Trente-cinq ans après le massacre, « Chouhada koumira » ont enfin droit à la reconnaissance

Lundi 5 septembre, le nouveau « cimetière des victimes des événements de juin 1981 » a été inauguré. Une reconnaissance officielle et un devoir de mémoire envers les centaines de victimes de cette sanglante répression. Reportage.

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Hajja Fatima, une vielle femme devant le nom de son fils Abdelouahed El Fakh. Crédit Tniouini

À quelques mètres du cimetière Chouhada à Casablanca, un espace de quelques dizaines de mètres carrés a été récemment aménagé. Le « cimetière des victimes des événements de juin 1981 » a été construit à quelques mètres du lieu où les autorités avaient jeté les cadavres des centaines de manifestants tués lors des émeutes du 20 juin 1981, une répression sanglante de manifestations contre la cherté de la vie organisées par des habitants qui répondaient à l’appel de la CDT (Confédération démocratique du travail). Trente-cinq ans après le drame, et plus de dix ans après la remise des recommandations de l’IER (Instance équité et réconciliation) sur le devoir de mémoire, les familles des victimes ont enfin droit à un lieu de sépulture digne.

Cimetière des victimes des événements de juin 1981. Crédit Rachid Tniouini
Cimetière des victimes des événements de juin 1981. Crédit Rachid TniouniCrédit: Rachid Tniouni/TelQuel

Une dizaine de familles sont présentes, à l’invitation du Conseil national des droits humains (CNDH), pour commémorer cet événement. Plusieurs figures de gauche, qui ont accompagné les travaux de l’IER mise en place pour rendre justice aux victimes des années de plomb, ont également répondu présents.

À l’entrée du cimetière, Salah El Ouadie, poète et ancien détenu politique, contemple un long mur où sont gravés les noms des quelques 79 martyrs que le CNDH a pu identifier lors de son enquête. Un peu plus loin, l’ancienne détenue politique Latifa Jbabdi est assise, seule, écoutant religieusement le mot de Fatima Larwani, fille de Khadija Yassine une des victimes des émeutes. « Je suis sous l’émotion. Excusez-moi, je ne peux pas parler » se contente-t-elle de nous dire, visiblement très émue.

Latifa Jbabdi, ancienne détenue politique, présente lors de l'inauguration. Crédit Tniouini
Latifa Jbabdi, ancienne détenue politique,  en compagnie d’une proche de victime. Crédit TniouniCrédit: Rachid Tniouni / TelQuel

Après la lecture de versets du coran, les allocutions ont commencé. Driss El Yazami, président du CNDH prend ses notes, mais ne pouvant prononcer un seul mot, il cède en larmes sa place à son secrétaire général, Mohamed Essabar. « Nous sommes ici pour préserver la mémoire et mettre en œuvre les recommandations de l’IER » nous déclare ce dernier, tout en rajoutant que l’événement est bel et bien une reconnaissance officielle de la responsabilité de l’État dans les émeutes de juin 1981. Même son de cloche du côté d’Abdelhay Moudden, ancien membre du Conseil consultatif des droits de l’Homme (CCDH) et de l’IER, qui nous explique que « la reconnaissance officielle n’est pas récente, elle a commencé le jour où le rapport de l’IER a été validé par le roi Mohammed VI. »

Driss Yazami au milieu des famillees des victimes. Crédit Tniouini
Driss Yazami au milieu des familles des victimes. Crédit Tniouni

« Ce jour est une fête ! »

Après les allocutions officielles, Amina, accompagnée de ses enfants et de ses neveux, se dirige vers une tombe. Elle leur demande de lire la « Fatiha » sur l’âme de leur oncle El Hantri Mohammed, tué à 21 ans par les tirs des autorités. « Maintenant je peux dire que mon frère est mort (…) moi je l’étais depuis 1981, maintenant je revis, j’ai un frère à visiter et à retrouver, je ne peux pas vous décrire ma joie », nous déclare toute émue Amina.

« Ce jour est une fête ! » lance-t-elle. « Ce geste nous a calmés, on voulait avoir plus que cela [la communication des données ADN effectuées sur les corps, voir encadré, ndlr], mais cela me suffit, mon frère a enfin un cimetière, et ces familles présentes ici sont une seule famille. Je sens que toutes ces personnes enterrées ici sont mes proches » affirme-t-elle.

Amina en compagnie de ses enfants et ses neuveux. Crédit Tniouini
Amina en compagnie de ses enfants et ses neveux. Crédit Tniouni
Crédit Rachid Tniouini
Crédit Rachid Tniouni

Au moment même où Amina nous parle, plusieurs autres personnes reconnaissent les noms de leurs défunts gravés sur une stèle géante. Hajja Fatima, une vielle femme, a des difficultés pour lire. Elle retrouve finalement avec l’aide d’une journaliste le nom de son fils, Abdelouahed El Fakh. « Hamdoullah, c’est un grand jour. Je n’ai toujours pas oublié mon fils perdu (…) ils l’ont pris, on l’avait plus retrouvé et il n’avait le pauvre que 17 ans, mais Hamdoullah, maintenant, chaque vendredi je viendrais le voir », se promet Fatima, après avoir lu quelques versets coraniques devant la tombe de son fils.

Les enfants de Amina, quant à eux, ne s’ennuient pas. Ils semblent joyeux d’avoir retrouvé la tombe de leur oncle. Ils cherchent des bougies et se mettent à les allumer sur les tombes des âmes éteintes.

A l’extérieur du cimetière, des familles réclament les analyses ADN

Crédit Rachid Tniouni

Si l’ambiance était au recueillement à l’intérieur du cimetière, à l’extérieur, certaines familles ont laissé éclater leur colère. Une trentaine de personnes, représentant l’association des « Martyrs du 20 juin 1981 », accompagnées du secrétaire général du parti d’extrême gauche, Annahj addimocrati, Mustapha Brahma ont organisé un sit-in contestant l’inauguration et revendiquant la publication des résultats des analyses ADN menées sur les dépouilles dans le cadre du travail d’enquête du CNDH. « Cet événement est une mascarade. Où sont les résultats de l’ADN que l’IER avait promis ? Ils veulent enterrer la mémoire de nos martyrs », nous déclare Saïd Massrour président de l’association.

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