Domaine privé de L’État: Les ventes réalisées après 2002 sont "illégales" selon une juriste

Après les révélations sur les personnalités ayant acquis des terrains du domaine privé de l’État à prix cassés, la question de la légalité de ces transactions est soulevée. Telquel.ma revient sur les implications juridiques de ce dossier.

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Dans l’affaire des terrains du domaine privé de l’État, il est difficile d’avoir des précisions sur le contexte d’élaboration du décret de 1995, dont se prévalent Mohamed Hassad, ministre de l’Intérieur et Mohamed Boussaid, ministre des Finances pour justifier l’acquisition par Abdelwafi Laftit, wali de la région de Rabat-Salé-Kénitra, d’un terrain appartenant au domaine privé de l’État au prix modique de 350 dirhams le m².

« Ce qui est certain, c’est que ce décret n’a pas été publié. D’ailleurs, en l’état, il est extrêmement confus et suscite un certain nombre d’interrogations », nous déclare Salima Farraji, avocate et membre de la commission législation au sein de la chambre des représentants aux couleurs du PAM. Le texte en question liste soixante-huit lots, l’avocate s’interroge sur l’aménageur de ce lotissement et sur l’identité des autorités à l’origine de la rédaction de ce texte. « Lorsque j’ai interpellé la direction des Domaines, on m’a simplement précisé qu’il s’agissait d’un cas particulier, d’une exception. Et que c’est pour cette raison que le décret n’a pas été publié au bulletin officiel », confie-t-elle à Telquel.ma.

Un contexte d’élaboration obscur

Quant aux conditions ayant poussé à l’élaboration de ce texte, elles sont tout aussi opaques. « D’après les informations que j’ai pu recueillir, les terrains objets de ces lots proviendraient des terres agricoles. Les Domaines ont dû transférer l’exploitation à la Sodea-Sogeta, laquelle peut être considérée comme un établissement public. Et c’est elle qui aurait réalisé le lotissement », explique Salima Farraji, qui ajoute que « ceci reste tout de même une supposition en dehors de données précises ». Telquel.ma n’est pas parvenu à confirmer cette information d’une autre sourceEn ce qui concerne les lots cédés sous le couvert du décret de 1995, le mystère demeure complet quant aux conditions d’attribution des soixante-huit lots.

Encore plus, les ventes ne peuvent pas être annulées en raison du principe juridique de la non-rétroactivité. « Ces cessions sont des contrats basés sur le consentement de deux parties : le preneur et le propriétaire représenté par le département du Domaine de l’État. Les propriétaires actuels ont des titres fonciers », estime MSalima Farraji.

Par ailleurs, depuis le 5 mars 2002, le législateur a posé un cadre légal régissant la procédure des opérations de cession sur un bien relevant du domaine privé de L’État. Le décret de 2002 modifie et complète le décret royal du 21 avril 1967 portant règlement général de comptabilité publique. En effet, la disposition 82 de ce décret prévoit explicitement les conditions de la cession. Rappelons que ce texte a été élaboré dans un contexte particulier : quelques mois auparavant, soit le 9 janvier 2002, une lettre royale avait dressé les contours de la gestion déconcentrée de l’investissement et a donné naissance aux Centres régionaux d’investissement (CRI).

En substance, l’article 82 du décret du 5 mars 2002 fixe les conditions de cession des biens du domaine privé de l’État. Un arrêté du ministre des Finances autorise ce genre d’opérations. Une vente qui est soumise à la procédure d’adjudication publique (les enchères). La loi fixe la liste des éventuels bénéficiaires : « collectivités locales et des établissements ou entreprises publics ; des copropriétaires de l’État quand le partage des immeubles n’est pas viable, des personnes physiques ou morales pour la réalisation de projet d’investissement lorsque la valeur vénale réelle de l’immeuble à céder ne dépasse pas 10 % du coût prévisionnel global dudit projet ». En clair, les communes urbaines et les établissements publics peuvent postuler pour l’acquisition de ces biens. « Et lorsque les intéressés sont des personnes physiques ou morales, elles doivent obligatoirement avoir un projet d’investissement », explique Salima Farraji

Ce qui amène la juriste à émettre ce constat : « Toutes les acquisitions de biens faites après 2002 sont illégales. Pour respecter la loi, deux solutions se présentent pour régler ce dossier. Il faut rectifier et procéder à des réparations ou bien lancer une procédure de vente aux enchères ».

L’évaluation du prix de cession

Le texte de 2002 se penche également sur les prix de cession des biens du domaine privé de l’État. L’estimation des biens suit une procédure bien précise. Une commission d’évaluation s’est attelée à l’évaluation financière du bien. Cette commission est présidée par le gouverneur, assisté du délégué des domaines, du représentant des impôts, de celui de l’autorité gouvernementale dont relève le secteur du projet d’investissement et du représentant régional de l’autorité gouvernementale chargée de l’urbanisme. « Une procédure dont l’application est compliquée surtout au niveau de la commission d’évaluation. Ce qui a le don de rebuter un certain nombre d’investisseurs », ne manque pas de relever Salima Farraji. L’esprit de cette réglementation privilégie l’investissement et non l’acquisition de biens à titre d’habitation personnelle.

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