Dans le quartier très sélect des Princesses, à Rabat, l’immense villa de M’hamed El Khalifa en impose. Il est un peu plus de 18h en ce mardi 18 octobre lorsqu’un domestique nous ouvre la porte de la demeure de l’ancien ministre. Ce dernier, assis dans un petit salon d’appoint situé entre le hall d’entrée et un couloir donnant sur la piscine, nous prie affablement de prendre place. À peine les salamalecs d’usage formulés, le vieux sage istiqlalien nous lance, stupéfait : “Vous avez vu l’article d’Ilyas ?”. C’est qu’au moment où nous avons pris la route pour notre rendez-vous, le secrétaire général du PAM s’est fendu d’une tribune sur le site Hespress, dans laquelle il appelle les partis politiques à “la réconciliation”. “Il n’est pas sérieux. Ce monsieur doit démissionner”, s’emporte El Khalifa, dont l’inimitié envers le parti du tracteur n’est pas un secret. Il ne se fait pas prier pour descendre en flèche le PAM, arrivé deuxième aux législatives, ainsi que son patron Ilyas Elomari.
Les 102 sièges du PAM : “Goul baz !”
M’hamed El Khalifa ne fait pas son âge. A soixante-dix-sept ans, ce Marrakchi de naissance a gardé un ton acerbe. “Je ne comprends pas ce monsieur (Ilyas Elomari, ndlr). Soit il savait très bien qu’il n’allait pas gagner ces élections, et dans ce cas il se retire. Soit il pensait vraiment pouvoir arriver premier, et dans ce cas-là, il doit se jeter d’un pont”, lâche, sèchement, l’ancien maire de Marrakech. Pour lui, le PAM est une “erreur”, un “outil” créé et utilisé dans le but de barrer la route au PJD. “Le PAM ne pouvait pas gagner les élections. On l’a utilisé pour éviter que le PJD ne remporte la majorité absolue”, croit-il savoir. Et à la question de savoir comment le parti d’Ilyas Elomari a réussi la prouesse de glaner 102 sièges, “Goul baz !”, répond, hilare, El Khalifa. Pour ce dernier, le parti du tracteur n’est qu’un énième avatar de ce que l’on appelle les partis de l’administration. “Dans le passé, le pouvoir avait pour seuls ennemis les partis du Mouvement national. Et il leur mettait tous les genres d’obstacles possibles pour leur barrer la route. Aujourd’hui, ce sont ces mêmes obstacles dont on use pour empêcher le PJD de gagner”, analyse-t-il. Si le vieux baron istiqlalien ne porte pas le PAM dans son cœur, il ne décolère pas contre les dirigeants actuels des partis du Mouvement national, en premier lieu l’USFP et l’Istiqlal. “Ce sont des gens qui n’ont aucune crédibilité populaire”, accuse-t-il. L’homme n’a jamais accepté l’orientation politique prise par Driss Lachgar et Hamid Chabat, et reste aigre envers ces deux chefs de parti. “L’Istiqlal et l’USFP sont plus grands que leurs dirigeants. Ce ne sont pas des partis que l’on dirige, comme des marionnettes, de l’extérieur”, lâche-t-il, en faisant allusion au manque d’autonomie politique de leurs dirigeants. Fervent défenseur d’une alliance avec le PJD, seule issue, selon lui, apte à sauver la face des partis de la Koutla (Istiqlal, USFP, PPS), El Khalifa estime malgré tout qu’il est encore temps de corriger le tir : “J’espère qu’ils ont tiré les leçons des résultats du 7 octobre et qu’ils ont fait leur autocritique”.
Mustapha Khalfi, “un frère”
Mais quelle crédibilité accorder à des chefs de partis qui arrosaient d’insultes Abdelilah Benkirane et qui cherchent aujourd’hui à entrer dans un gouvernement dirigé par leur ennemi d’hier ? “C’est l’occasion pour Benkirane de se montrer grand seigneur”, lâche El Khalifa, avant de préciser ses propos : “Je connais très bien Chabat et Benkirane, je peux même dire que je connais leur psychologie. Il y a eu trop de blessures entre les deux hommes, trop de coups bas. Mais, à mon avis, Benkirane doit faire table rase du passé et pardonner. Je sais que ça ne va pas être facile, mais c’est dans l’intérêt du pays que le prochain gouvernement soit formé du PJD et des partis de la Koutla”. El Khalifa est un homme qui ne cache pas sa proximité avec le PJD. Pour lui, la Koutla doit être élargie pour y intégrer les islamistes. Un gouvernement constitué exclusivement de cette Koutla new-look serait une “grande première depuis l’indépendance et une victoire pour la démocratie”, insiste-t-il. El Khalifa est si proche du PJD qu’il n’a pas hésité à s’afficher aux côtés de Mustapha Khalfi durant sa campagne électorale à Sidi Bennour. “Mustapha Khalfi est plus qu’un ami, c’est un frère. Je l’ai connu quand il était à Attajdid (journal du MUR, bras idéologique du PJD). Avant de le rencontrer pour la première fois, je m’attendais à voir un homme d’un certain âge, mais qu’elle était ma surprise quand j’ai aperçu son jeune visage”, se souvient l’homme, visiblement charmé par le jeune loup du PJD. El Khalifa lui prédit un avenir radieux : “C’est un jeune homme très conscient de ses responsabilités. Il représente une chance non seulement pour le PJD, mais pour le Maroc”.
En participant à la campagne du ministre de la Communication dans une circonscription particulièrement rurale, El Khalifa a pu également constater de ses propres yeux la conquête de la campagne par un PJD qui, jusqu’à récemment, avait du mal à y remporter des sièges. “Je crois que le fossé en matière de conscience politique n’est plus si béant entre le monde rural et les villes. De toute manière, à l’ère des nouvelles technologies de la communication, on n’a besoin ni d’école ni de formation particulière pour former une conscience politique”, affirme celui qui, pour sa première campagne électorale, s’était présenté dans la circonscription tout aussi rurale de Chichaoua. C’était en 1963.
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