confiée à la société de développement territorial Casa Aménagement. Le futur parc zoologique, qui devrait ouvrir ses portes début 2018, est le fruit d’un partenariat avec le zoo de la ville espagnole Valence.
Le Marché vert
« Au début, c’était juste quelques baraques de vendeurs de légumes »
Toujours très fréquenté, le Marché vert est un lieu de commerce et d’échange incontournable pour les habitants du quartier. Depuis 1964, celui qu’on surnomme ici « l’Haj » observe l’évolution de la place depuis son stand de cigarettes situé à l’angle à l’angle de la place : « Le marché a été créé vers la fin des années 1940. Au début, c’était juste quelques baraques de vendeurs de légumes posés au milieu de la place. Puis en 1982, la wilaya a fait construire le grand rond point sur leur emplacement. Ils ont donc du se déplacer un peu plus loin où ils se sont vraiment installés. C’est là qu’est né le Marché vert qu’on connaît aujourd’hui ».
« L’Haj » raconte également qu’à l’époque de la colonisation, il y avait une poste et une gendarmerie française. Il explique que cers la fin des années 1990, un autre marché s’est construit juste à côté : « Mais contrairement au Marché vert, il n’a pas eu de succès. D’ailleurs, la plupart des stands sont fermés aujourd’hui. »
Le quartier Martini
« Chaque membre ou proche de la famille Martini avait son terrain »
Les Martini étaient une riche famille française qui possédait de nombreux terrains à Aïn Sebaâ. « On ne peut pas vraiment parler de quartier car il y a plusieurs villas Martini dispersées. En fait, chaque membre ou proche de la famille avait son terrain » précise Ahmed. Dans les années 1990, la famille a vendu ses terrains à des particuliers ou des sociétés privées. Si la plupart des villas ont été conservées en l’état par les nouveaux propriétaires, d’autres ont été rasées et remplacées par des résidences modernes de haut standing comme sur la photo.
Non loin, trône l’usine d’alcool Martini-Rossi. Fondée, entre autres, par la famille éponyme dans les années 1940, c’est cette usine qui a donné son nom au quartier. Mustapha est aussi un employé de longue date de la société, connue aujourd’hui sous le nom de MR. Renouvo : « Dans les années 1960, les Martini ont vendu le terrain de l’usine au frère du ministre des Affaires étrangères de l’époque, Ahmed Laraki et à Serge Bakony. Début des années 2000, le tout a été cédé à Brahim Zniber. C’est sa femme, Rita, qui est présidente de l’usine aujourd’hui. »
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