Comme en 2011, une circulaire du ministère de l’Intérieur vient interdire toute publication ou réalisation de sondage avant les élections du 7 octobre. Et comme en 2011, la décision du département de Mohamed Hassad remet en lumière le vide juridique dans lequel patauge le Maroc en matière de sondages d’opinion. Car mis à part les dispositions de la loi 57.11 qui stipulent qu’ »il est interdit de réaliser des sondages d’opinion ayant un rapport direct ou indirect avec un référendum, des élections législatives ou des élections de conseils de collectivités territoriales […] pendant la période allant du 15ème jour précédent la date fixée pour le début de la campagne électorale », il n’existe pas de loi qui, à proprement parlé, régit la pratique et la publication de sondages d’opinion. Un flou juridique auxquels doivent se résigner cabinets d’études, politiques, journalistes ou simples observateurs de la scène politique.
« Manque de volonté politique »
« Il y a un manque de volonté politique », réagit Zakaria Garti, président de l’association TIZI, une des rares ONG à s’être lancée dans la réalisation de sondages au Maroc. L’acteur associatif regrette que deux propositions de loi relatives aux sondages et émises par l’Istiqlal, n’aient jamais été débattu au parlement. « Le refus de notre classe dirigeante est double : un refus de l’Autorité avec un grand A et un refus des partis politiques », avance Garti, pour qui, « les politiques doivent être les premiers à exiger une loi sur les sondages. Une étude française a démontré que les sondages influent beaucoup plus les politiques que les citoyens. C’est un outil devenu indispensables chez les hommes politiques des pays démocratiques. C’est une sorte d’examen continu en attendant l’examen final qui sont les urnes ».
En attendant une loi, Tizi et d’autres instituts qui se sont essayés à la pratique des sondages, comme le cabinet d’études Averty, tiennent tout de même à respecter cette circulaire. « Nous n’avons pas pour but de perturber le jeu politique », assure Rachid Dahbi, président d’Averty.
Entre « respect de la loi » et « encadrement » des sondages
Dans sa circulaire, l’Intérieur justifie sa décision par la volonté de « préserver la crédibilité et la transparence du processus électoral et éviter tout ce qui est de nature à contribuer à l’orientation de la volonté et des choix électoraux ». Un argumentaire approuvé par Hamid Chabat. Le patron de l’Istiqlal dit « ne pas considérer cette circulaire comme une interdiction, mais comme un respect de la loi ». Intervenant sur le plateau de la chaine France24 ,l’ancien maire de Fès a critiqué « les sondages publiés par certains sites dont les résultats n’ont aucun lien avec la réalité ». « On y voit certains partis, qui n’ont pourtant aucun élu au parlement, positionnés en deuxième ou troisième position », a-t-il regretté.
Pour Khalid Adnoun, porte-parole du PAM, « ce domaine (celui des sondages) doit être maitrisé et encadré par des instituts agréés et reconnu pour leur crédibilité scientifique ». Mais au-delà de la crédibilité des sondages publiés sur des sites internet, certains observateurs avancent que l’absence de cadre juridique relatif à la réalisation des sondages est révélatrice du manque de démocratie au Maroc.
« Absence de démocratie véritable »
« Dans une société comme la notre, l’interdiction du sondage trahit d’abord l’absence d’une démocratie véritable », analyse le sociologue Mohammed Naji. Dans un post publié sur sa page Facebook, l’écrivain estime qu’au Maroc, « il y aurait une crainte et une méfiance du sondage chez les gouvernants », jugeant que « dans une société où l’autorité suprême est de légitimité divine on n’a pas besoin de sonder parce que les jeux sont faits d’emblée ».
Ennaji rejette également l’idée que la monarchie ne serait pas impliquée dans le jeu électoral. « Elle y est au contraire impliquée jusqu’au cou. Sous cet angle, ce n’est pas l’irrationnel et le mystère qui expliquent que l’absence du sondage mais aussi la résistance au changement, la peur de se voir dans un miroir reflétant les nouvelles tendances, les nouveaux désirs, et peut-être les germes d’une révolte dont on ne perçoit que les bourgeons », a-t-il conclu.
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