Limogeage "hors normes" à la tête de la Marine marchande

Le directeur de la Marine marchande a été licencié par le ministre des Transports, Aziz Rebbah. Éclairage sur un différend autour des normes de sécurité des passagers à bord de la nouvelle compagnie de la BMCE.

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Mohammed VI à Tanger en compagnie d'Abdelaziz Rabbah et Othman Benjelloun, lors du lancement de la compagnie AML et de l'opération Marhaba, le 29 juin 2016 Crédit : MAP

Ahmed Reda Chakkor n’est plus directeur de la Marine marchande. En poste depuis janvier 2015, il a été licencié le 30 juin d’après une source de Telquel.ma auprès de la direction dépendant du ministère l’Équipement et du Transport. Elle précise que Hamid Chawki, ancien chef de la Division des gens de mer, assure l’intérim de la direction. D’après la même source, le ministère d’Abdelaziz Rebbah invoque par écrit des « motifs justifiés ». Ce limogeage est intervenu au lendemain du lancement par Mohammed VI de l’Africa Morocco Link (AML), la nouvelle compagnie maritime formée par la BMCE et l’armateur grec Attica.

Les deux évènements — le départ de M.Chakkor et le lancement de l’AML — sont-ils liés ? Oui, selon des sources de Médias 24 au ministère de l’Équipement qui abondent dans le sens de nos sources à la Marine marchande. Ce changement à la tête de la direction de la Marine marchande est, pour elles, la conséquence d’un différend autour de l’immatriculation sous pavillon marocain du Diagoras, le ferry de l’AML qui opère depuis début juin le transport de passagers et de véhicules à travers le détroit de Gibraltar. Le ministre  n’aurait pas apprécié que Chakkor ne signe pas le certificat d’immatriculation sous pavillon marocain du navire avant son inauguration par le roi.

Manœuvres en eaux troubles

Côté politique, pour Abdelaziz Rabbah, qui est à l’origine de la convention signée entre son ministère et la BMCE pour la création de l’AML, c’est un succès de pouvoir faire flotter le pavillon marocain à la poupe du Diagoras alors que débute l’opération Marhaba pour le retour des Marocains résidants à l’étranger. Le renouveau du pavillon marocain fait l’objet d’une stratégie nationale adoptée fin mars. Côté technique, pour la direction de la Marine marchande, il n’était pas possible de délivrer ce certificat dans le temps imparti. « L’immatriculation d’un navire nécessite une certaine procédure menée par des sociétés de classifications dont l’expérience se compte en siècles. Tout cela prend du temps, car elles appliquent des normes internationales, mais il en va de la sécurité des passagers », indique notre source à la Marine marchande. Pour le Diagoras, l’audit a été confié au bureau français Véritas.

Marin d’eau douce

Le représentant de Véritas au Maroc, Ahmed Saber, nous indique qu’« au final, la décision d’attribuer ou non le pavillon national à un navire revient à l’administration du pays. » Chakkor, qui a lui-même été auditeur de plusieurs centaines de navires au sein de sociétés de classification similaires, aurait donc refusé de signer le certificat d’immatriculation avant de recevoir l’avis de Véritas, en invoquant la sécurité comme ligne rouge. Au moment de son départ, un certificat provisoire de trois mois a été attribué au Diagoras, en attendant un audit plus poussé. Il permet au Dagorias de hisser le pavillon marocain, et à Rabbah de le présenter comme une de ses réalisations lors de l’inauguration royale. Joint par Telquel.ma, le ministre est lapidaire : « Le départ du directeur, c’est du management. Il est parti pour plusieurs raisons » Quelles sont-elles ? « Je ne veux pas m’étaler, je ne réponds pas à ces questions », rétorque-t-il avant de raccrocher.

Rien n’indique que le Diagoras n’est pas apte à transporter ses 1125 passagers et 280 voitures. En revanche, les certificats provisoires qui lui permettent de battre pavillon marocain ont été attribués de manière beaucoup trop rapide pour répondre aux normes internationales. « La communauté des gens de mer, les marins savent qu’il ne faut pas transiger avec la sécurité. Ces normes internationales sont là pour une bonne raison. » Les marins ont leur raison que les politiques ne connaissent pas : le 16 avril 2014, le ferry sud-coréen Sewol sombrait au large de l’ile de Jindo, avec 476 passagers à bords. Le naufrage a causé la mort de plus de 300 personnes et entraîné la démission du Premier ministre coréen. L’enquête a révélé par la suite que le navire ne disposait pas de tous les certificats de sécurité.

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