Au Maroc, les trésors de la plus vieille bibliothèque du monde. Reportage au coeur la bibliothèque al-Quarayouine de Fès.
Dans le labyrinthe des ruelles de la médina de Fès, l’ancienne capitale impériale du Maroc, elle passerait presque inaperçue.
A peine remarque-t-on cette sombre porte de bois sculptée sur la place des ferronniers, où chaudronniers et forgerons martèlent le cuivre à la main sous le regard enchanté des touristes et dans un tintamarre assourdissant. Passer le porche, un premier escalier de céramique moucheté de vert et bleu -le célèbre bleu de Fès- enchante le regard, et laisse déjà imaginer ce que l’on va trouver plus haut.
La bibliothèque al-Quarayouine, souvent présentée comme la plus vieille bibliothèque du monde, sort de plusieurs années de restauration. Pas encore ouverte au public, elle n’est accessible qu’aux chercheurs et à quelques journalistes chanceux.
Al-Quarayouine, qui abritait alors une mosquée et une université, a été fondée en 859 par une femme, Fatima Al-Fihri, fille d’un riche marchand tunisien, venue à Fès sous le règne de la dynastie idrisside.
Cette « demeure de la science et de la sagesse » est devenue l’un des grands centres intellectuels du monde arabe. Traités de sciences islamiques, d’astronomie, de droit et de médecine lui ont été légués au fil des siècles par des sultans, des princesses ou des savants.
La mosquée -d’une beauté éblouissante- est toujours là mais l’université a déménagé vers de nouveaux locaux. L’actuelle bibliothèque, accolée à la mosquée sous un même toit de tuiles d’émeraude, a été édifiée par le sultan marinide Abou Inane au XIVe siècle. Elle fut profondément restructurée en 1940 par Mohammed V, le grand-père de l’actuel souverain.
« La première restauration a eu lieu en 2004, la seconde vient de s’achever. Il ne reste que quelques finitions et l’électricité », explique Boubker Jouane, le directeur-adjoint de la bibliothèque.
On y trouve un original d’Ibn Khaldoun
Sous une imposante charpente d’arabesques à dominante rouge et un majestueux lustre de cuivre, la salle de lecture jouxte celle des imprimés, où sont entreposés plus de 20 000 titres.
Un escalier mène à la pièce maîtresse de la bibliothèque, la salle des manuscrits, dont l’accès est protégé par deux lourdes porte de fer, un système d’alarme et de vidéosurveillance.
Les volets de bois sont fermés pour filtrer la lumière du jour. Alignés sur de banales étagères de métal, les précieux écrits sont emballés dans un dossier cartonné grisâtre. Deux chaises et une simple table, sur laquelle est posé un coussin de feutre vert cousu de fil d’or, servent à consulter les ouvrages.
Environ 3 800 titres -certains inestimables-, y sont entreposés. Comme le « Traité de médecine » d’Ibn Tofail, philosophe et médecin, datant du XIIe siècle. « De la calvitie jusqu’au cor au pied, tous les maux du corps y sont répertoriés, mais en poésie pour en faciliter l’apprentissage », souligne M. Jouane. Le mot diabète, d’origine grec, y figure déjà noir sur blanc.
Autre trésor: une copie manuscrite du « Kitab al-Ibar » (Livre des leçons) d’Ibn Khaldoun. Ce traité d’histoire est paraphé de la main même du célèbre philosophe arabo-andalou: « louange à Dieu, ce qui est écrit m’appartient. »
On découvre une copie manuscrite d’un traité d’astronomie du philosophe persan Al Farabi sur le déplacement de Jupiter, avec des schémas d’une étonnante précision. Puis une encyclopédie de la doctrine musulmane malikite, par Aboul-Walid Mohammed, plus connu sous le nom d’Ibn Roch al-Ghad, le grand-père du célèbre Averroes. Un livre de 200 pages en peau de gazelle d’une calligraphie minuscule, enluminées d’entrées de chapitres à l’encre d’or.
Et enfin, « l’une des pièces les plus demandées », datant elle aussi du XIIe: l’Evangile de Marc, traduit en arabe, « vraisemblablement par un lettré chrétien d’Andalousie venu apprendre l’arabe à l’université d’al-Quarayouine » estime M. Jouane, qui s’enorgueillit de « l’incroyable degré de tolérance à cette époque ».
La bibliothèque comptait 30 000 manuscrits à sa création par Abou Inane. Mais, au gré des dynasties et des péripéties de l’histoire, nombre d’entre eux ont été détruits, volés ou pillés, notamment sous la colonisation.
« Il ne reste que très peu par rapport à autrefois, précise M. Jouane, mais nous veillons soigneusement aujourd’hui sur ces richesses inestimables. »
Hervé Bar/AFP
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