400 millions de dirhams, c’est le bénéfice engrangé par Total Maroc au premier semestre 2016. Soit une progression de 116% par rapport à la même période de l’année dernière. La qualité des produits brandie par le management expliquerait-elle à elle seule cette prouesse ? Les analystes d’Upline Securities, qui ont passé au crible les résultats du pétrolier coté en Bourse, offrent une autre explication : l’appréciation des marges. Quelques jours après l’annonce des résultats, la FMC (Fédération des industriels des matériaux de construction) a crié son ras-le-bol, dans une lettre ouverte aux partis politiques, dénonçant “l’anarchie qui s’installe dans la constitution des prix du combustible qui ne cessent d’augmenter depuis plusieurs mois”. C’est que, depuis le 1er décembre 2015, l’État s’est désengagé du secteur, laissant aux opérateurs le soin de fixer eux-mêmes les prix à la pompe et leurs propres marges. Une libéralisation qui devait, théoriquement, profiter aux consommateurs, qui plus est dans un contexte où le prix du baril est au plus bas. “La compétition entre les opérateurs sera telle que les prix seront ceux du marché”, prophétisait, dans les colonnes de TelQuel en janvier 2015, Adil Ziady, président du Groupement des pétroliers du Maroc (GPM). Dix mois après la libéralisation, les prix à la pompe sont loin de donner raison à Adil Ziady. Au point que le wali de Bank Al-Maghrib, Abdellatif Jouahri, a dû sortir de sa réserve habituelle pour pointer du doigt la “concurrence” molle du secteur. “De par nos chiffres et nos calculs, on a l’impression que l’on ne répercute pas totalement la baisse (…). Est-ce que la concurrence est vraiment et parfaitement jouée au sein du secteur ?”, s’interrogeait le gouverneur de la banque centrale lors d’une conférence de presse tenue le 27 septembre. Et il n’est pas le seul à se poser la question.
A quel prix ?
Quelles stations-service offrent les prix les plus intéressants ? Inutile de chercher longtemps, la différence est minime : 0,15 centime en moyenne pour le litre d’essence et 0,28 pour le gasoil (comparatif réalisé le 6 octobre). Pas de quoi sillonner toute une ville. Un constat qui conforte la déclaration du wali de Bank Al-Maghrib, qui laisse ainsi entendre qu’il existerait une entente entre les opérateurs. “Selon les prix internationaux, avec les calculs que nous avons effectués, nous avons estimé qu’il y avait quelque chose à répercuter en faveur du consommateur. Le principe de la libéralisation, c’est que le prix à la pompe joue en fonction de la concurrence que se font les uns et les autres. Maintenant, il faut regarder de plus près et ça ne relève pas de moi”, explique Jouahri, joint par TelQuel. Le président du GPM, lui, est formel : “Il n’y a aucune entente. Comment une dizaine d’opérateurs peuvent-ils se mettre tous d’accord sur un prix. Seule la loi de l’offre et de la demande régit le marché”, nous a-t-il déclaré en juin dernier. Un autre opérateur, qui souhaite garder l’anonymat, reconnaît du bout des lèvres avoir assisté à une rencontre réunissant la fine fleur du secteur : les patrons d’Afriquia, Shell, Total, OiLibya, SDCC et de la Samir. La réunion a eu lieu en juillet 2015 à l’hôtel Avanti (ex-hôtel Samir), à Mohammedia, à quelques mois de la libéralisation. “Nous avons évoqué la question de la marge”, confie-t-il, sans plus de détails. Information que démentent tous les autres opérateurs ayant assisté à la rencontre. “C’était une réunion de courtoisie à caractère commercial. Personne n’aurait admis qu’on discute de la marge. On n’est pas une mafia”, répond une source autorisée. Si l’entente n’existe pas, une question demeure posée : pourquoi les prix se rapprochent-ils autant alors que les bénéfices des pétroliers explosent depuis la libéralisation du secteur ? “Rien ne nous a alertés par rapport aux prix, qui sont raisonnables comparativement à la région, sans nous comparer aux pays producteurs bien entendu”, explique Mohamed El Ouafa, ministre des Affaires générales et de la Gouvernance.
Bonne marge de manœuvre
“Les prix se rapprochent parce que nous sommes dans la phase embryonnaire de la libéralisation et qu’une disproportion dans la compétitivité nuirait au secteur”, analyse un pétrolier qui préfère garder l’anonymat. “Il y a plutôt une veille concurrentielle et ce n’est pas durable. On arrivera à terme au stade où certains opérateurs se distingueront par rapport à d’autres, comme c’est le cas aujourd’hui pour le secteur des télécoms”, rétorque un autre opérateur. “Ça peut être perçu comme une sorte d’entente mais ce n’est que le résultat du contexte que connaît le secteur après les déboires de la Samir”, poursuit-il. Voilà pour les arguments sur la non-entente, mais la question concernant la hausse des marges des distributeurs reste sans réponse. Alors qu’elle ne dépassait pas 3% avant la libéralisation, elle a bondi, en fonction des opérateurs, à 5, voire 7%, selon une source autorisée au Groupement des pétroliers du Maroc. “Les marges sont devenues plus importantes. Mais si on veut rentrer dans la politique des prix, c’est une autre paire de manches. On vous répondra qu’il y a le coût de stockage, avec une gestion en flux tendu, les surestaries, le prix mal négocié vu la contrainte de la sécurité de l’approvisionnement…”, détaille le patron d’une société pétrolière locale. Et de renvoyer la balle aux multinationales présentes au Maroc : “Pourquoi ne baisseraient-elles pas leurs prix, elles qui disposent d’une économie d’échelle importante et de traders qui négocient au dollar près leur approvisionnement ? On serait alors obligés de les suivre.” Pour El Ouafa, l’équation se résume simplement : “Le gouvernement a libéralisé le secteur. Si ces gens-là font des bénéfices, ils vont payer des impôts.”
Contrôle. Y a-t-il un pilote dans l’avion ?“Nous suivons l’évolution des prix mais l’État n’a plus à intervenir”, explique Mohamed El Ouafa. Existe-t-il une autorité de régulation du marché ? Que nenni ! D’ailleurs, l’amendement de la loi sur les hydrocarbures, appelée à régir le secteur depuis la libéralisation, n’est pas encore entré en vigueur. Dans ce texte, le législateur n’a pas manqué de prévoir des sanctions pour réprimer les spéculations (notamment autour du stockage). Interrogée sur l’absence de garde-fou dans le secteur, une source autorisée au gouvernement se défend : “Pourquoi l’État doit-il être le garde-fou dans un marché libre ? On suit l’approvisionnement, et de ce côté-là, tout va très bien. Nous étudions les expériences des pays voisins, allez donc voir les prix en Espagne, au Portugal ou en France.” “Pour le reste, le wali de Bank Al-Maghrib, s’il décèle une entente, n’a qu’à prouver ses dires. Ce n’est pas à nous de lui répondre mais les opérateurs”, déclare une autre source gouvernementale.[/encadre] |
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