Les études sur le dérèglement climatique des terres sahariennes livrent des résultats surprenants d’année en année. Romain Simenel, ethnologue français au sein de l’IRD (Institut de recherche pour le développement) et spécialiste du désert marocain, qu’il étudie depuis le début des années 2000, nous explique les conséquences que peut avoir le dérèglement climatique et comment le Maroc peut y pallier grâce à l’ingéniosité millénaire dans la collecte et la gestion de l’eau.
TelQuel : Il y a deux ans, le désert marocain, réputé pour être rocailleux et sec, s’est couvert d’un tapis de fleurs et de plantes, un phénomène qui peut surprendre…
Romain Simenel : Si le désert marocain est en effet aride, cela ne veut pas dire qu’il n’est pas fertile. Vous seriez surpris de savoir que certaines terres sahariennes figurent parmi les plus fertiles du Maroc. C’est le cas des grara, ces cuvettes argileuses qui captent l’humidité et permettent d’y cultiver de l’orge avec à peine 15 mm de précipitations par an ! Néanmoins, c’est une exception, Sauf lors des années exceptionnelles comme l’année dernière, durant lesquelles le désert peut se transformer en prairies fleuris.
Comment cela s’explique-t-il ?
Les graines des fleurs, précieusement réparties par les vents selon leur poids, vont se préserver très longtemps dans le sol désertique. C’est ainsi qu’après des années de sécheresse, on peut retrouver ces paysages fleuris bariolés de couleurs : ici du jaune, là du mauve, là bas du rouge, selon la répartition des graines par le vent. L’année dernière a été une année record concernant les précipitations dans la région de Guelmim, pas moins de 350 mm de précipitations ! Les anciens nomades et oasiens que j’ai pu interroger, âgés parfois de plus de 80 ans, n’avaient jamais vu ça ! L’eau est la clef, le vent fait le reste.
Quels effets néfastes cela peut-il avoir sur la survie de certaines espèces ?
Les effets néfastes des pluies torrentielles pèsent surtout sur les aménagements du sol, notamment pour l’agriculture. Les oueds chargés ont emporté des pans entiers de terres cultivables, d’autant qu’il n’avait pas plu avant depuis longtemps ; les parois des oueds étaient donc sèches et dures comme du béton facilitant la crue. Mais je dirais que l’espèce vivante la plus menacée par ces déluges de pluie, c’est l’homme ; n’oublions pas que les crus des oueds de la région de Guelmim du 20 au 29 novembre 2014 ont provoqué la mort d’une trentaine de personnes. Par contre, ces pluies ont eu un impact plus que positif sur la végétation.
Tous les climatologues ne sont pas d’accord sur la façon dont le changement climatique affectera le Sahel. Certains prédisent le retour à des conditions qui avaient transformé le Sahara en une luxuriante savane quelque 12 000 ans plus tôt. Qu’en est-il réellement ?
C’est pour cela que je préfère parler de dérèglement climatique que de changement climatique. Pour parler de changement, il faudrait d’abord connaître le modèle vers quoi tend ce changement, or aucun spécialiste ne peut à l’heure actuelle prédire exactement ce modèle, ni globalement, ni localement d’ailleurs. C’est pourquoi vous constatez très justement la divergence des opinions sur l’avenir climatique du Sahara. Ajoutez à cela l’attrait exotique et imaginaire pour le Sahara, qui continue de fasciner les esprits, et vous obtenez des théories fantasmagoriques sur le désert redevenant savane ou forêt ! Bien sûr, sur une échelle de 10 000 ans, cela est tout à fait envisageable, mais ça s’est déjà produit maintes fois dans un sens comme dans l’autre, et ce n’était alors pas imputable à l’activité humaine. Pour le futur proche du désert marocain, rien n’est sûr, hormis très probablement l’accentuation du dérèglement climatique… Vers quel modèle ? Difficile de répondre.
Pour mieux témoigner avec précision de l’évolution du climat dans la région de Guelmim, j’ai mis en place le processus de témoin climatique photo, en prenant une image d’un même paysage chaque année à la même date. Comme vous pouvez le constater, le contraste entre la saison 2014/2015 et celle de 2015/2016 est terrifiant. (ci-dessous)
D’une année à l’autre, les contrastes climatiques peuvent être importants au Sahara. Comment y remédier ?
Aucun remède possible, étant donné que l’on ne connaît pas encore l’ampleur de la maladie. Par contre, il est possible d’anticiper les dégâts. Pour la saison 2014/2015, il est tombé 350 mm de pluie, alors que pour la saison 2015/2016, à peine 60 mm, la différence est énorme. Il faut maintenant tenir compte de ce phénomène dans la politique d’aménagement des sols et des oueds de ces régions. C’est tout le génie civil qui doit s’adapter à ces nouvelles conditions d’instabilité climatique. Mais ce déséquilibre est aussi un drame économique pour la région. Avec l’abondance de fourrage en 2014/2015, les troupeaux de dromadaires, chèvres et moutons se sont multipliés comme jamais. Seulement, la sécheresse qui suivit fut si rude que les éleveurs n’avaient plus les moyens de nourrir les troupeaux. Les prix du bétail se sont donc écroulés. Le risque devient ainsi très important pour l’activité d’éleveur ou même d’agriculteur dans ces régions, mais il est là encore possible de s’adapter et d’appuyer ces activités grâce à la collaboration entre scientifiques et acteurs locaux.
Quelle est la responsabilité des Marocains dans cette évolution ?
Sans les Marocains, et particulièrement les populations locales de ces régions sahariennes, ces paysages oasiens n’auraient jamais vu le jour. L’oasis n’est pas tombé du ciel, tout comme les superbes vallées d’arganiers un peu plus au nord. Tous ces paysages ont été construits et entretenues depuis des siècles par les populations de ces régions. Les oueds ont été aménagés, les systèmes d’irrigation développés, les terrasses de montagnes élaborées, c’est toute l’ingéniosité de ces populations qui a façonné ces paysages. Prenez l’exemple des khettaras, ces canaux d’irrigation souterrains permettant de récolter les eaux d’infiltration, une vraie prouesse d’ingéniosité technique en plein désert. Le Maroc est truffé de ce genre d’exemple, et c’est pour cela qu’il doit mettre en avant cette richesse. Les traditions de récolte de l’eau dans les déserts du monde, notamment le Sahara, sera le sujet d’un panel scientifique lors de la COP22 que nous organisons avec l’IRD et le professeur Aderghal de l’Université de Rabat.
Comment peuvent-ils agir désormais ?
Pour agir, il faut donc d’abord se nourrir de l’expérience de ceux qui nous ont précédés dans le même problème, à savoir la gestion de l’aridité, et il faut rester ingénieux et imaginatif. Regardez l’exemple des filets capteurs de brouillard, c’est absolument formidable ce que fait la Fondation Si Ahmed Derhem à Sidi Ifni.
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