Dans le film Terre-Neuve (The Shipping News, 2001), un journaliste qui a longtemps roulé sa bosse s’adresse à un jeune reporter, campé par Kevin Spacey. Il pointe du doigt un ciel couvert de nuages : la Une du journal demain ce sera : “Une tempête menace le village”, explique-t-il. Mais que se passerat-il s’il n’y a pas de tempête ? l’interpelle le débutant. Ce sera : “Le village épargné par une tempête mortelle”, lui rétorque alors le vieux briscard. La scène est rapportée par Forbes, et illustre un changement de paradigme de ce qu’était le journalisme, seul outil, jadis, pour se faire une opinion, et ce qu’il est devenu à l’ère du digital, de l’évolution du modèle publicitaire et de la toute-puissance de Google et de Facebook. Les journalistes ne sont plus les seuls prescripteurs, et doivent composer avec l’émergence de nouveaux diffuseurs de contenus et défis technologiques. En 2016, les lecteurs n’attendent pas le journal pour s’informer sur la tempête. Mais il ne faut pas aller trop vite en besogne : le journalisme traditionnel a encore son mot à dire, même s’il n’est plus le seul en piste.
Une permutation rapide du offline vers le online
Selon un rapport de Reuters Institute (Digital news project 2016), élaboré à partir d’une série d’interviews de 54 dirigeants, managers et éditeurs de presse en Europe, la répartition de l’audience des médias traditionnels change profondément, allant de plus en plus vers le web, mais le cœur du business pour les institutions établies demeure encore le print. Pour le cas de la télévision, l’activité se maintient pour le moment. Il y a une “permutation rapide des médias offline vers les médias online dans le cas du print vers le digital. (La permutation est) beaucoup plus douce en ce qui concerne le passage de la télévision au online”, note Reuters institute. Peu de médias ont développé un business model profitable pour les informations digitales, selon la même source, et fait important : “dans la plupart des cas, 80 à 90 % des revenus proviennent des opérations existantes qui sont en déclin (print) ou encore stables (diffusion TV)”.
Les auteurs du rapport observent aussi que les médias historiques sont conscients de la transformation digitale et investissent massivement dans les réseaux sociaux, le mobile et la vidéo en ligne et parfois les trois à la fois. Le document montre que de larges pans de la publicité vont aux acteurs internationaux que sont Google (qui absorbe 30 % de l’ensemble de publicité digitale dans le monde !) et Facebook, et souligne le faible revenu généré jusque là par le web mobile. Il relève également le défi posé par l’utilisation des Adblockers.
L’exploration des alternatives
Face à cela, les éditeurs tentent de diversifier leurs revenus. Certains optent pour le modèle payant pour contrebalancer la “sévère pression” sur le tout gratuit, d’après les termes du rapport. Mais cela a ses limites, car seule “une minorité de lecteurs sont prêts à payer” pour l’information. Les médias explorent d’autres alternatives en optant pour la segmentation et en investissant dans le native advertisement, le brand content, et pour certains, le e-commerce, le merchandising et l’événementiel. C’est le cas de Scroll.in, racheté en octobre par Buzzfeed. Ce site d’actualité généraliste a comme source de revenus la vente de produits dérivés : casquettes, t-shirts… Ce média qui a réussi une levée de fond de 200 millions de dollars propose ce qu’il appelle de “l’affiliate marketing”, la vente de produits Amazon suggérés comme liens dans les articles. Mais, quel que soit le modèle pour lequel opte le média, l’avenir appartient toujours aux éditeurs capables de retenir l’attention des lecteurs en étant le plus à leur écoute, et en leur proposant le contenu qu’ils veulent, au bon moment. En somme, en continuant à faire du journalisme.
L’EXEMPLE CANADIENEn avril 2013, tous les regards sont tournés vers Montréal, où siège le quotidien La Presse. À cette époque, le journal dévoilait son application tablette La Presse +. En investissant 26 millions d’euros, Guy Cervier, l’actionnaire du groupe, voit dans la tablette, l’avenir de la presse et souhaite créer un journal entièrement digitalisé. L’entreprise recrute près de 200 personnes (principalement à la technique). L’application attire par sa gratuité, n’étant rémunéré que par les publicités, qui se montrent elles aussi ludiques et attirantes pour l’internaute. Tous les jours, l’internaute retrouve son « Le bon contenu trouve toujours son chemin vers le lecteur » Auteur du best-seller Be the Media, David Mathison est entrepreneur, blogueur et promeut l’idée de l’émergence de “nouveaux médias” et défend le métier émergent de Chief Digital Officer (CDO). Vous défendez l’idée que les gens peuvent eux-mêmes être le média, en utilisant les “nouveaux médias”. Estimez-vous dès lors que les médias classiques sont obsolètes ? Si vous ne deviez retenir qu’un seul conseil à donner aux entrepreneurs ? Comment Uber utilise-t-il les données à son avantage ? Adblockers, mafias du trafic, agrégateurs d’informations… Les médias font face à d’énormes défis. Comment y faire face ? |
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