Reportage: Un jardin pas comme les autres au cœur de Sidi Moumen

Crédit: Yassine Toumi

Le jardin-école Ibn al-Awam, créé par l’ONG Orange Bleue et situé dans l’un des quartiers les plus populaires de Casablanca, a l’ambition de devenir un projet phare de la permaculture au Maroc. 

Figues, oranges, menthe, raisins, citron, lavande mais aussi des espèces plus rares comme le chou kale. On trouve toutes sortes de fruits et légumes en se baladant dans cet espace vert toujours en construction à l’ombre du complexe culturel El Ghali et en face du centre social Oum Keltoum, dans le quartier de Sidi Moumen.

Le jardin Ibn El Awam, du nom du célèbre horticulteur andalou du XIIe siècle, s’étend sur 2 500m² et accueille, entre autres, une forêt comestible, deux spirales aromatiques et des buttes auto-fertiles. Des concepts directement issus de la permaculture, une méthode d’agriculture développée dans les années 1980 en Australie et qui s’inspire de l’écologie naturelle pour créer des écosystèmes durables qui peuvent s’insérer dans les zones urbaines à moindre coût écologique et économique. L’idée est de privilégier la culture de nombreuses plantes différentes qui s’auto-entretiennent grâce à un aménagement adapté, plutôt que de cantonner l’agriculture à des grands espaces productivistes. Une nouvelle façon d’envisager la botanique qui vient de débarquer dans ce coin de verdure caché derrière quatre murs de la capitale économique.

Le jardin s'étale sur une superficie de 2 500 m2Crédit: Y. Toumi
Le jardin s’étale sur une superficie de 2 500 m². Crédit: Y. Toumi

À l’origine de ce projet original, Orange Bleue Maghreb, une ONG dédiée à l’éducation populaire, l’économie sociale et l’écologie appliquée basée à Casablanca et reliée à deux antennes en France et en Afrique de l’Ouest. Son créateur Hassan Aslafy, un Français d’origine hispano-marocaine, est tombé sur le site au début de l’année 2014 alors qu’il revenait de 25 années passées au Burkina Faso. Pour en arriver là, il lui a fallu mobiliser pas moins de trois camions de terre, des bulldozers et beaucoup de bras généreux. Car, avant d’être un îlot d’air frais au milieu des barres d’immeubles, le lieu était un terrain vague rempli de détritus qui rassemblait toxicomanes et chiens errants. Aujourd’hui, le défi est quasiment relevé et le jardin s’approche de sa forme finale. Parmi les bénévoles qui ont rendu cette métamorphose possible, on trouve des cadres d’entreprises casaouis qui veulent rendre le jardin de leur villa plus bio, des jeunes agronomes souhaitant mettre en place leur propre projet vert, des militants écolos ou encore des scientifiques. Pour apprendre à manier la bêche et le râteau, certains ont profité d’un programme de formation sur cinq mois proposé par Orange Bleue, dont le coût allant jusqu’à 3 000 dirhams participe à près 30% du financement du jardin-école. Et leur permet de repartir avec un certificat de design en permaculture.

Les pèches font partie des nombreux fruits cultivés. - Crédits : Yassine Toumi
Les pèches font partie des nombreux fruits cultivés. – Crédits : Yassine Toumi

Cette après-midi de juillet dans le jardin en chantier, le jardinier Youssef arrose les vignes et les pousses d’arbres. Avant de commencer à travailler pour l’association, il y a trois mois, ce jeune homme de Sidi Moumen n’avait pas de travail. Comme de nombreux habitants de cette périphérie urbaine défavorisée. Youssef est le premier à profiter de la formation professionnelle gratuite grâce à laquelle il apprend les pratiques du jardinage et les principes de la permaculture. Après l’inauguration officielle, prévue le 29 octobre, des programmes similaires seront proposés aux autres jeunes du quartier. « Le but c’est qu’à la fin, les gens puissent construire leur propres cultures dans les nombreuses friches du coin et qu’ils vivent de la production » explique Hassan Aslafy. Pour le fondateur de l’association, essayer de transformer le quartier en lieu d’innovation fait partie des objectifs fixés.

Avec son jardin, Orange Bleue veut également profiter aux différentes générations de Sidi Moumen. L’ONG travaille de près avec le centre social Oum Keltoum, où sont scolarisés des enfants de la rue, et est en discussion avec trois écoles primaires différentes. À terme, les tout-petits pourront apprendre les bases du jardinage grâce à des animations pédagogiques et mettre en pratique leurs cours d’SVT. Une partie des légumes servira également à fournir la cantine du centre Oum Keltoum. « Ici, les enfants retournent souvent à l’école parce qu’il y mangent bien » ajoute Hassan Aslafy. Le directeur a également pensé aux anciens. Lorsqu’il sera fini, le jardin Ibn Al Awam sera agrémenté d’une pergola et de chaises pour accueillir les personnes âgées du quartier. Ils pourront alors jouer aux dames dans un lieu fleuri et près d’un point d’eau plutôt que sur les dalles de béton. « D’autant plus que nombre d’entre eux ont un savoir-faire paysan auquel ils pourront s’adonner » se réjouit le socio-anthropologue de formation.

Geneviève, Youssef et Hassan Aslafy - Crédits : Yassine Toumi
Geneviève, Youssef et Hassan Aslafy – Crédit : Yassine Toumi

Si le projet fait rêver, il n’a pourtant pas directement suscité l’enthousiasme des autorités locales et des investisseurs privés. Malgré les efforts entrepris pour désenclaver la zone, notamment grâce à l’arrivée du tram en 2011 et le lancement du programme national « Ville sans bidonville » en 2007, Sidi Moumen reste associé à la délinquance et à la drogue dans l’esprit de beaucoup. Ce qui n’a pas facilité les recherches de financement. Soutenu par Mohammed et Fikria Berrada, propriétaires des complexes El Ghali et Oum Keltom et partenaires du projet, Orange Bleue n’a pas reçu d’aide de la ville ni des responsables de la COP22, le prochain rendez-vous mondial sur le réchauffement climatique qui aura lieu en novembre à Marrakech. L’association doit se débrouiller par ses propres moyens pour trouver des sponsors, AXA étant pour l’instant l’un des seuls à s’être manifestés. Qu’à cela ne tienne, après des mois de formalités, le jardin-école vient d’obtenir sa labellisation COP22. Hassan Aslafy et son réseau de membres associatifs ne comptent pas s’arrêter là. Leur but est de développer la permaculture dans le plus grand nombre de villes au Maroc. Un site de 800m², au cœur de la médina de Marrakech et appartenant aux Habbous, sera bientôt investi par l’association. Et Geneviève, bénévole récemment convertie à l’agriculture urbaine, d’ajouter : « Pourquoi pas une forêt comestible dans le Parc de la ligue arabe ? »

Le jardin Ibn Al-Awam devrait ouvrir ses portes au public gratuitement le 29 octobre 2016.

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