« Allô, désolé de vous déranger, mais on se verra à 16 heures. Il n’y aura plus de tournée, nous avons changé de programme », nous explique à la dernière minute Mohammed Abdelouahab Rafiki, alias Abou Hafs, ancien détenu salafiste, qui se présente aujourd’hui aux élections législatives du 7 octobre sous les couleurs du parti de l’Istiqlal. Il est deuxième de liste dans la circonscription Fès-Nord, aux côtés du secrétaire général du parti, Hamid Chabat.
Alors que nous devions le rejoindre au quartier Bensouda, fief du chef du parti de la balance, Abou Hafs change de programme à la dernière minute et décide d’annuler sa tournée là-bas. Finalement, il enchaînera des rencontres à l’ancienne Médina de Fès, où la campagne électorale bat son plein, en présence de deux concurrents redoutables : Omar Fassi-Fihri du Parti de la justice et du développement (PJD) et Mohammed Lebbar, qui se présente sous la bannière du Parti d’authenticité et modernité (PAM).
16 heures 30 : Lady’s first
Il nous a fallu une trentaine de minutes de marche pour arriver au lieu de la première rencontre, « Dar Zarbia », un grand bazar de tapis traditionnels au cœur du souk d’El Aachabbine. Entourés de journalistes et des caméras, Abou Hafs termine ses déclarations avant de venir nous accueillir : « Excusez-moi, je sais qu’il est difficile de repérer le chemin ici, merci à vous » nous lance-t-il, avant de rejoindre sa place pour commencer la rencontre.
Le meeting a été tenu pour couper court aux idées reçues : l’ancien détenu salafiste Abou Hafs entame son opération séduction au milieu de 200 personnes, en majorité des femmes. « Ce sont des femmes de l’ancienne médina, il y ici certaines istiqlaliennes, mais la plupart sont des femmes qui travaillent dans des coopératives ou des associations dans le secteur de la couture des tapis » nous confie un militant de l’Istiqlal, chargé de préparer la rencontre pour Abou Hafs.
Le candidat expose son programme et s’insurge contre l’extrémisme religieux et l’insécurité à Fès. « Dans cette ville est né le parti de l’Istiqlal. La majorité des leaders du mouvement national ont étudié ici l’abécédaire de l’amour de la patrie sous la colonisation qui tentait de viser cette ville résistante », déclare Abou Hafs, qui s’est fait sien la rhétorique nationaliste chère au parti de l’indépendance.
L’ancien détenu salafiste écourte son intervention pour donner le micro aux femmes présentes. Une jeune femme se lève et prend la parole: « Monsieur, nous sommes Istiqlaliennes et nous votons pour le parti depuis toujours, mais il n’y a personne avec qui communiquer et parler, nous réclamons un vrai interlocuteur. Le bureau du parti ici ne sert à rien » déplorent-elles. Abou Hafs promet d’être à leur écoute. Il remercie les femmes présentes et quitte les lieux sous les applaudissements et les chants des militants. Une deuxième rencontre importante a été, alors, entamée.
« La tâche sera difficile ! »
En route vers Aïn Zliten, dans la zone nord de l’ancienne médina de Fès, le candidat s’arrête parfois pour saluer quelques habitants, la plupart d’entre eux le reconnaissent. Mais le candidat ne se fait pas d’illusions. « La tâche sera difficile », nous confie Abou Hafs : « Il y a ceux qui boudent le PJD et qui sont prêts à se permettre un vote-sanction parce qu’ils ne veulent pas de Azami car, depuis qu’il est maire, l’obtention des licences et des autorisations est devenue chose si compliquée. Mais il y aussi ceux qui ne veulent pas de Hamid Chabat », nous confesse-t-il. Abou Hafs compte sur les voix des habitants du quartier Bensouda, où Hamid Chabat a construit depuis les années 1990 son empire électoral, et dans la circonscription des Mérinides, zone-clé dans laquelle l’Istiqlal remporte beaucoup de voix, selon l’ex-détenu salafiste.
Après une dizaine de minutes de marche, on arrive sur les lieux de la deuxième rencontre. Un petit riad dans un quartier à proximité d’Aïn Zliten. « C’est Dar Ouazzani, cette maison appartient à un nationaliste. C’est l’un des signataires du Manifeste de l’indépendance (…) Abou Hafs fera la rencontre des artisans, des propriétaires des Riad et des maisons d’hôte, et des commerçants », nous lance Nabil, un très ancien ami du candidat et également son bras droit pour la campagne.
Corriger les fautes du passé
Devant des chaises encore vides, Abou Hafs et ses amis effectuent la prière d’Al Aasr. « On est vendredi. Après la prière et le couscous, les gens ont du mal à se lever d’une bonne sieste » nous lance avec humour Oussama, un jeune militant du parti.
Quelques minutes après, les gens rejoignent le riad mais, cette fois, la plupart des personnes présentes étaient des hommes. Un militant prononce le mot d’ouverture et présente Abou Hafs mais aussi un candidat de la liste nationale des jeunes, Zakaria Bentaib.
En présence de nombreux militants, dont Nidal Chabat, fils du leader de l’Istiqlal, Abou Hafs, nostalgique, rappelle le passé de la formation. Il remémore la période du mouvement national et la pensée de son fondateur, Allal El Fassi, chantre du salafisme nationaliste. Le candidat qualifie également l’Istiqlal de « parti du centre » entre les deux pôles moderniste et progressiste. Il a promis dans ce sens la renaissance du salafisme nationaliste, un projet qu’il va parrainer et compte développer, notamment par la création d’un centre de recherche scientifique de l’Istiqlal. Il s’agit d’un courant conservateur modéré, incarné par les fondateurs du nationalisme marocain, et à leur tête Allal El Fassi, qui étaient à la fois pieux mais ouvert à la modernité.
Abou Hafs se positionne aussi comme le candidat du renouveau et espère apporter du sang neuf. « On veut une rupture avec les pratiques du passé. D’ailleurs, j’ai préféré mener une campagne propre, on s’est contenté de quelques sorties au lieu de salir les rues, faire du bruit et recruter des individus qui n’ont aucun rapport avec le parti » dévoile le candidat, sous les applaudissements des gens présents.
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